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Hatsune Miku ou Lil Miquela: bienvenue dans l’ère des stars virtuelles

Hatsune Miku, pop star virtuelle venue du Japon

Hatsune Miku, pop star virtuelle venue du Japon.

© Tetsuya Nomura/Square Enix Co/Crypton Future Media

Avant, nos stars préférées, celles qu’on postérisait ados sur les murs de nos chambres, étaient des êtres humains pourvus de tous les talents et affectés des défauts qui vont avec: acné difficilement maquillé, erreurs de jeunesse à assumer ou voix fluette et pas toujours complètement rectifiée par ordinateur. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, nos icônes sont de plus en plus des êtres virtuels. Et la différence est palpable.

Il est footballeur de légende et a marqué plus de 70 millions de buts. Elle est top modèle avec des jambes d’un mètre quarante. Elle est pop star planétaire et peut chanter des aigus inatteignables pour le reste de l’humanité. Outre ces caractéristiques exceptionnelles, Alex Hunter, Shudu Gram ou encore Hatsune Miku ont un sacré mérite: celui d’avoir conquis le monde alors qu’ils et elles n’existent même pas.

Des pixels superstars

Ces VIP sont en fait des créatures virtuelles. Fabriquées électroniquement de toutes pièces, elles sont pourtant dotées d’une existence propre, qu’elles soient animées en arrière-plan par leurs créateurs ou régies par une intelligence artificielle.

«Depuis quelques années, on assiste clairement à l’émergence de ces entités dans le paysage médiatique», confirme Michael Stora, psychologue, psychanalyste et cofondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines. «Elles ont acquis un public et donc, forcément, cela finit par créer toute une économie autour.»

A tel point que la webosphère et les marques leur offrent des places autrefois réservées aux êtres de chair et de sang: ici un personnage de jeu vidéo nommé égérie d’une marque de luxe, là une instagrameuse fictive accumulant les followers par dizaines de milliers. Les êtres numériques sont désormais des mannequins et des influenceurs comme les autres. Mais pourquoi adulons-nous ces personnalités synthétiques?

1/  Parce qu’elles atteignent enfin la perfection physique

Certaines incarnent en effet une idée de la silhouette et du minois parfaits. Leurs mensurations sont hors de portée du commun des mortels. Les proportions, le grain de peau, l’intensité du regard, tout est évidemment… irréel. On peut certes considérer tout cela comme un délire de geek eugéniste, Frankenstein à l’ère Windows… ou admettre que ces créatures constituées de 0 et de 1 au lieu de chromosomes ne sont que la conséquence logique de notre quête avide du corps et de la vie parfaits.

«Elles sont en grande partie les enfants de notre civilisation Photoshop», constate Arnaud Dufour, professeur de marketing digital à la HEIG-VD. «Après une décennie entière à peaufiner numériquement les courbes et à rectifier les traits des modèles, dénaturant toujours plus la réalité, les mannequins demeurent imparfaits selon nos critères.»

Beauté surnaturelle

On enclenche donc la vitesse supérieure: dépasser les limites de l’être biologique, en le remplaçant par un avatar de l’humain informatisé. «Cette perfection flatte notre cerveau reptilien avec, par exemple, des symétries impossibles à retrouver dans les visages humains», continue Arnaud Dufour. Des entités nées de l’obsession de la retouche sur ordinateur, mais aussi de cet univers un brin artificiel qu’on a bâti sur les réseaux sociaux au fil du temps.

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«Au fond elles ne détonnent pas tant que ça dans l’environnement 2.0», réagit Michael Stora.

«Les normes à suivre sont tellement fortes que certaines plates-formes, dont Instagram, donnent l’impression d’un clonage globalisé des individus et des idéaux. Il s’y déroule une quête de la beauté absolue, une hyperidéalisation de l’être humain aussi caricaturales que glaciale.»

Interprétation qu’illustre à merveille le cas de Shudu, cette modèle noire au corps époustouflant qui a soudainement surgi sur Instagram l’année dernière.

Inventée par un photographe londonien, elle a vite démontré son potentiel de vrai mannequin en devenant égérie de Fenty, la marque de Rihanna. Même la plus populaire enseigne H&M s’est laissée tentée par le concept: on l’a ainsi vue afficher des corps de synthèse pour certaines campagnes, mixant l’anatomie de plusieurs vraies personnes dans un même modèle. «La plupart des marques considèrent les mannequins comme des cintres, et elles ont trouvé dans l’entité virtuelle une marionnette malléable à souhait», ironise le psychologue.

2/  Parce qu’elles n’ont pas de passé

C’est l’un des avantages majeurs pour les marques et autres investisseurs misant sur les starlettes de synthèse. Derrière son masque de pixels, l’égérie virtuelle ne peut pas gaffer ni salir son image. «Les contrats signés par les ambassadeurs classiques de marques comprennent souvent des clauses strictes sur les comportements à adopter», relève Arnaud Dufour. «Et ces précautions légales ne garantissent pas une attitude irréprochable.»

Une égérie synthétique, en revanche, ne risque pas de se faire paparazzer en flagrant délit de sniffage de coke, ni de dire des insanités sur Twitter, ni encore de prendre des kilos ou un gros coup de vieux. «Elle incarne invariablement et éternellement l’image que la marque veut véhiculer. Elle n’a pas de passé.» Kevin Spacey, autrefois l’un des porte-étendards respectés du vaisseau Netflix, ne peut pas en dire autant.

Toute une histoire à écrire

Il ne faudrait cependant pas en déduire que le public de ces entités numériques les vénère comme des idoles figées. Lil Miquela, instagrammeuse 3.0 en vogue, accorde ainsi des interviews (par messageries électroniques interposées) et réagit aux commentaires sur ses posts. Des échanges où réel et virtuel se confondent.

«Une dimension interactive nouvelle s’est développée, constate Olivier Glassey, sociologue des nouvelles technologies à l’Université de Lausanne. Ces nouveaux influenceurs, artistes ou égéries prouvent que l’hybridation entre réel et virtuel est en cours.» Ils n’ont pas d’histoire? Au fil des interactions avec les internautes et de campagne en campagne, ils vont finir par en avoir une…

3/ Parce que les millennials ont été biberonnés au virtuel

Une image trop aseptisée ne risque-t-elle pas de perdre en route cette saveur, ces aspérités auxquelles nous, vrais humains si mal foutus, pouvons nous identifier? Ce serait sous-estimer l’attachement affectif fort des jeunes générations aux figures virtuelles. «Beaucoup de marques de luxe peinent à concerner les millennials, fait remarquer Michael Stora. Dès lors, les campagnes utilisant des influenceurs numériques sont surtout pensées pour eux. Nés avec les jeux vidéo, ils ne portent pas un regard péjoratif sur le virtuel, qu’ils ne voient pas comme synonyme de fake.»

Ainsi, quand Louis Vuitton décide en 2016 de sacrer Lightning, l’héroïne punk du célèbre jeu Final Fantasy, égérie de sa nouvelle campagne, la maison de luxe française sait qu’elle touche les jeunes en pleine cible. Comme Lightning Link (Zelda), Jill Valentine (Resident Evil), ou Ezio (Assassin’s Creed) font en effet partie de leur mythologie. Madeleine de Proust au bout du joystick, OK, mais la créature high-tech est-elle pour autant objet de désir?

Virtuellement vôtre

Car comme toute égérie, l’influenceur ou la diva virtuelle doit susciter l’envie. Au niveau du porte-monnaie comme au niveau moins avouable des hormones, puisqu’«il y a une présence forte de l’éros dans la pub», rappelle Arnaud Dufour. Si une Scarlett Johansson ou un Clive Owen génèrent assez facilement des papillons dans le ventre, qu’en est-il du charisme d’une silhouette conçue à coup de clics de souris?

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«Notre société a appris à désirer en masse des êtres numériques, reprend le professeur de la HEIG-VD. A tel point que pour beaucoup de gens, le réel peut être plus fade et décevant que le virtuel.» Ainsi, portée au cinéma, Lara Croft, héroïne de Tomb Raider, ensorcelle désormais les spectateurs des multiplexes après avoir fait saliver les ermites geeks à épaisses lunettes dans les années 1990. «Même Joaquin Phoenix a entretenu une love story avec un chatbot à la voix ultrasensuelle dans le film Her.»

Mais, s’il séduit massivement les nouvelles générations et qu’il représente un médium tentant pour les marques lorsqu’il s’agit de s’adresser aux jeunes, «le digital est encore le monde de l’impensé selon les philosophes, souligne Arnaud Dufour. Ces entités numériques posent des questions essentielles: A quoi doit ressembler un humain? Comment des individus se construisent lorsqu’ils en ont le choix?»


© Cameron James Wilson

SHUDU GRAM, modèle

Ne cherchez pas son nom dans les agences de mannequins. Cette sublime jeune femme n’existe que dans l’imagination de Cameron-James Wilson, un photographe britannique qui parle d’elle comme son chef-d’œuvre, le modèle parfait, créé en imagerie 3D. Début 2017, voilà qu’apparait sur Instagram une dénommée Shudu Gram, inconnue de tous. Ce qui, évidemment, n’a pas tardé à attirer les regards. Comment une telle beauté avait-elle pu demeurer dans l’ombre jusqu’ici, se demandent en chœur les internautes? Le créateur finit par avouer que Shudu n’est pas réelle, mais qu’elle s’inspire en partie de tops existants.

Il raconte s’être inspiré de la silhouette d’une Barbie Princesse sud-africaine commercialisée par Mattel, avant de rajouter ici et là les fragments de corps de plusieurs femmes célèbres, dont Carmen Kass, Alek Wek ou Lupita Nyong’o. Le phénomène survit au buzz des débuts et entame une carrière qui n’a rien de virtuel: Rihanna la choisit comme muse de sa marque Fenty, et Oscar de la Renta en fait l’égérie d’une campagne vidéo. Le premier top model digital va-t-il devenir aussi mythique que Gisele et Claudia?


© MrAlexHunter pour une campagne Adidas

ALEX HUNTER, footballeur

Maradona, Platini, Ronaldo ou Zidane peuvent aller pleurnicher dans les vestiaires. Même en additionnant leurs palmarès, ils n’arrivent pas à la chaussette d’Alex Hunter. Et pourtant, les aficionados de ballon rond ne connaissent pas son nom et ne l’ont jamais vu toucher la pelouse d’un stade. Normal: ce joueur mystérieux est en fait une légende du sport… dans le jeu vidéo FIFA 18. Un prodige de dix-sept printemps dont les performances affoleraient tout entraîneur en quête de nouvelle pépite: 70 millions de buts marqués en un mois, 124 millions de participations à des matches de première ligue et 660 000 titres de champion d’Angleterre. Respect.

Alex Hunter a beau n’être qu’une création numérique seulement animée par les manettes des gamers, il est devenu une égérie pour Coca-Cola à l’automne 2017. Dans une publicité, »on peut ainsi voir le footballeur 3.0 partager une canette du fameux soda avec un jeune fan, histoire de se remonter le moral au retour d’un match infructueux. On imagine par ailleurs qu’il a été un poil moins exigeant en cachet qu’un Ibrahimovic…


© Tetsuya Nomura

HATSUNE MIKU, pop star

C’est au Japon qu’est née la première star de la chanson entièrement digitale, une diva pop aux cheveux bleus nommée Hatsune Miku et âgée de 16 ans. Corsetée dans son étroit costume de scène inspiré de l’uniforme des écoles nipponnes, l’artiste était au départ projetée en 2D lors des concerts. Les progrès technologiques de ces dernières années ont permis de la faire évoluer vers un hologramme très stylé qui peut désormais se déplacer n’importe où sur la scène. Il serait trompeur de croire qu’Hatsune n’est qu’un gadget pour geeks un peu perchés.

Lancée en 2007, cette idole pas comme les autres est devenue une star de la musique à part entière. Elle enchaîne les tournées mondiales, parcourt les plateaux télé (on l’a vue interpréter un titre dans le show de David Letterman, aux USA), chante en duo avec des artistes réels, faisant même la première partie des concerts de Lady Gaga en 2014. Exploit rendu possible grâce à son logiciel vocal, qui lui permet de chanter en japonais et en anglais. Marc Jacobs a dessiné son costume en 2009, excusez du peu.


© Instagram lilmiquela

LIL MIQUELA, instagrammeuse

Lorsqu’on affiche 740 000 followers sur son compte Instagram, on est clairement dans la catégorie des «influenceurs». Comprenez: un statut à mi-chemin entre l’égérie de luxe et le blogueur, très courtisé par les marques. Lil Miquela fait partie de ces petits chanceux des réseaux sociaux, sauf que son pedigree est unique: c’est un avatar. Très probablement l’hybridation d’un modèle 3D et de la photographie d’une personne vivante, jugent les experts du digital. Hypothèse confortée par le fait qu’elle pose parfois avec de vraies personnes sur Internet.

Corps virtuel, mais activité réelle. Depuis son émergence en 2016, l ’influenceuse aux taches de rousseur connaît une ascension fulgurante. Sans pourtant savoir qui pilote les manettes de cette égérie sortie de nulle part, les marques lui font confiance, la courtisant en espérant qu’elle porte leurs pièces dans ses posts. Chanel, Supreme, Diesel, Moncler ou Calvin Klein lui envoient régulièrement leurs dernières créations. Après avoir collaboré avec Prada lors des Fashion Weeks, la voici qui prépare même un album. De quoi déboussoler un peu plus ceux qui tentent de remonter sa piste.

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