Société
Harcèlement scolaire: Des élèves en font une pièce de théâtre
Utiliser l’art comme prévention et thérapie face à un phénomène aussi grave, violent et complexe que le harcèlement scolaire, c'est l’idée derrière la pièce de théâtre Résiste! Les Intrépides, jouée le 13 avril 2024 au Théâtre du Crochetan à Monthey (VS), dans le cadre du festival Jeunes rencontres. Une démarche que l’on doit à Anne Jeger, psychologue clinicienne dans le canton de Vaud, à l’origine du projet.
«J’ai fait du théâtre plus jeune et j’avais en tête depuis quelques années de remonter sur les planches pour parler du harcèlement» explique-t-elle. La professionnelle s’intéresse au harcèlement scolaire depuis des années, écrit des articles et donne des conférences sur ce sujet. «Notre but est de présenter sur scène la réalité du harcèlement scolaire, de sensibiliser le public à différentes situations existantes et montrer comment réagir et aider les enfants dans de tels cas, précise Anne Jeger. On met en scène les diverses émotions que peut vivre quelqu’un-e qui se fait harceler à l’école». Le directeur du Théâtre du Crochetan, Lorenzo Malaguerra, s’occupe, lui, de la mise en scène.
Agir face au harcèlement
Cinq élèves de différents établissements vaudois, âgé-e-s entre 9 et 13 ans, ont été sélectionné-e-s lors d’un casting. Dans l’équipe, certain-e-s participant-e-s ont été harcelé-e-s, quand d’autres ont été témoins ou souhaitent agir face à cette problématique. Durant la pièce, plusieurs types de harcèlement sont abordés: les insultes, l’isolement, les moqueries, la propagation de rumeurs, le cyberharcèlement…
Les enfants travaillent sur la création de cette œuvre depuis presque une année. Elle fut imaginée à partir d’improvisations et de mises en situation, ou encore sur la base de récits personnels ou imagés. La psychologue exerçant à Lausanne note une ambiance particulière lors des répétitions: «Il y a beaucoup de bienveillance, de respect, du sérieux, mais aussi de nombreux fous rires», raconte-t-elle avec joie.
Une «expérience très prenante»
Lisa, 11 ans, fait notamment partie de la troupe: «J’ai voulu participer à la pièce pour aider les victimes de harcèlement à parler et faire en sorte que les cas diminuent». Elle décrit une expérience très prenante: «C’est intense ce que je ressens quand je joue, je fais du théâtre depuis très longtemps, mais cette pièce autour du harcèlement est particulière».
Les enfants sont amené-e-s à jouer différents rôles durant le spectacle: personnes harcelées, harceleur-euse-s, parents, enseignant-e-s. «Cela provoque beaucoup d’émotions de jouer à ces différents rôles, surtout quand je dois faire la harceleuse», témoigne Camille, 12 ans, qui participe également au projet.
Lisa et Camille remarquent toutes les deux faire davantage attention désormais aux cas de harcèlement, sans en avoir jamais été victimes. Cette expérience a aidé à souder le groupe. «On s’entend toutes et tous très bien», affirme Lisa. «On est vraiment très impatient-e-s de jouer la pièce», note pour sa part Camille.
Pour Anne Jeger, autrice du livre Regard d’une psychologue sur les enfants, la vie de famille et les épreuves du couple (disponible sur le site lafamily.ch), jouer au théâtre peut ainsi s’assimiler à une démarche thérapeutique et «aider les victimes de harcèlement à reprendre le contrôle, notamment après une agression où l’on se sent totalement impuissant-e». Il lui tient à cœur de raconter comme anecdote le fait que «les enfants qui jouent les harceleur-euse-s s’excusent après leur scène et précisent que tout ce qu’ils et elles ont dit était faux. C’est très touchant!»
Deux personnes par classe harcelées
Anne Jeger est également active au sein de l’association VIA, qui offre un soutien aux victimes de violence et de harcèlement à l’école dans le Canton de Vaud. L’association organise des ateliers pour soutenir des jeunes victimes de harcèlement ou de violence à l’école et sensibiliser autour de cette thématique. «Notre objectif est d’offrir un espace sécurisé et bienveillant pour que ces enfants puissent déposer leur souffrance avec d’autres personnes qui ont vécu la même chose qu’elles et eux, commente Anne Jeger, qui en est responsable et les anime. Cela permet de renforcer l’estime de soi, développer la résilience émotionnelle, augmenter les compétences sociales et consolider la confiance en soi.»
Concernant le rôle des établissements scolaires, «il reste encore beaucoup à faire, je suis encore très frappée par certains cas que l’on me rapporte, révèle-t-elle. Cela prend parfois encore beaucoup trop de temps avant d’agir et pendant tout ce temps, l’enfant harcelé-e ne se sent pas protégé-e». La spécialiste rappelle que le harcèlement touche 10% des élèves, soit en moyenne deux personnes par classe, et met l’accent sur l’importance de la prévention: «On peut mettre un pansement sur une blessure après-coup, mais la blessure aura malheureusement déjà été faite». Chaque année des interventions dans les classes «doivent être réalisées, pour faire réfléchir les élèves, les informer sur les conséquences de leurs actes, rappeler ce qu’il faut faire et ne pas faire, travailler sur l’empathie également, tout cela est très important. L’école, c’est comme une micro-société et il est essentiel d’y véhiculer des valeurs, comme la tolérance, la solidarité, l’entraide».
Anne Jeger ne le répétera jamais assez: «Il faut agir très tôt et sensibiliser tout le monde au fléau que représente le harcèlement». Elle rappelle aussi la difficulté de parler pour les personnes harcelées et pointe «une banalisation de la violence» entre élèves. «On s’insulte, on se donne des petites tapes et il est difficile de savoir ce qui est grave ou ce qui ne l’est pas. L’enfant violenté-e a peur des représailles et peut ressentir, à tort, de la honte et de la culpabilité, mais il faut en parler et chercher de l’aide», rappelle-t-elle.
Hypervigilance et stress post-traumatique
La psychologue vaudoise, qui suit des victimes de harcèlement en thérapie, constate d’importantes séquelles chez les victimes, même des années après. «Durant le harcèlement, les enfants sont dans un état d’hypervigilance, cela mobilise beaucoup d’énergie psychique et freine leurs apprentissages.» Plus tard, une vulnérabilité émotionnelle peut se développer ainsi qu’un stress post-traumatique «à prendre très au sérieux, car cela peut induire des difficultés d’adaptation dans le milieu professionnel ou dans les relations amoureuses». Anne Jeger souligne qu’il y a aussi un impact sur les personnes harceleuses: «Elles s’en veulent énormément après coup et se demandent pourquoi personne ne les a arrêtées. Cela montre à quel point il est important d’agir et rapidement pour les stopper», argue-t-elle.
D’ailleurs, l’association VIA a été fondée en 2020 par deux étudiant-e-s en psychologie à l’Université de Lausanne, Loïc Jaquier et Juliette Bratschi. Les deux ami-e-s ont remarqué à quel point de nombreuses personnes restaient traumatisées par les expériences de harcèlement vécu dans l’enfance, et ce même à l’âge adulte. Loïc Jaquier met en évidence le fait qu’à part les thérapies individuelles, il manque d’initiatives pour soutenir les victimes, et c’est justement «la première mission de l’association, grâce notamment aux différents ateliers organisés».
La prévention n'est pas oubliée et certains de ces événements sont destinés aux parents et à tou-te-s les professionnel-le-s de la petite enfance, «ce qui rejoint notre objectif d’aider les adultes à avoir les outils nécessaires pour agir», indique Loïc Jaquier. Ce dernier rappelle également la complexité du phénomène: «Il n’existe pas un seul type de harcèlement, de victimes ou de harceleur-euse-s mais une infinité de situations très différentes les unes des autres. Il faut plus de ressources et une bonne cohésion entre toutes les personnes concernées pour pouvoir agir efficacement».
Résiste ! - Les Intrépides, le 13 avril 2024 à 14h au Théâtre du Crochetan, Monthey (VS), entrée libre.
Quelques chiffres sur le harcèlement
19% des élèves de 15 ans en Suisse ont déclaré être victimes de harcèlement (étude Pisa, 2022).
29% des enfants de 12 à 19 ans en Suisse ont déjà vécu du harcèlement en ligne (étude James, 2022).
43% des enfants de 9 à 17 ans en Suisse ont déjà subi des violences psychologiques à l’école (étude Unicef, 2021).
32% des enfants de 9 à 17 ans en Suisse ont déjà subi des violences physiques à l’école (étude Unicef, 2021).
4,9% des enfants de 15 ans dans le Canton de Vaud sont harceleur-euse-s (étude du Canton de Vaud, 2018).
Ressources
Numéro d’aide de Pro Juventute avec des professionnel-le-s à l’écoute 24h/24, 7J/7: 147
Site d’aide et d’information pour les adolescent-e-s: ciao.ch
Site de l’Association VIA, soutien aux victimes de violence et de harcèlement à l’école: association-via.ch
Site de Patouch, association de prévention des violences envers les enfants et adolescent-e-s: patouch.ch
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