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C’est un refrain qui est devenu un véritable tube. Dans les colloques, dans les amphis d’université, dans les cours de coaching. Celui qui nous chante que les dirigeantes d’entreprise, par le seul fait d’être femmes, exerceraient tout naturellement un management différent de leurs collègues testostéronés. Elles seraient plus communicatives. Plus tournées vers le collectif. Plus enclines à l’empathie et à la douceur.

Si l’air nous est tant rentré dans la tête pour ne plus jamais en sortir, c’est que cette image de la dame leader garante de succès, atout indispensable à toute hiérarchie qui se respecte, a été entretenue, confirmée, validée par une avalanche d’études sur la question au cours de ces dernières années. A tel point que cela passe aujourd’hui pour une évidence. «Il me semble qu’en tant que femme, j’aie plus de facilité à prendre du recul face à un conflit, pour décider d’une attitude en fonction des intérêts de la société à long terme, sans me laisser dominer par des émotions négatives à court terme», énonce ainsi la doctoresse Patricia Delarive. La présidente et médecin-chef des cliniques privées Matignon préfère d’ailleurs parler de «valorisation de qualités féminines dans les compétences du manager. Car, un peu comme avec les enfants, les papas sont parfois plus cassants, alors que les mamans gardent davantage leur calme et relativisent la gravité de la faute.»

Cliché ou réalité?

Tout roule pour le mieux, alors, dans les hautes sphères? Tandis que ces messieurs, un poil coincés à l’époque du boss Père Fouettard, continueraient de faire marcher leur affaire à coup de gueulantes et de martinet, les patronnes, elles, privilégieraient leurs talents innés pour la diplomatie et l’écoute...

Un peu trop parfaite pour être parfaitement honnête, cette (ré)partition yin-yang vole en éclats à la première confrontation avec le terrain. C’est ce que souligne Maddalena di Meo, directrice de Firstmed, école de premiers secours en Suisse romande: «J’ai connu des managers hommes qui menaient leur équipe avec les mêmes qualités dites féminines, la même empathie ou ouverture. Et, à l’inverse, des femmes qui étaient dans des attitudes compétitives, très dominantes.»

On pensait avoir révolutionné les théories du management mais, manque de chance, tout reposait sur un cliché sexiste! Une bonne vieille vision genrée des psychologies homme-femme qui fleure bon son XIXe siècle. Ainsi, pour le Professeur Raphaël H. Cohen, qui a développé le concept de leadership bienveillant et enseigne à l’Université de Genève, «sexualiser le leadership est un artifice simplificateur aussi pertinent que déclarer que les hommes qui louchent sont de meilleurs amants». Et «affirmer que les femmes seront plus douces et bienveillantes s’avère en fait extrêmement dangereux», renchérit Sarah Saint-Michel, chercheuse en femmes et leadership à l’Université Paris 1 et coauteure d’«Hommes, femmes, leadership: mode d’emploi» (Pearson, 2016). D’abord parce que cela constitue en soi un stéréotype et une discrimination. «Il y a autant de styles de leadership que d’individus.» Ensuite parce que cette idée renforce le clivage homme-femme: elle présuppose l’efficacité des premiers pour les missions techniques et directives, et celle de ces dames pour les fonctions demandant un leadership participatif et relationnel.

Conséquence: «Une nouvelle segmentation sur le marché du travail, qui reproduit une inégalité professionnelle et le fameux plafond de verre» (ndlr: expression née dans les années 70 pour qualifier tous les obstacles socioculturels qui empêchent les femmes de briguer des postes à haute responsabilité). Un dommage collatéral plutôt inattendu, donc.

Besoin d’y croire

Mais puisque ce postulat de la dirigeante forcément pétrie de qualités communicatives et sociales ne tient pas (si bien que ça) la route, qu’est-ce qui explique son succès? Pourquoi un tel besoin d’y croire? Ne serait-ce pas, en bonne logique, parce que l’univers moderne du management en a besoin? Patricia Delarive nous le confirme: «La tendance générale est à remplacer l’autorité, la contrainte hiérarchique pure et dure, par un accompagnement et un encouragement, une gestion que l’on pourrait qualifier de maternelle. On porte les équipes plutôt qu’on ne les domine.»

Une tendance générale: sans doute. Mais un peu théorique, peut-être. Car dans la réalité, celle des open spaces aux atmosphères bien éloignées des manuels de spécialistes hors sol, jouer la carte du féminin gagnant ne se fait pas sans un certain sentiment de schizophrénie. «Les Anglo-Saxons continuent d’utiliser la métaphore «think leader-think male» (ou: penser leader, penser mâle, ndlr) pour illustrer l’association implicite qui a lieu lorsque l’on parle de leadership, indique Sarah Saint-Michel. La notion reste, implicitement toujours, associée à l’homme. Les chercheurs parlent de «lack of fit», c’est-à-dire le manque d’adéquation entre les attentes associées au leadership et les attentes de rôle liées au fait d’être une femme. Le leader va s’illustrer par l’audace, le courage, la combativité, la femme, croit-on, par la douceur, la bienveillance et la sympathie. S’opère donc une inadéquation entre le stéréotype du leader – ce que l’on en attend – et le stéréotype de genre – ce que l’on attend d’une femme. C’est pourquoi une femme occupant une fonction de leadership se trouve confrontée à deux types d’inadéquation: soit le «pas assez», elle manque de courage, de combativité, soit le «trop», trop autoritaire, trop bossy, trop dure…»

Et cela se ressent au quotidien. «J’ai souvent observé que les employés, hommes ou femmes, acceptent mieux des propos durs ou une remarque désagréable de la part d’un supérieur homme, relève Patricia Delarive. Une femme qui se fâche, c’est plus vexant. On attend d’elle a priori de la gentillesse et de la douceur, alors on supporte moins bien un ton agressif.» Voire simplement ferme. «On l’oublie mais, avant l’apparition du terme «management au féminin», si elles voulaient avoir du crédit et prétendre à un poste à responsabilités, les femmes étaient amenées à devoir adopter des manières masculines, rappelle Maddalena Di Meo. En même temps, dès lors qu’elles le font, elles courent le risque de récolter des effets négatifs, parce qu’elles ne correspondent plus aux attentes liées à leur genre. C’est l’effet pervers de sexualiser un domaine ou une activité», insiste la directrice de Firstmed. Avant de relever qu’à l’inverse «une femme qui assume sa féminité dans ce milieu (celui des premiers secours, donc, ndlr) est aussi mal perçue. Or en quoi le fait de prendre soin de ma féminité, de porter des escarpins avec dix centimètres de talon, me rend-il moins crédible?»

Des talents de superhéros

La double injonction, forcément intenable à laquelle elles sont soumises, explique que certaines femmes «surjouent des qualités supposément féminines, en forçant leur prétendue nature», analyse Isabelle Déprez, professeure à l’European School of Management (France). Tandis que d’autres «pensent encore qu’en copiant les hommes elles seront mieux respectées», note Françoise Piron, ingénieure EPFL à la tête de l’association Pacte. A moins qu’elles ne visent de réunir sur leurs seules épaules tout le spectre des «qualités», qu’elles soient réputées masculines ou féminines. Ce qui, on en conviendra, exige des forces et des talents dignes d’un superhéros…


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Le pire, c’est que certaines y parviennent! Journaliste spécialiste de la diversité en entreprise à l’agence Bloomberg à New York, Laura Colby consacrait l’an dernier une biographie, «Road to Power», à l’Américaine Mary Barra, nommée directrice générale de General Motors en décembre 2013. Cette fille d’ouvrier devenue CEO (chief executive officer) a su manœuvrer pour éviter les réactions épidermiques souvent réservées aux femmes leaders. Comment? En coordonnant plusieurs registres simultanément. Comme un chef d’orchestre hyperdoué. «Elle n’élève jamais la voix, semble agréable. Et elle l’est, tous ceux qui la connaissent bien insistent là-dessus. Chaque personne ou presque que j’ai interviewée a évoqué ses incroyables qualités relationnelles et sa capacité à faire travailler les gens en équipe sans être une chiffe molle. Mais elle est également extrêmement compétente et a les capacités, à la fois en management et en ingénierie, de prendre les décisions et de diriger une entreprise. A sa manière tranquille, elle est redoutable. Elle n’hésitera pas à virer ceux qui ne sont pas à la hauteur ou qui posent problème à l’entreprise.» Un seul genre, donc, puisqu’elle est femme, mais deux visages exigés. On est loin du naturel décomplexé que s’autorisent nombre de ces messieurs, qui n’ont pas besoin de jouer les Janus pour progresser dans la hiérarchie.

Dans le même temps, nombre d’interlocuteurs s’accordent à souligner que des changements sont en marche. Aux yeux de Maddalena di Meo, cette notion de management au féminin, aussi bancale et discriminante qu’elle soit, pourrait s’avérer bénéfique et constructive, «non pas tant parce que la femme est mise en avant, mais par le fait que les idées sur des rôles socialement établis, ceux d’épouse, de mère, de cadre, sont redéfinies. L’émergence de la femme dans ce secteur d’activité managériale a permis de bousculer les acquis et repenser ces équilibres.» Un bon point, non?

Une inégalité criante contée par les chiffres

Trois Suissesses et trois Américaines, voici six modèles de femmes aux parcours divers qui réussissent brillamment leur carrière.

Question femmes leaders, la Suisse reste toutefois largement à la traîne: elle a été récemment classée 42e sur 59 pays pour la proportion des femmes dans les conseils d’administration (9,1%) et 56e pour la représentation au sein de la direction (8,3%), selon une enquête menée par le Peterson Institute for International Economics. Seuls deux pays comptent au moins une femme sur quatre dans leur CA: la Norvège (40%) et la Lettonie (25%).

Marissa Mayer, 40 ans, USA Appelée à la rescousse en 2012 pour sauver Yahoo!, elle amène l’entreprise à doubler la valeur de son action. Cette battante est parfois controversée, comme lorsque, en 2015, elle reprend le travail quelques semaines à peine après la naissance de ses jumelles. Aujourd’hui, la firme battant à nouveau de l’aile, sa sauveuse est sur la sellette.

Suzanne Thoma, 51 ans, Suisse Elle a pris les rênes de BKW (anciennement Forces motrices bernoises) en 2013. Et se trouve confrontée à la lourde tâche de démanteler le réacteur nucléaire de Mühleberg.

Karin Perraudin, 41 ans, Suisse Ancienne présidente du conseil d’administration de la Banque Cantonale du Valais, elle a pris la tête du Groupe Mutuel en 2014. Elle est mère de trois enfants.


©Bloomberg via Getty Images; Keystone/Peter Klaunzer/Jean-Christophe Bott;
DR; AFP Photo/Fred Dufour

Indra Nooyi, 60 ans, USA Née en Inde, intègre l’empire de boissons PepsiCo en 1994 avant d’en devenir PDG en 2006. Cette mère de deux filles évoque avec franchise les sacrifices consentis sur sa vie privée pour faire carrière.

Mary Barra, 54 ans, USA Fille d’un ouvrier du constructeur automobile General Motors, elle a gravi les échelons de cette même entreprise jusqu’à en prendre la direction générale, fin 2013. Est dans le peloton de tête des femmes les plus puissantes des Etats-Unis.

Margarita Louis-Dreyfus, 53 ans, Suisse Issue d’une famille russe modeste, a hérité du groupe Louis-Dreyfus suite au décès de son époux. En mars dernier, elle a donné vie à des jumelles, nées de son union avec le banquier Philipp Hildebrand.

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