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Enquête: les hommes sont de plus en plus hypocondriaques

Femina 41 Dossier Homme Hypocondriaque

Dany Boon dans le film «Supercondriaque» sorti en 2014.

© DR

Vos grains de beauté sont forcément des mélanomes en devenir? Une minitension dans le bras gauche réveille en vous le spectre de la crise cardiaque? Une migraine vous indique les prémices d’un AVC? Pas de doute, Monsieur: vous êtes prêt à passer le casting du prochain Woody Allen! Mais on vous rassure: votre propension à faire du cinéma pour le moindre petit bobo n’est pas un cas isolé, elle touche au contraire de plus en plus d’hommes. Au point que les praticiens l’ont remarquée. Parmi eux, la psychologue, analyste et sophrologue parisienne Michèle Declerck dit traiter un nombre grandissant d’hypocondriaques de sexe masculin «dans la trentaine». Et le Dr Kim de Heller, médecin généraliste aux urgences de Vidy-Source, à Lausanne, confirme cette nette tendance à la hausse, particulièrement dans ladite tranche d’âge: «Il y a quelques années, j’avais essentiellement affaire à des femmes, ce n’est plus le cas. Je ne dispose pas de statistiques officielles donc tout cela reste très empirique et subjectif mais, depuis quelque temps, j’observe un vrai changement.»

Comment comprendre ce phénomène?

Pourquoi cette maladie identifiée depuis l’Antiquité grecque est-elle en passe de devenir le «mâle» du siècle?... Tout semble partir des années 1980, avec l’avènement d’un nouveau modèle masculin, plus à l’écoute de lui-même et de ses besoins. Notamment guidé par les écrits de penseurs, comme le psychanalyste Guy Corneau, cet «Homo contemporaneus» a libéré sa parole, a commencé à exprimer ses angoisses et, comme le lui recommandait le Québecois dans nombre de ses ouvrages, s’est donné la «permission» de ne plus «être un héros».

Reste que tous les hommes n’accourent pas dans un cabinet de docteur à la première piqûre d’insecte non identifié. Qu’est-ce qui fait la différence alors? Selon Michèle Declerck, pour qui on ne naît pas hypocondriaque, on le devient, il faut commencer par… chercher la mère. Elle précise: «Beaucoup de mes patients sont des hommes surcouvés par des mamans cache-nez qui les emmenaient chez le médecin au moindre bobo. Cette manie de la surprotection qui, bizarrement, s’est moins centrée sur les filles, a logiquement engendré un sentiment de vulnérabilité et d’insécurité à l’égard de leur corps.»

«Il y a bien entendu d’autres cas de figures, relativise la thérapeute: des carences affectives précoces, un deuil ou une séparation peuvent aussi être des déclencheurs… Certains sont également confrontés à une peur de l’abandon. D’ailleurs, leurs crises sont souvent plus fortes lorsqu’ils partent en vacances ou s’éloignent de leur cadre de vie quotidien. C’est comme si leur «mal» était un moyen de conjurer le sort, comme si le fait d’être en alerte permanente pouvait prémunir du risque de mourir ou de tomber malade.»

Il faut aussi compter avec le spectacle d’une société hygiéniste où causer maux et failles est devenu rengaine. Le psychiatre Michel Lejoyeux estime ainsi que ce penchant maladif à se croire atteint d’une affection quelconque, «qui peut frapper tout le monde», vient notamment d’une forme de projection: «Avoir accompagné un proche malade peut susciter la peur de vivre le même mal.» Il y voit aussi un effet loupe puisque «tout nous pousse en permanence vers l’hypocondrie». Ce «tout» visant les messages alarmistes – du type: air pollué, alimentation trop riche, mauvaise hygiène de vie... – qui nous bombardent à longueur de temps via articles, reportages, magazines et rubriques «Santé», tous supports confondus.

Dans son désopilant «Confession d’un hypocondriaque», le journaliste Christophe Ruaults relève ainsi qu’on ne peut plus parler «d’information médicale, mais de harcèlement». Concrètement, explique Kim de Heller, ce matraquage, renforcé par une présence tentaculaire de sites et de forums sur internet, fait glisser insidieusement de simples bilieux vers les marasmes de l’hypocondrie. «L’alliance d’une surinformation catastrophiste et de peurs propagées par l’entourage fait prendre à des bricoles des proportions terribles. Du coup, il suffit d’avoir été piqué par un moustique pour avoir contracté un virus gravissime et un petit bourrelet qui déborde est le signe d’une anomalie intestinale!» Vue de l’extérieur, la situation paraît risible. Vécue, elle ne l’est absolument pas.

Et cette sorte d’auscultation de soi en continu s’invite jusque dans nos chambres. Selon Michèle Declerck, il faudrait carrément se débarrasser des applis et autres gadgets servant à s’autodiagnostiquer: «A moins d’en avoir besoin pour des raisons médicales, ces bidules sont affreusement anxiogènes. Ils alimentent l’hypocondrie puisque, dans les faits, personne ne correspond jamais totalement aux normes en vigueur», qui sont purement statistiques. «On peut être en excellente santé tout en ayant un peu de cholestérol ou un nombre de globules rouges différent de son voisin!»

Guérissable, l’hypocondrie?

A propos, un hypocondriaque pris dans le tourbillon de ses angoisses, comment ça fonctionne? Victime de lui-même, le «malade imaginaire» est entraîné dans un cercle vicieux d’une logique confondante: «Comme il est de nature anxieuse, il s’affolera d’avoir senti de bêtes fourmillements dans les doigts ou d’avoir un mal de tête, décrit Michèle Declerck. Son inquiétude décuplera ses ressentis.» Il se lancera alors à la recherche d’informations tous azimuts – infos qu’il interprétera sur le mode «dramatique». Ensuite, il ira consulter et se fera examiner sous toutes les coutures. Le fait qu’aucune anomalie ne soit décelée ne le rassurera en rien. Au contraire, il redoublera d’angoisse, sûr que son soignant, forcément incompétent (!), n’a pas cherché au bon endroit, que sa pathologie est unique donc encore indétectable… Et, bingo! il repartira pour un nouveau round. Sans s’inquiéter, évidemment, des coûts engendrés.

Mais «ne pas prendre un hypocondriaque au sérieux et banaliser son état est une grosse erreur, met en garde Kim de Heller. Même s’il est dans un délire absolu, sa souffrance, elle, est réelle. Pour essayer de le soulager, il nous faut tenter de comprendre ses peurs.» Une étape que brûlent de nombreux «n’importe-quoi-logues», s’insurge la psychanalyste parisienne: «Pour moi, les spécialistes sont de grands, d’énormes pourvoyeurs d’hypocondriaques.» Une vision partagée par le Dr de Heller, qui détaille: ces experts doivent souvent faire les examens qu’on leur demande. Dans la majorité des cas, la situation sera normale... au grand dam du patient qui, dépité et incapable d’entendre qu’il va bien, ira voir un deuxième médecin, puis un troisième… Jusqu’à ce qu’un praticien, souvent un généraliste, prenne la problématique à sa base et, en aiguillant subtilement son patient sur de bonnes techniques thérapeutiques – du type sophrologie, thérapies psy, yoga… – permette au malheureux de sortir de cette spirale.

Parce qu’on peut guérir de l’hypocondrie. N’en déplaise aux émules de Woody Allen, Michel Drucker, Dany Boon ou Mark Zuckerberg, la santé aussi est contagieuse.


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23% Un homme sur quatre

Si 32% des gens ont une légère tendance à l’hypocondrie (selon un sondage français de 2013), les hommes de moins de 35 ans sont 23% à entrer dans la catégorie carrément «hypocondriaque». Soit ceux qui admettent ressentir de graves angoisses liées à leur santé, même en l’absence de tout symptôme. Un homme jeune sur quatre, donc, quand la moyenne, tous genres et âges confondus, est de 13%.

Les hypocondriaques célèbres

Dany Boon, à l’affiche de «Radin». Hypocondriaque assumé – il se moque d’ailleurs de lui-même dans le film «Supercondriaque» – le comédien expliquait que cette angoisse de la maladie lui a été utile: «Cela m’a protégé. Notamment des travers que l’on peut connaître dans le métier: drogue, alcool… Quand j’ai débuté, au moindre coup de mou, des gens me proposaient des substances. Je leur disais: «Je préfère jouer fatigué.» Cela m’a incité à faire du sport.»

Denis Brogniart, MC de «Koh Lanta» tous les vendredis sur TF1. Le célèbre animateur a beau bourlinguer dans le monde entier, il n’en a pas moins une peur panique de la maladie: «N’importe quelle petite douleur se transforme en un truc compliqué… L’avantage, sur Koh Lanta, c’est qu’on a un médecin à demeure!»

Michel Drucker présente «Vivement dimanche… prochain» toutes les semaines sur France 2. L’animateur, qui garde soigneusement deux stéthoscopes dans son bureau, est un véritable bottin médical: si vous avez besoin d’un pneumologue, d’un ORL, d’un cardiologue ou même d’un gynécologue… il suffit de lui demander!


©Elisabetta A. Villa/Getty; Jean Baptiste Lacroix/WireImage; Bertrand Rindoff Petroff/Getty;
Steve Sands/GC Images; Stefania D’Alessandro/Getty Images

Woody Allen, à déguster dans la série TV «Crisis in Six Scenes» diffusée depuis le 30 septembre 2016. Dans un billet consacré à l’hypocondrie et publié récemment dans le «New York Times», ce névrosé notoire déclarait: «Moi je n’ai pas de maladies imaginaires mais des maladies réelles!»

Mika, chanteur et coach dans le TV-crochet «The Voice». Extraverti et drôle, l’artiste libano-britannique raconte la relation qu’il entretient avec son généraliste: «Je l’appelle et il me parle de ce que j’ai – ou de ce qu’il pense que j’ai – puis il m’envoie voir un médecin local car il dispose de tout un réseau (…) Je ne dirais pas qu’il a hâte que je l’appelle – je l’appelle au moins une fois par semaine quand je suis en tournée – mais Peter me tolère…»

Témoignages

Sébastien, 42 ans, journaliste, bulle
«Je ne sais pas si je suis véritablement hypocondriaque mais je me méfie de mes émotions dès que je suis souffrant. Je suis très sensible à mon environnement (odeurs, bruits…) et, dès que j’ai de la fièvre ou des douleurs, cette attention tournée vers mes sensations peut devenir envahissante. Ça devient un peu un exercice de zen: ne pas penser parce que ces pensées seront forcément négatives! L’autre jour, j’ai eu mal sur le côté gauche et je me suis aussitôt demandé si j’étais victime d’un problème cardiaque. Et ce point gênant au niveau des intestins, comment oublier qu’il pourrait s’agir d’un cancer? Savoir que je suis un peu anxieux m’aide à garder le sourire et à me moquer de moi. La conséquence paradoxale de ce rapport compliqué à mes sensations, c’est qu’il m’est arrivé plusieurs fois de trop attendre pour aller chez le médecin, alors que j’étais vraiment malade: dix jours pour une fracture, une semaine pour une pneumonie!»

Jean, 54 ans, musicien, Genève
Mon père est parti brutalement d’une crise cardiaque qui aurait pu être évitée si des examens ad hoc avaient été faits. Depuis, j’imagine des scénarios-catastrophes pour tout et n’importe quoi. En fait, si je fais le point, ces dernières années, je me suis déjà sorti de quelques cancers, d’une sclérose en plaques et de deux ou trois maladies orphelines. Inutile de dire que, quand j’ai un rhume, je fonce chez le médecin pour éviter qu’il ne tourne en broncho-pneumonie! Mais, à la maison, je parle le moins possible de mes soucis de santé car ma femme a assez tendance à se moquer de moi et de mes petites paniques.

Test: êtes-vous hypocondriaque?

1. Quand vous avez mal à la gorge, vous…
A. Filez aux urgences pour y consulter un ORL.
B. Prenez rendez-vous chez votre médecin de famille.
C. Buvez un jus de citron au miel.

2. Votre médecin vous a fait faire un bilan sanguin.
A. Sûr qu’on ne fait pas de tels examens sans raison, vous vous demandez comment annoncer le pire à vos proches.
B. Vous espérez être en forme et passez en revue tous vos excès récents et passés.
C. Aussitôt fait, aussitôt oublié.

3. Votre médecin vous l’affirme: tout va bien, vous êtes en pleine forme.
A. Vous n’y croyez pas: votre médecin est un incompétent et vous allez donc en changer!
B. Vous êtes soulagé et en profitez pour décider d’améliorer votre hygiène de vie.
C. Champagne!

Résultats

Une majorité de A: Le diagnostic ne se discute pas: vous en êtes.
Une majorité de B: Vous êtes un inquiet. Un peu moins de littérature médicale devrait alléger votre vie.
Une majorité de C: Hypo… quoi?

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