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«Après quelques minutes, je lui ai jeté un regard à travers mon niqab. Il m’a regardée. Nos yeux se sont accrochés, et mon cœur s’est mis à battre plus rapidement encore que la vitesse de la lumière.» Cette déclaration à l’eau de rose n’est pas tirée du remake oriental de «Cinquante nuances de Grey», mais extraite de Bird of Jannah, un compte Twitter (aujourd’hui fermé) créé par les recruteurs de l’Etat islamique (EI).

Ce genre de messages fait partie de l’arsenal de guerre de l’EI, et vise à appâter de jeunes Occidentales en leur promettant une merveilleuse histoire d’amour. Et ça marche. Dernier exemple en date de ces vénéneuses love stories? L’interpellation, le 8 septembre à Paris, d’un quatuor de femmes radicalisées voulant faire exploser une voiture piégée en plein centre-ville. Parmi elles, Sarah Hervouët, 23 ans, s’est déclarée la «promise» successive de plusieurs terroristes lui ayant été présentés sur Internet. Le djihadiste, pris au sens de combattant d’un islam extrémiste qui veut s’imposer par la violence, incarnerait-il le bad boy du XXIe siècle, version meurtrière?

«Jusqu'à ce que le martyr nous sépare»

Considéré comme le summum du romantisme, le slogan «Till martyrdom do us part» – littéralement «jusqu’à ce que le martyr nous sépare» – s’affiche sur de nombreux prétendus blogs ou des sites de rencontres gérés par le califat. Les plus beaux mâles de l’EI, surnommés les jihotties (contraction en anglais de djihadiste et sexy) y vantent, de toute leur force de conviction, les délices d’une vie à leurs côtés, entre sécurité financière, grosse berline et profond respect pour toute femme qui saura se montrer suffisamment pieuse.

Cette stratégie, qui surfe sur les désirs amoureux des unes et des autres, prêterait à sourire si elle n’était aussi funestement efficace. Les spécialistes du terrorisme estiment en effet que le nombre de jeunes, voire de très jeunes filles, qui rejoignent les zones de combat, en Syrie ou en Irak, ne cesse d’augmenter. L’organisation terroriste a visiblement flairé le bon filon.

Des Suissesses partent aussi

Et la Suisse ne fait pas exception. En novembre 2015, la task-force Tetra, une structure mise en place par la Confédération pour lutter contre les départs à motivation djihadiste, indiquait que sur les 33 Suisses partis à l’étranger se trouveraient six femmes et deux mineurs (contre 220 femmes pour la France à la même période). En janvier 2016, le cas d’une Suissesse de 29 ans, originaire de Winterthour, avait d’ailleurs été médiatisé: en instance de divorce, elle avait enlevé son enfant de 4 ans et s’était rendue en Syrie dans l’intention d’épouser un djihadiste.


Ce djihadiste néerlandais (à gauche) a été tué début septembre. Auparavant, il avait reçu plus de 10 000 demandes en mariage sur les réseaux sociaux.

«Les raisons qui poussent les jeunes Européennes vers l’univers du djihad s’avèrent radicalement différentes de celles des hommes», expose le psychiatre Xavier Pommereau, auteur de «Goût du risque à l’adolescence» (Ed. Albin Michel). «Chez les adolescentes, le mobile premier est affectif, avance-t-il. On est dans l’illusion romantique. Ces jeunes filles se font tout un film autour du concept d’être mariées avec un héros.» Tué début septembre, le moudjahidin néerlandais Israfil Yilmaz avait reçu plus de 10 000 demandes en mariage sur les réseaux sociaux.

Le djihadiste, un idéal de virilité

Les amoureuses d’intégristes sont en effet attirées par un idéal masculin particulier, clairement stéréotypé à l’ancienne. «Dans les sphères djihadistes féminines, on constate souvent un rejet de l’homme à l’occidentale aux allures plutôt efféminées pour se tourner vers des figures aux attributs considérés comme plus masculins, les vrais hommes», relève à son tour Géraldine Casutt, doctorante sur le djihad au féminin à l’Université de Fribourg.

La chercheuse cite l’exemple de photomontages circulant sur les réseaux sociaux:

D’un côté, on voit un homme un peu freluquet et imberbe qui se met de la crème sur le visage et de l’autre un djihadiste barbu sur le terrain en Syrie et qui exhibe fièrement sa kalachnikov. Le premier apparaît avec la légende Votre type d’homme, tandis que le second indique Mon type d’homme.

Le mâle vertueux

Face aux hommes occidentaux, les moudjahidin représentent également, dans l’esprit de ces jeunes femmes, un gage de fidélité. «Si cet homme est prêt à mourir pour Dieu, c’est donc un homme bon. Ce n’est pas quelqu’un qui va me faire des coups bas. Je ne serai donc ni déçue ni trahie», résume prosaïquement Matthieu Suc, auteur de «Femmes de djihadistes» (Ed. Fayard), un essai très documenté sur le sujet. La loyauté est également mise en avant par une des interlocutrices de la spécialiste en science des religions Géraldine Casutt: «En Occident, tromper son partenaire, c’est limite un mode de vie. Dans l’Etat islamique, c’est interdit.»


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Mais qui sont ces jeunes filles, charmées à l’idée - qui peut apparaître surréaliste - de connaître l’amour dans les bras d’un djihadiste? Le journaliste Matthieu Suc tient à souligner la variété des profils. «C’est un melting-pot. L’ensemble de la société est concerné, pas seulement les musulmanes. Des converties aux Maghrébines, en passant par des Africaines, et des habitantes des cités françaises aux adolescentes issues de familles de notables.» Toutes semblent pourtant avoir un point commun: une fracture personnelle.

Réparation affective

«Nous ne sommes pas dans le cliché de vierges venues du bled pour un mariage arrangé, fait-il remarquer. Ce sont des jeunes femmes qui ont vécu et souffert par le passé. Elles ont traversé des drames familiaux ou connu, pour certaines, une vie sexuelle assez agitée et des déceptions amoureuses. Elles vont alors chercher dans l’islam radical un refuge.» Le psychiatre Xavier Pommereau appuie encore cette explication:

Ces jeunes filles sont toutes en grande difficulté identitaire, en déshérence. Elles sont en quête d’une réparation affective.

Pour sa part, Géraldine Casutt se méfie de cette perception trop victimaire. «On a tendance à expliquer cet engagement féminin comme étant le fruit d’une manipulation, avertit-elle. Or, les femmes qui partent là-bas aujourd’hui sont généralement très conscientes de ce qui les attend.» Selon elle, la lutte contre cette propagande se heurte à notre difficulté à concevoir ce que des personnes éduquées dans une société occidentale pourraient trouver d’épanouissant dans une idéologie perçue comme liberticide, en particulier envers les femmes elles-mêmes. Nous butons en quelque sorte sur une interrogation mal formulée: «Comment pourraient-elles se réaliser en tant que femmes en étant cantonnées dans un simple rôle d’épouse et de mère, qui plus est dans un pays en guerre?, appuie la chercheuse.

Un amour héroïque

Les femmes qui s’enrôlent aux côtés d’un djihadiste ont pourtant leurs propres attentes, précise la doctorante. «L’Etat islamique offre une forme de reconnaissance pour le rôle d’épouse et de mère que nos sociétés occidentales séculières ne donnent pas aux femmes qui choisiraient de rester à la maison pour s’occuper de leur foyer.» Ces anonymes sont alors valorisées, au sein de l’EI mais aussi au sein de la société, comme le pointe Matthieu Suc: «Vous publiez sur Twitter une photo de votre linge en train de sécher et tout le monde s’en fiche. Vous précisez qu’elle a été prise à Raqqa, en Syrie, et vous gagnez 20 000 followers, tandis que 20 journalistes vont vous contacter. Voilà, vous devenez quelqu’un.»

Pour le Dr Pommereau, le combattant islamique joue également, dans certaines histoires, le rôle assigné par le passé à la figure du bad boy: soit celui qui opère la rupture et garantit le frisson de la transgression. «Tomber amoureuse d’un djihadiste est parfois la seule façon que ces jeunes filles trouvent pour exprimer leur opposition. Elles n’ont pas réussi à rompre autrement.» C’est le bon vieux fantasme du «Toi et moi contre le monde entier», façon Bonnie and Clyde. Une façon également pour les deux amants incompris de toucher à une forme d’absolu. «On assiste à une mise en scène du couple idéalisé, dont l’adhésion aux mêmes thèses idéologiques est le ciment de l’union, observe Géraldine Casutt. Un couple qui se construit en opposition à l’Occident qui l’a vu naître et contre lequel il se dit prêt à tout.»

Devenir veuve, un gage de prospérité?

Toutefois, derrière ce fantasme d’amour héroïque se cachent parfois des sentiments moins glorieux. L’épouse d’un djihadiste peut ainsi avoir fait ses petits calculs personnels, comme le soulève Matthieu Suc: «Etre la veuve d’un djihadiste tombé au combat vous donne un statut social. Vous serez prise en charge par l’EI, votre logement sera assuré, etc.»

Géraldine Casutt veut d’ailleurs clarifier les choses une fois pour toutes:

Il ne faut pas croire que les hommes ont nécessairement l’ascendant idéologique sur leur femme. Il y a régulièrement des cas où c’est la femme qui a motivé son conjoint à adhérer aux thèses djihadistes.

Le cynisme n’est pas non plus à exclure. Ainsi, selon une certaine interprétation du djihad, être la veuve d’un kamikaze vous ouvrirait directement les portes du paradis. En attendant de pouvoir vérifier cette macabre promesse, les conjointes des djihadistes connaissent surtout l’enfer sur terre. Au travers d’un récit autobiographique, «Dans la nuit de Daesh, confession d’une repentie» (Ed. Robert Laffont), Sophie Kasiki conte l’horreur qu’elle a vécue au sein de l’EI, prisonnière d’une mafada, «une espèce de garderie dans laquelle on enferme les femmes en attente d’un époux, a-t-elle confié à «L’Express». Les femmes sont essentiellement là pour procréer. Elles ne doivent pas exister.»

Mais qu’il soit romantique, transgressif ou idéologique, l’attrait exercé par les djihadistes ne semble guère faiblir. Quel que soit le prix du désenchantement.

Témoignage: Nadia*, une jeune Française échappée de Syrie

«Je parle pour ouvrir les yeux aux jeunes filles qui y vont en se disant: oui, l’Occident est contre nous, et Daech, c’est le califat. Mais ce n’est pas un califat, c’est une secte. (…) Ils m’ont dit: Si tu veux sortir de cette maison, il faut te marier. Sinon tu y restes à vie, tu ne sors pas. Il est interdit d’appeler ses parents, d’avoir accès à Internet, tout est interdit. On nous dit que c’est pour notre sécurité. (…) La plupart des recrues de l’EI sont des convertis. Ils ont très peu de pratique du Coran, ils sont plus poussés par la haine ou l’envie de faire la guerre. (Là-bas), il y a juste des armes, et les femmes ne viennent que pour le repos du guerrier.»

*Prénom d’emprunt Source: AFP, juin 2015

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