Femina Logo

news société

Chronique: La tomate comme force de frappe

Femina 35 Chronique Sonia Arnal

Sonia Arnal est rédactrice en chef adjointe du Matin Dimanche. Dans sa vie comme dans la vôtre, rien ne se passe jamais comme il faudrait...

© Silke Werzinger

Les tomates, plus précisément. Ceux qui parmi vous sont plombier, garagiste ou électricien voient sûrement de quoi je veux parler, très sollicités que vous êtes par vos amis pour ce petit raccord à faire («j’appellerais bien une entreprise, mais elle va me facturer 180 francs juste pour le déplacement, tu viens me tirer ce fil et on se fait des grillades ensuite, ce sera sympa») ou les pneus d’hiver à vite changer «entre deux clients».

Moi, tout ce que je sais faire de mes mains, c’est pianoter sur un clavier d’ordinateur. Autant dire que ma USP est inexistante. Pour ceux qui contrairement à moi ne se seraient pas astreints à une formation pleine de charme en économie, ces lettres sont l’acronyme de «Unique Selling Proposition», autrement dit ce qui fait ma valeur marchande en me distinguant de mes concurrents grâce à mon unicité. Ma valeur à moi, c’est donc zéro, puisque ses lettres aux impôts, chacun les pond.

A partir du moment où j’offre mes fruits, l’autre est cuit.

Alors que mes tomates, locales puisqu’elles poussent au pied de mon escalier, bio puisque je n’ai pas le temps de m’en occuper et ne me souviens de leur existence que quand elles sont prêtes à être mangées avec de la feta ou de la mozzarella, c’est vous dire si elles ne sont pas traitées, sont un outil de négociation et de pression à la valeur inestimable. Car, oui, j’en distribue au travail. J’ai déjà stratégiquement fait des dons en nature à mon alter ego, au service juridique, au service image… Je n’ai pas encore engrangé tous les bénéfices de cet arrosage, mais il n’y a pas besoin d’avoir lu «Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques» pour vite voir à quel point celui qui reçoit vos modestes tomates se sent redevable. «… refuser de prendre équivaut à déclarer la guerre; c’est refuser l’alliance et la communion», comme le résume l’auteur de la fameuse analyse, Marcel Mauss.

En gros, à partir du moment où j’offre mes fruits, l’autre est cuit: il ne peut pas refuser, et une fois qu’il a accepté, il est obligé de rendre. Si possible à la hauteur de ce qu’il a reçu, sans quoi il demeure dans une position d’infériorité par rapport à moi – et j’aime autant vous dire que par les temps qui courent, la tomate locale bio cultivée dans mon jardin par mes blanches mains, ça chiffre haut. Donc les garagistes, les électriciens et moi, sous nos airs d’exploités, on a en fait une cour d’obligés dont on peut tout exiger – un outil de management bien précieux, moi je dis. D’ailleurs, depuis que j’ai réalisé ça, je me sens comme Kim Jong-un, avec mes tomates comme force de frappe nucléaire.

D’où le contre-don, pour payer en somme une sorte de dette morale.


A lire aussi:
Chronique: Les robots sont idiots
Chronique: les listes me courent sur le haricot
Chronique: Facebook me tyrannise

Podcasts

Dans vos écouteurs

E94: Les bienfaits du jeu vidéo sur notre épanouissement

Dans vos écouteurs

Tout va bien E89: Comment mieux comprendre nos rêves

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné