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Barbara Miller: «Pour les hommes, contrôler le corps des femmes, c’est contrôler le futur»
Femina En suivant le parcours de cinq femmes de divers horizons, vous dépeignez un tableau glaçant, celui de traditions, d’un bout à l’autre du globe, qui ont pour point commun l’obsession du contrôle du corps féminin.
Barbara Miller A l’origine de ce film, il y avait cette interrogation: comment les femmes du XXIe siècle, qui nous paraît si moderne et progressiste, vivent-elles leur intimité? Si on regarde l’histoire des derniers millénaires, on s’aperçoit en effet que les cultures ont très souvent diabolisé le corps féminin.
J’ai été stupéfaite de découvrir que dans les cinq grandes religions planétaires, en 2019, il y a encore largement cette idée que la femme apporte le mal au monde! Si les hommes sont à l’image de Dieu, les femmes, elles, sont des choses sans valeur, qui doivent se laisser contrôler, modeler, au gré des volontés masculines.
Quelles sont les conséquences de ces traditions?
Une majorité de femmes dans le monde ne connaissent pas une sexualité conjuguée au plaisir, au libre choix de la personne avec qui elles font l’amour, avec qui elles vivent. Au lieu de cela, elles entretiennent un sentiment de honte et de culpabilité à l’égard de leur corps et de leur anatomie, présentés comme dégoûtants, impurs.
On aurait pourtant tendance à penser que dans nos démocraties modernes, moins pieuses, on a un peu bousculé l’ordre divin?
Si la situation semble plus enviable dans les pays occidentaux, où les religions ont perdu en influence, où la sexologie moderne a permis de libérer la parole, il ne faut pas se laisser leurrer. Malgré les progrès réalisés, nombre de femmes sont encore prisonnières de tels schémas. En Suisse, par exemple, les enquêtes montrent que la plupart des femmes simulent l’orgasme, n’osant pas dire ce qu’elles veulent vraiment.
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En réalité, les structures de pensées se transmettent des religions aux institutions, et continuent d’influencer fortement les mentalités, même dans un environnement laïque. Face à une femme qui se dit victime de violence sexuelle, on va d’abord se demander si elle n’est pas un peu coupable de la situation.
Quant à la pornographie, omniprésente sur le web, elle perpétue le besoin de domination du corps féminin, alors qu’on est loin de tout cadre religieux a priori. Il suffit de regarder les réseaux sociaux. Instagram, Facebook, véhiculent toujours de manière globale cet impératif pour une femme d’être gentille, jolie, formatée pour le désir masculin. Les corps féminins sont par nature imparfaits, il leur faut sans cesse s’améliorer par la chirurgie, les poses, les vêtements, pour espérer être acceptés par la société.
D’où vient, selon vous, cette obsession séculaire de posséder et encadrer les corps féminins?
Des USA à la Pologne, en passant par la Hongrie ou le Brésil, les discours conservateurs concernant les femmes sont de plus en plus décomplexés et relayés. Êtes-vous inquiète?J’ai envie de dire oui et non, car j’observe deux tendances opposées à l’échelle de la planète. D’un côté, effectivement, beaucoup de nouvelles figures politiques, ancrées très à droite, cherchent à ralentir la progression des droits des femmes, voire à les faire reculer. Cela s’accompagne d’une montée du fondamentalisme dans nombre de grandes religions.
On en arrive à des conditions féminines qui s’avèrent plus difficiles qu’autrefois. Les femmes pakistanaises, afghanes ou irakiennes, dans les années 60 ou 70, avaient plus de libertés. Néanmoins, je vois aussi de plus en plus de femmes qui ont le courage de briser les tabous, jusque dans les pays où l’idée de plus grande liberté pour les citoyennes est loin d’être audible. Certaines risquent véritablement leur vie dans ces conditions.
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Je pense que pour toutes ces femmes qui militent, protestent, il y a ce sentiment qu’il y en a assez d’avoir honte de son corps, assez d’être cataloguées comme naturellement inférieures aux hommes. Auparavant, on n’en voyait pas autant dire non. Sans oublier que des hommes partagent ce combat, conscients que la seule chose qui fonctionne, c’est l’égalité des sexes. Ils montrent qu’on peut aller de l’avant ensemble, et pas en s’érigeant contre un genre ou un autre.
Certaines féministes refusent de voir leur combat rejoint par des hommes. Vous n’approuvez pas?
Je vois beaucoup d’hommes qui n’acceptent pas d’être identifiés au modèle d’un Donald Trump, à une masculinité irrespectueuse et dominatrice. Et puis, j’ai réalisé que les idées patriarcales sont aussi bien ancrées dans la tête d’un grand nombre de femmes, au point qu’elles légitiment de telles valeurs et vont jusqu’à les défendre.
Dans votre film, une reconstitution d’excision sur une vulve en pâte à modeler, dont on coupe le clitoris et les lèvres avec une cisaille, semble d’ailleurs choquer les spectateurs masculins comme féminins. Comme s’ils n’avaient jamais voulu voir ce que cela représentait concrètement…
Oui, et ce qui m’a choqué également, c’est que l’excision soit encore largement considérée comme un acte normal. Pourtant, à cause de ça, 200 millions de filles dans le monde ont perdu la chance d’avoir une sexualité agréable.
Beaucoup de femmes me disent que si la tradition consistait à couper le pénis des garçons, cela fait bien longtemps que les politiques de tous les pays se seraient élevés avec force contre une telle abomination et l’auraient interdite! Il a même fallu attendre cette année, pas avant, pour que le Tribunal fédéral condamne enfin une mère qui avait emmené sa fille à l’étranger pour lui faire subir une excision.
«Female pleasure», plaidoyer pour elles
Cinq femmes, cinq pays, cinq cultures, mais une même expérience: leur corps est sous la tutelle des hommes. En suivant le parcours d’une artiste japonaise censurée, d’une psychothérapeute luttant contre l’excision, d’une religieuse allemande ou encore d’une Indienne militant pour l’accès des femmes au plaisir, la réalisatrice suisse Barbara Miller brosse un dérangeant tableau. Celui d’une condition féminine mondiale toujours régie par les schémas patriarcaux.
Female Pleasure, un documentaire de Barbara Miller, dans les salles de Suisse romande depuis le 13 mars 2019.
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