Phénomène
Arts créatifs, cosmétiques, vêtements: le DIY est partout à la maison
A l’approche des Fêtes, les idées déco do-it-yourself fleurissent sur les réseaux sociaux. Loin des simples étoiles à découper dans un bout de carton doré, ce sont désormais carrément des sapins de Noël entiers qu’on nous propose de confectionner, tutos vidéo à l’appui, façon mon beau sapin, roi des forêts, pas la version mes enfants sont à l’origine de la déforestation de la moitié de l’Amazonie pour créer un collage avec le papier de l’imprimante. En mars 2020, c’est le pain maison qui nous a occupés. Au point que les étals des supermarchés, au rayon farine, étaient vides. Après la boulangerie, nous sommes passés à la couture. De nos petites mains habiles sont nés de jolis masques en tissu… et de manière générale, depuis plusieurs années, la tendance a pris de l’ampleur. Certains artistes-bricoleurs arrivent désormais à faire éclore au bout de leurs doigts cosmétiques, produits ménagers ou même vêtements. Mais qu’est-ce qui nous pousse à nous adonner à ces do-it-yourselferies?
Pour certains, c’est la fibre artistique qui leur a chatouillé les doigts. Au printemps, Angela Olivary a lancé sa marque de bijoux, Nudely, pour s’évader. La créatrice n’en était pas à son coup d’essai. Fan de cosmétiques naturels, elle avait déjà créé sa marque, Mellow Skincare, et ouvert un institut où elle utilisait ses produits. «Je les ai conçus d’abord pour moi, pour savoir ce que je mets sur ma peau. Comme j’en avais fait trop, j’en ai donné autour de moi», explique la touche-à-tout. C’est son entourage qui, convaincu par ses cosmétiques, l’a poussée à lancer sa marque. En plus de la vente par internet, plusieurs concept stores les distribuent. Une petite ligne, avec peu de produits. «Utiliser quatre, cinq, six sérums, crèmes et autres lotions chaque matin rien que pour le visage, c’est le marketing qui nous fait croire qu’on en a besoin.»
Ecolo-bricolo-économes
Les cosmétiques maison peuplent également la salle de bains de Daphné Cordier. «Faire moi-même mes soins du corps, non seulement c’est sympa, satisfaisant, mais je limite aussi les produits suremballés.» Elle souligne que, bien qu’elle ne soit pas médecin, elle remplace ce qui peut l’être par du naturel. «Je suis davantage à l’écoute de mon corps, je préfère par exemple employer un spray aux huiles essentielles sur mon oreiller plutôt que de prendre un somnifère, si je n’arrive pas à dormir. Non seulement ça coûte moins cher, mais si on peut éviter certains médicaments qui peuvent avoir un côté addictif…» Elle est rejointe par Sabrina Hueber, qui s’est d’abord tournée vers les produits maison pour soigner les petits bobos. «J’ai commencé par une huile essentielle d’estragon, sur les conseils de ma droguiste, pour soigner les allergies printanières.» Puis, le do-it-yourself a pris de plus en plus de place.
L’adepte du home made en a finalement fait un mode de vie: «J’ai viré les produits ménagers pour n’utiliser que du home made.» Elle dit aussi y trouver un réel plaisir: «Je fabrique mes propres luminaires, récupère et transforme de vieux meubles, couds ou tricote mes vêtements, modifie ceux qui dorment dans la penderie. J’ai aussi commencé à faire du pain pendant le confinement et n’ai plus arrêté.» Non seulement son porte-monnaie s’en porte mieux, mais son corps aussi: «Je sais ce que je me tartine sur la peau et ce que je mange!» assure-t-elle. Tout comme Daphné, qui ne fait plus de réactions aux produits ménagers depuis qu’ils sont faits maison. «Certaines marques industrielles me piquaient les mains et les yeux, ce qui n’est pas le cas de ceux que je fabrique, comme mon savon solide pour la vaisselle.
Bon pour le corps et les finances
Chez les plus jeunes, la récup’ est aussi tendance. Ainsi, Elodie Fouchon, 29 ans, préfère bricoler, retaper et redonner vie à de vieux objets. «Outre le côté écologique et économique, c’est aussi une démarche artistique. Et ce sont des pièces uniques!» explique-t-elle. «J’ai déniché un vieux miroir au mercure sur un site de petites annonces, ça vaut une fortune, et je l’ai payé une trentaine de francs. Ma mère est doreuse sur cadres, on lui a donné une seconde jeunesse ensemble.» Si Elodie reconnaît être entourée de personnes compétentes dans divers domaines manuels, elle s’est aussi attaquée à des travaux qu’elle ne maîtrisait pas. «J’ai trouvé un fauteuil ancien dans le débarras de ma commune… mais il était moche! J’ai donc arraché son velours bleu pour l’habiller autrement. J’ai demandé conseil à des professionnels. C’était un immense boulot, mais c’est très satisfaisant d’y être parvenue. Ça permet aussi de mieux comprendre les savoir-faire artisanaux.» La jeune femme, fan de culture amérindienne, fabrique aussi des attrape-rêves.
«J’ai regardé des tutos sur YouTube et je trouve l’inspiration sur Pinterest.» Aujourd’hui, Elodie ne bricole plus uniquement pour elle, elle vend ses œuvres sur Instagram et dans la boutique d’une créatrice de bijoux lausannoise. «La prochaine étape, ce sera la poterie. J’adorerais faire d’autres objets de déco ou ma propre vaisselle.»
Le phénomène n’est pas réservé à la gent féminine. Fondateur de la marque de vêtements Bimbo Clothing, Jérôme Duc s’est lancé dans le tie and dye, au printemps, avec son stock de t-shirts. «C’était très tendance en Californie et il y avait longtemps que je voulais m’y mettre. Or, comme il n’y avait rien de mieux à faire à ce moment-là…» Pour tromper l’ennui, le Fribourgeois a donc fait des tests de tie and dye dans son jardin. «J’ai utilisé des vêtements que je possédais déjà plutôt que d’en acheter.» Car, là encore, économies, écologie et art se rejoignent.
Un phénomène de niche qui grandit
Si les artistes-bricoleurs-amateurs de DIY n’étaient pas aussi nombreux avant le confinement du printemps, c’est ce dernier qui a réveillé cette tendance auprès d’un large public. Pour l’historien Dominique Dirlewanger, rien d’étonnant à cela. «Dans une phase d’incertitude, on est enclin à se replier sur notre repère, le lieu de survie. Ça nous donne une direction. L’énergie qu’on ne peut pas mettre dans les contacts sociaux, on la met là.» Même son de cloche pour Orlane Moynat, assistante de recherche et doctorante en sociologie de la consommation à l’Institut de recherches sociologiques de l’Université de Genève: «La période a eu un impact considérable sur les pratiques du quotidien. Pour gérer ça, certaines personnes ont développé de nouvelles compétences, notamment en cuisine, mais aussi dans les loisirs, pour passer le temps et rendre la période moins compliquée.»
Une démarche feel good? Oui, mais pas seulement. «C’est à la fois positif, on prend le temps de faire ce qu’on repoussait jusque-là et, en même temps, c’est un peu artificiel. Y a-t-il beaucoup de personnes qui ont continué à faire leur pain, depuis? On peut en douter», commente l’historien. Parmi ceux qui se sont découvert un talent de boulanger au printemps, certains ont assuré à Orlane Moynat, par ailleurs impliquée dans une étude internationale sur l’impact du confinement sur les pratiques quotidiennes, vouloir continuer à pétrir baguettes et banana breads, ou au moins essayer. Dans tous les cas, cet enfermement aura servi de catalyseur. «Faire plein de choses soi-même, ça existait déjà avant, mais c’était très niche, il semble que ce soit devenu un peu plus commun, souligne-t-elle encore.
Chez ceux qui se sont mis à faire leurs propres produits cosmétiques ou ménagers lors du premier confinement, la doctorante voit aussi l’expression d’un changement d’habitudes de consommation. «Les rayons vides ont pu pousser les gens à réfléchir. Les normes semblent avoir un peu évolué, on jette moins, on remet plus facilement en cause la surconsommation. D’où l’idée de faire plus soi-même, ses produits ou son propre pain, par exemple.» Etait-ce aussi un moyen, dans un climat anxiogène, de se donner un rythme passant par la cuisine? «Il est vrai que les gens cherchaient des stratégies pour contourner cette situation oppressante. Un moment en cuisine, de partage en famille, à faire son pain, sa pâte à gâteau, ça donne une autre dynamique.» L’angoisse ambiante est indéniable, elle s’est même illustrée par la littérature:
«Et il n’y a pas que le do-it-yourself qui a pris de l’ampleur au printemps, les gens se sont aussi mis à inventer des jeux Zoom compatibles pour s’amuser avec leurs proches à distance», se réjouit la doctorante. Si on s’est vite lassés des visio-apéros, le do-it-yourself, lui, pourrait rester. «Cette période a servi de catalyseur de réflexions. Tout semble être trop et on ressent le besoin de revenir aux bases. Les gens se sont rendu compte qu’il pouvait y avoir moins d’avions, moins de voitures et que c’était agréable. Finalement, ces tendances au DIY indiquent un possible changement d’habitudes dans nos sociétés», conclut Orlane Moynat.
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