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Gastronomie: les cheffes se réinventent

Gastronomie les cheffesse reinventent GUILLAUME MEGEVAND 3

«Pour moi, l’alimentation raisonnée et raisonnable, c’est juste logique en fait. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont toujours fonctionné comme ça.» - Tamara Hussian, cheffe indépendante

© GUILLAUME MEGEVAND

Dans la cuisine flotte une odeur de lomito saltado, une recette de bœuf sauté péruvienne, relevée par le parfum acidulé de l’écorce d’un citron vert râpé sur un yaourt frais. Toute de noir vêtue, Romina Pesolano, cheffe de cuisine chez Fusion des Sens, un service de traiteur et d’événementiel à Genève, commente ses préparations gourmandes avec un enthousiasme contagieux. C’est autour d’une table conviviale installée dans sa cuisine de Chêne-Bougeries qu’elle raconte son parcours, entre deux bouchées de carottes cuites dans leur jus, rehaussées en accompagnement par une pâte à tartiner de courge Butternut, muscade, pois chiche et maca.

Originaire d’Argentine, elle se souvient très bien quand est née sa passion pour la cuisine. «Petite, je passais mes week-ends à cuisiner des gâteaux pour faire des surprises à mes parents. À 13 ans, je savais déjà ce que je voulais faire de ma vie: cuisiner. Je suis entrée dans une école hôtelière de Buenos Aires à 17 ans, et je ne me suis plus jamais arrêtée», raconte l’Argentine de 43 ans. Sa formation en poche, elle affûte son talent entre grandes tables, traiteurs gastronomiques, maîtres cuisiniers de France, ambassades en Europe et en Argentine… Forte de son expérience dans ces nombreuses cuisines institutionnelles, elle aspire à une gastronomie moins standardisée, moins conventionnelle aussi. En 2008, elle se lance.

«J’ai commencé dans la cuisine de mon appartement. Mais très vite c’est devenu trop petit et compliqué lorsqu’il fallait cuisiner pour cent personnes. Quatre mois plus tard, j’ai trouvé les locaux où je travaille aujourd’hui, et j’ai créé Fusion des Sens, mon service de traiteur et d’événementiel sur mesure, qui mise sur la qualité du produit, l’artisanat et la cuisine fusion inspirée de mes voyages.» Une aventure gastronomique qui dure, mais qui est en pleine mutation depuis le Covid.

En pause forcée, Romina s’est réinventée en créant sa marque de restauration, Brünch and Brinner, et le lomito saltado dont on se délecte tout en discutant fait partie des délices qu’elle offre en dégustation sur livraison à domicile. La pandémie ne lui a pas fait lever le pied, bien au contraire. «Je ne suis jamais rassasiée de nouvelles expériences culinaires et de partage. Mon futur professionnel sera toujours dans la gastronomie, mais j’ai besoin de changer de rythme, d’avoir une activité plus constante et régulière. Une chose est sûre: je veux passer ma vie à apporter du plaisir culinaire et du bien-être physique par l’alimentation à tout le monde.»

Le boom des «cheffes volantes»

À l’instar de Romina Pesolano, de plus en plus de femmes font le choix de devenir «cheffes volantes». Pour redéfinir une nouvelle manière de vivre la gastronomie trop élitiste et conventionnelle dans certaines cuisines traditionnelles peut-être. Ou échapper aux horaires démentiels, au rythme épuisant et aux salaires plutôt bas. Quitte à vivre leur passion pour la cuisine avec les contraintes qu’elle implique, autant le faire en étant leur propre cheffe.

C’est le cas de Zuri Camille de Souza, cheffe née en Inde d’un père originaire du Kenya et d’une mère hindoue, qui a choisi l’indépendance totale et le nomadisme à la faveur de la pandémie, et qui est actuellement cheffe en résidence à la Villa Médicis à Rome.

Selon ses mots, relayés sur le site romain, la cuisine est «une méditation, une danse de fin d’été, un défi sans fin. C’est une lettre d’amour destinée à la nature et à son abondance et un moyen de rappeler la nécessité de repenser notre relation à l’écologie.»

Un autre rapport à l’art de la gastronomie, résolument orienté partage et développement durable.

Dans le même esprit, la Française Chloé Charles se définit comme une «cuisinière qui aime les gens, les produits et bien manger». Et qui aime surtout «nourrir les autres», comme elle l’écrit en accueillant les gourmands sur son site internet. Après plusieurs années passées dans les cuisines de grands chefs et un passage à Top Chef, celle qui rêvait d’ouvrir son restaurant a opté pour un espace d’un genre nouveau nommé Lago, à Paris, que les gastronomes peuvent privatiser, comme si Chloé Charles les recevait chez elle.

Chez Lago, on peut manger assis, debout, à 5 ou à plus de 40. De la gastronomie sur mesure, bien plus décontractée et dans l’air du temps que certains restaurants étoilés. En plus de régaler ses convives, la cheffe distille aussi des conseils à celles et ceux qui veulent ouvrir leur restaurant ou qui cherchent à diminuer le gaspillage alimentaire en cuisinant.

Une cuisine raisonnable et raisonnée

À Genève, Tamara Hussian s’engage, elle aussi, pour une gastronomie raisonnée. Cette trentenaire formée au Clos des Sens, 3 étoiles Michelin, puis cheffe du Bleu-Nuit dans le quartier de la Jonction, encensée par la critique gastronomique, joue les électrons libres depuis mars 2022. Cheffe volante, indépendante, nomade? «Je suis un peu de tout cela. Je n’ai pas envie de me poser de limites, et la cuisine, c’est avant tout sortir de sa zone de confort, commente Tamara Hussian. Je suis en train de mettre en place un projet sur comment utiliser les restes, aller au marché, choisir ses produits, ses producteurs. Pour moi, l’alimentation raisonnée et raisonnable, c’est juste logique en fait. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont toujours fonctionné comme ça, et tous les restaurants où j’ai travaillé aussi.»

Une proximité et un respect avec la nature et de l’environnement qui lui viennent autant de ses origines arméniennes où la cueillette sauvage est une tradition que de son enfance à Annecy à découvrir les richesses du jardin familial. «J’utilise beaucoup de bouillons que je fais avec des épluchures, des parures de viandes, de poisson aussi. J’achète les légumes chez mon maraîcher à Neydens – Maryse et Daniel Chaffard – avec qui je travaille depuis quatre ans. Quand j’utilise du citron, je choisis du bio, pareil pour les épices, en bio ou en sauvage. J’essaie d’utiliser le moins de plastique possible et de tendre vers plus de plastique du tout.»

Une manière de concevoir la cuisine plus vertueuse en somme, que ces néocheffes s’emploient à transmettre, toutes en mettant l’accent sur le fait que se nourrir bien, n’est pas une question de moyens, mais de sensibilisation et de partage de savoir-faire.

«C’est agréable de pouvoir transmettre des choses et des valeurs qui sont pour moi primordiales et me semblent dans l’air du temps», conclut la cheffe nomade.

Romina Pesolano, cheffe chez Fusion des Sens et à la tête de Brünch & Brinner

© GUILLAUME MEGEVAND

«Pendant treize ans, je ne me suis pas arrêtée de travailler. Même si j’avais voulu, jamais je ne me serais imaginé avoir trois mois de repos. Alors quand ils ont annoncé en avril 2020 que tout allait fermer, c’était dur, mais en même temps, j’ai pu revivre! Comme beaucoup de monde, je me suis remise en question. Depuis des années, je créais des concepts avec mon traiteur Fusion des Sens, de la cuisine à la déco, mais toujours pour les autres. Là, j’avais le temps pour moi. Je me suis alors demandé quel serait mon challenge pour la suite, quels étaient mes besoins au niveau culinaire et personnel.

J’ai toujours pensé que la cuisine gastronomique n’était pas assez accessible à tous, et je voulais partager ma cuisine avec le plus de monde possible. En parallèle, avec le Covid, il me semblait important de remettre en question l’alimentation elle-même, pour prendre conscience de son rôle protecteur en matière de santé, et notamment du système immunitaire. J’ai passé dix ans à étudier et cuisiner les plantes, à m’intéresser à la lactofermentation, à la conservation des aliments. Le temps était venu d’en faire profiter le plus grand nombre en partageant ma cuisine et mon savoir.

Mon futur professionnel sera toujours dans la gastronomie, mais j’ai besoin de changer de rythme, d’avoir une activité plus constante et régulière.

Romina Pesolano

Cheffe chez Fusion des Sens et à la tête de Brünch & Brinner

Ma marque de restauration Brünch and Brinner est née de ces réflexions. Brünch (ndlr: les ¨ sur le u pour le smiley), parce que ce sont pour moi les repas les plus ludiques où on peut manger ce qu’on veut, du sucré comme du salé, on passe du temps à table, on partage. J’aime cette synergie générée par la table et la nourriture et, durant le Covid, elle manquait terriblement. Brinner, parce que c’est la contraction anglaise de breakfast et dinner. Faire à manger aux gens toute la journée, pour nourrir le corps et l’esprit avec des aliments aux valeurs nutritionnelles mises en valeur.

Des plats de cuisine fusion, équilibrés, avec des thématiques autour de la vitalité, de l’immunité, ou tout simplement de l’apéro. Tout est proposé dans des boîtes de livraison cubiques que j’ai imaginées en même temps que les plats proposés. Tout est fait maison, des laits végétaux en passant par les cocktails ou les eaux thérapeutiques. Les cakes, les sandwichs et les pains sont cubiques, comme les boîtes. Et ce n’est pas pour rien. J’ai toujours aimé les ronds, symboles d’harmonie et de connexion.

Mais quand j’imaginais le packaging, je commençais à voir les choses cubiques. Avec un rond, ça ne s’arrête jamais. Le carré, je le visualisais comme un trajet de ma vie avec une bifurcation possible à droite ou à gauche au bout de la ligne. C’était la première fois en vingt-trois ans de métier où j’ai toujours couru que j’ai pu m’arrêter et avoir une perspective dans ma vie personnelle et professionnelle.»

fusiondessens.com et brunchandbrinner.ch

Tamara Hussian, cheffe indépendante

© GUILLAUME MEGEVAND

«L’année dernière, des ennuis de santé m’ont forcée à reconsidérer ma façon de travailler et poussée à quitter la structure du restaurant le Bleu Nuit, à Genève, qui depuis a été repris. À la base, je ne savais pas où j’allais ni ce que j’allais faire, et puis je me suis rendu compte combien l’éthique de travail était devenue d’autant plus importante pour moi vu les circonstances liées à la pandémie.

Le Covid a fait ressortir plein de choses que j’ai pu observer en étant bénévole pour la Soupe populaire ou en faisant mes courses quand je voyais combien les gens avaient peu de moyens mais aussi peu d’idées de repas nourrissants, équilibrés et du coup moins chers. En voyant ce qu’ils avaient dans leur panier, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour permettre à chacun de manger tellement mieux pour tellement moins cher. Et aller mieux du coup, car la nourriture est un pilier de la santé.

Pour moi, l’alimentation raisonnée et raisonnable, c’est juste logique en fait. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont toujours fonctionné comme ça.

Tamara Hussian

Cheffe indépendante

Depuis que je suis à mon compte, de nombreux clients me demandent des cours de cuisine – donnés à domicile pour faciliter la transmission – de type batch cooking, une cuisine du quotidien que je calque sur ma façon de cuisiner pendant les semaines de travail intense. Un peu sur le modèle de ce je faisais lorsque je travaillais en restaurant pour mes propres gamelles: le samedi soir je mettais plein de légumineuses à tremper, je les agrémentais le dimanche et j’en avais un peu pour toute la semaine. Ce sont des choses qui pour moi sont basiques et que j’aime partager.

Que ce soit pour une offre gastronomique ou une cuisine du quotidien, donner du sens à mon métier me tient à cœur, tout comme aider à mettre en place des mécanismes permettant de «mieux manger», dans le respect du vivant et de tous. J’aime ces rencontres, avec des personnes de tous horizons et les prises de conscience que cela peut impliquer, toujours dans l’échange, le plaisir et le partage!»

tamarahussian.com

Manque de main-d'œuvre, l'exemple de Rosalie Muriset

© GUILLAUME PERRET

En Suisse, la branche a souffert pendant les fermetures, et peine aujourd’hui faute de main-d’œuvre qualifiée. «Diverses mesures sont nécessaires pour lutter contre la pénurie de personnel qualifié. C’est pourquoi GastroSuisse a lancé un plan d’action en cinq points pour tenter de remédier à cette situation. Ce plan prévoit notamment d’augmenter l’attractivité des apprentissages et de proposer suffisamment de places», commente Patrik Hasler-Olbrych de GastroSuisse. Du côté de l’EHL Hospitality Business School, c’est dans les reconversions tardives que l’on constate un engouement, notamment avec le programme Culinary & Management Certificate (CREM) qui propose en cinq mois une formation pratique et académique offrant aux personnes participantes les outils nécessaires pour être responsable de leur propre restaurant.

Ainsi à Neuchâtel, Rosalie Muriset, 30 ans, a franchi le pas en ouvrant son restaurant avec son compagnon en 2017: «J’ai un master en géographie mais j’avais toujours le rêve d’être indépendante. Mon ami est cuisinier et avait envie d’avoir son restaurant, alors on s’est lancé. On s’est alors rendu compte que de tenir un restaurant demandait un grand investissement financier. Ça nous a obligés à prendre en main, à nous deux, toutes les tâches pour le faire tourner, du service à la comptabilité et au nettoyage.»

Et puis le Covid est arrivé. L’occasion pour le couple de se réinventer, avec de la vente à l’emporter et un service de livraison. «En plus de notre restaurant, Take a Break, nous avons développé une plateforme de Food Corner Digital regroupant plusieurs enseignes auprès desquelles les clients peuvent commander autant des tartares et des spécialités portugaises que des brunchs.»

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