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Etre trop belle, quel enfer!

Etre trop belle, quel enfer!
© Getty Images

«D’après mon expérience, plus une fille est belle, plus elle est folle. Ce qui fait que vous devez être complètement tarée.» Cette tirade qui décoiffe, lancée par Ryan Gosling à Michelle Williams dans le film «Blue Valentine», n’est pas devenue culte par hasard. Elle verbalise cette impression que la grande beauté féminine, si enviée, tellement désirée, véhicule paradoxalement une sorte de malaise. Pourtant, non, les canons de ce monde ne sont pas fous à lier, cher Ryan. C’est juste qu’arborer un tel physique, 24 heures sur 24, n’est pas toujours aisé à assumer.

Evidemment, on entend d’ici la réplique facile: «Et puis quoi encore, oser se lamenter d’être belle?» Comment, en effet, se plaindre d’avoir été gâtée par la nature, quand tant d’autres se regardent de travers dans le miroir, en rêvant d’un corps parfait dans une autre vie? Même les sociologues en rajoutent une couche, eux qui parlent de «Beauty Premium» pour qualifier ces «privilèges» apportés par une plastique notée triple A.

Certes, on trouvera des souffrances cent fois pires. Et pourtant, derrière le décor idéal de la perfection, il existe bien un côté obscur de la beauté: discriminations, réduction à une image fabriquée par les autres, relations humaines gangrenées par des ambiguïtés diverses, au point de perdre en route son estime de soi et de tout être humain. Les chercheurs anglo-saxons ont même récemment forgé le terme de «beautism» à propos de ces pièges tendus aux très belles personnes par la société. Des situations qui, se conjuguant au quotidien, peuvent en effet être à l’origine d’un certain mal-être, surtout chez la gent féminine. «On continue à faire du physique la qualité principale d’une femme, déplore Nadia Ammar, sociologue à l’Université de Genève. La pression sociale pour qu’elle vise la perfection plastique est donc plus forte que sur un homme, tandis que l’ère des selfies renforce cette obligation pour elles d’afficher une image au top.» Extrêmement difficile, donc, de sortir de ce cercle vicieux: tout miser sur sa beauté peut rendre malheureux, mais vouloir se défaire de l’apparence vous met en situation de hors-jeu social. Bonjour le casse-tête.

Icônes malgré elles

Cette perfection de l’enveloppe corporelle finit par contaminer tous les autres aspects de la personne dans le regard d’autrui. Etre belle, c’est logiquement avoir une belle âme, un beau parcours, une humeur rayonnante. «Nous avons tendance à rapprocher la beauté du bon et du bien, observe Raffaella Poncioni, sociologue à la Haute Ecole de travail social de Genève (HES-SO). Présentées comme des icônes physiques autant que morales, ces femmes incarnent alors l’idéal de toute la société.» Autant dire un statut intimidant qui peut inspirer la culpabilité de n’être qu’une imposture et une caricature, note la psychologue et sexologue Marie-Hélène Stauffacher. «On ne peut pas percevoir ces filles de façon neutre, étant en décalage permanent par rapport aux autres. Or la plupart ne se voient pas si belles que ça, elles aussi ont des complexes et les cheveux gras le matin! Elles se considèrent comme des êtres vivants, mais on ne les regarde que comme des déesses.»

Elevées au firmament par leurs congénères, la chute est donc sans commune mesure lorsque, soudain, une défaillance est décelée dans cette aura de perfection. On se souvient du cas d’Axelle Despiegelaere, cette supportrice belge repérée dans les tribunes d’un stade lors de la dernière Coupe du monde de football. En quelques jours, elle était devenue le fantasme de tout l’internet, transfigurée en nouvelle égérie d’une maison de cosmétiques. Mais la révélation de son goût pour la chasse en Afrique l’avait déchue tout aussi subitement. Plus de carrière dans le mannequinat, finis les projecteurs. En échange, un lynchage 2.0 en règle. Tuer des antilopes, même légalement? Incompatible avec la stature de Miss Perfect.

«Ce genre de faux pas rassure les gens, constate Marie-Hélène Stauffacher. En cataloguant ces femmes «belles mais pas très malignes», on se dit: «Ouf, elles n’ont finalement pas tout!» Leur réussite était facile car gagnée sans véritable mérite.» Souffririons-nous donc du syndrome de la sorcière de Blanche-Neige, qui trépigne secrètement de voir se briser tout miroir renvoyant l’image de son imperfection? Oui, c’est moche…

Des amis qui veulent plus

Une mécanique de fascination-répulsion qui se répète même au quotidien, dans la moindre relation. L’amitié? Il y en a, bien sûr. A moins que… «Que je sois célibataire ou en couple, nombre de connaissances et même de très bons amis jouent un jeu équivoque avec moi, témoigne Nina, 28 ans. Il y a des suggestions de sorties à deux, à connotation romantique, des allusions laissant penser que leur vraie motivation est d’aller plus loin avec moi.» Dans une existence où l’on rencontre beaucoup de désir mais finalement si peu d’amitié, comment ne pas perdre totalement confiance en les gestes et les mots de la gent masculine?

Situation angoissante, délicatement abordée par le réalisateur français Arnaud Khayadjanian dans son récent court-métrage «Bad Girl». Il y met en scène Mathilde, sa compagne dans la vie, l’une de ces filles «trop belles» pour être une amie. «Vous me brisez le cœur à toujours me voir avec vos mains, murmure-t-elle en s’adressant à un groupe de garçons. Je suis prise au piège de vos hommages furtifs. Pas un n’approche. Tous me contemplent.»

D’où cette désagréable sensation, parfois, d’être «un bien commun», détaille Camille, 25 ans, tout en passant pour l’objet du désir inaccessible face aux inconnus. En 2012, l’actrice Mila Kunis, alors célibataire (ndlr: elle a depuis épousé Ashton Kutcher), se plaignait que les hommes ne l’abordent pas, rebutés par sa plastique exceptionnelle et le risque d’être brutalement rembarrés. «Les très belles femmes sont souvent taxées d’indifférence et de froideur, qui ne sont en réalité qu’un mécanisme de défense sous le poids des regards omniprésents, analyse Marie-Hélène Stauffacher. Malheureusement cette réputation peut les suivre jusque dans leur vie sexuelle, car connaissant surtout des rapports basés sur le paraître, certaines ne sont pas à l’aise dans la vérité de l’intime: elles craignent de ne pas être autant à la hauteur dans le lâcher-prise.»

Rendre sa beauté utile

Pis: l’entourage se met parfois à juger la qualité d’un amoureux à l’aune de la magnificence de la belle, comme l’écrit Leïla, une internaute de 20 ans, sur un forum. «Plusieurs proches m’ont dit que je pouvais trouver mieux, vu mon physique. Je suis heureuse avec mon copain, mais à force d’entendre ces réflexions, je commence à douter de la force de mes sentiments pour lui.» Cruel, mais finalement peut étonnant selon Nadia Ammar: «Notre société encourage encore les femmes à rentabiliser leur beauté.» Comme s’il fallait dénicher la meilleure marchandise avec l’investissement disponible…

Et puis, il y a les autres femmes. Avec elles, le mode «séduction perpétuelle» fait place à un étrange ballet un peu rigide où l’on se jauge de loin, sans interagir vraiment. «Les filles m’ont souvent considérée comme une potentielle rivale, raconte Philippine, très jolie blonde de 19 ans. La plupart préfèrent me critiquer plutôt qu’essayer de me connaître. Au départ, je ne savais pas que ce comportement était dû à mon physique. C’est une étudiante qui a fini par m’expliquer pourquoi les personnes du groupe que je fréquentais à l’uni, et notamment les filles, restaient assez distantes avec moi, sans se montrer réellement méchantes.»

Isolement et hostilité, voilà le cocktail parfois indigeste de l’ultrabeauté. «Derrière les fastes des apparences, beaucoup de ces femmes vivent une relative solitude, diagnostique Marie-Hélène Stauffacher. Cette situation de détresse affective peut générer une véritable souffrance.» Evidemment, le phénomène ne s’arrête pas aux bancs de l’université. Rebelote au travail, où n’importe quel open space se transforme soudain en bouilloire incontrôlable dès que l’une de ces femmes y pose le pied. «J’ai croisé des employeurs qui se méfiaient des filles trop belles parce qu’elles allaient créer des tensions et des perturbations dans le comportement de leurs collègues», affirme ainsi Cynthia, membre d’un cabinet de recrutement.

Une bombe au bureau

D’ailleurs si plusieurs études laissent penser que les canons ont plus de chances de trouver un job, d’autres travaux démontrent l’inverse. Les très belles femmes seraient ainsi discriminées lors des entretiens d’embauche, à en croire une enquête israélienne de 2012, car se heurtant à la jalousie du personnel des départements de ressources humaines, assez souvent féminin… Quant aux chercheurs de l’Université du Colorado, ils ont prouvé en 2010 que la beauté était un handicap pour les candidates briguant un poste «typé» mâle: ingénieur, directeur de recherche ou gardienne de prison… Décidément, être le mannequin d’à côté n’est pas un long podium tranquille.

Le «Beauty Premium, la vie rêvée des canons?

Certes, arborer le physique d’une Scarlett Johansson ou d’un Ryan Gosling n’est pas forcément facile à gérer. Mais la vie réserve malgré tout quelques privilèges aux gens beaux. C’est même la science qui le dit: notre espèce semble conditionnée pour favoriser les plastiques désirables. Les canons, chouchous de mère Nature? Réponse avec quelques études universitaires.

Des interlocuteurs plus enthousiastes Pour un homme hétérosexuel, discuter avec une belle femme équivaudrait à se faire débrancher une partie du cerveau, affirme une étude japonaise de 2011. En cause? Il perd en capacité de mémorisation et de concentration, car «trop focalisé sur la reproduction», et oublie en route une partie de son sens critique… Idem lorsque madame est à l’autre bout du fil. A en croire des travaux datant de 1977, un homme sera bien plus gentil avec une inconnue qui l’appelle s’il est persuadé que celle-ci est séduisante.

Des jugements plus cléments Une étude parue en 1975 montrait déjà qu’au tribunal les accusés au physique avantageux écopaient de peines plus légères pour un même motif d’accusation. Plus récemment, des travaux ont prouvé que les professeurs se montraient un peu moins sévères sur les copies des élèves très beaux. Et dans le couple aussi: les femmes pardonnent plus facilement infidélité et autres comportements moralement condamnables à un bel hidalgo.

Des partenaires plus jolis Les couples Serge Gainsbourg-Brigitte Bardot et Woody Allen-Diane Keaton sont un peu les exceptions qui confirment la règle: nous tendons à nous mettre en duo avec des personnes se situant au même niveau sur l’échelle de la désirabilité physique. Comme l’a montré le psychologue américain B.I. Murstein lors d’un test réalisé avec plusieurs centaines de couples, la meilleure chance pour être dragué par un canon, c’est d’en être un soi-même…

Des revenus plus élevés Etre gâté par la nature serait synonyme de train de vie confortable. C’est ce que révèle une étude australienne publiée en 2013, qui parle même d’une sorte de «prime à la beauté». Les hommes au physique très avantageux gagneraient ainsi 9% de plus que les autres, ce qui représente la bagatelle de 235 000 francs sur l’ensemble d’une carrière. Reste que le phénomène est un peu moins spectaculaire pour les belles femmes, dont la fameuse «prime» atteint tout juste les 4%. Oui, même chez les beaux, le sexisme existe.

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