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Femmes pionnières: Delia Derbyshire, la musique techno lui dit merci

Naila Maiorana

Après l’obtention de deux licences en 1959, fascinée par le monde du son et de l’acoustique, elle tente de se faire engager chez Decca Records, mais se voit notifier une fin de non-recevoir: «L’entreprise n’emploie pas de femmes dans ses studios d’enregistrement.» Loin de se décourager, la jeune femme part travailler quelques mois pour l’ONU, à Genève, puis, en 1960, de retour à Londres, elle entre à la BBC.

© Naila Maiorana

Avoir son allure d’institutrice BCBG et son sourire un rien figé, il reste difficile d’imaginer que Delia Derbyshire est une précurseuse. Comment penser que c’est elle qui, dès les années 1960, par ses bidouillages de bandes magnétiques et son art de réinventer les collages electro-bruitistes de la musique concrète*, a ouvert la voie aux mouvements techno, ambiant ou trance? Toutefois, les faits sont là: méconnue du grand public, elle est une référence incontournable de la culture electro. Des groupes comme Add N to (X), Aphex Twin, The Chemical Brothers ou encore Portishead se réclament d'ailleurs régulièrement d’elle.

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Maths et musique

Pourtant, rien ne la prédestinait à devenir musicienne d’avant-garde. Née en 1937, à Coventry (G-B), dans une famille modeste, elle subit très jeune les affres de la Seconde Guerre mondiale – les bruits de bombes et des sirènes d’alerte la marqueront à vie – et manifeste une soif d’apprendre hors du commun. La légende veut qu’à l’âge de 4 ans, la petite Delia fait la classe à ses petits camarades, leur apprenant à lire et à écrire et qu’elle a rapidement montré un talent impressionnant pour les mathématiques. Vers 8 ans, elle empoigne le piano «comme on empoigne un problème de logique», note le compositeur anglais Mark Ayres. Ce que confirme le compagnon de Delia, Clive Blackburn:

«Son approche de la musique et sa manière de composer étaient très matheuses: elle utilisait des graphiques ou des rubans millimétrés plutôt que des feuilles de partition», raconte-t-il dans un documentaire récent. Quoi qu’il en soit, en 1956, elle reçoit une bourse pour étudier les maths et la musique à Cambridge.

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Le tournant «Doctor Who»

Après l’obtention de deux licences en 1959, fascinée par le monde du son et de l’acoustique, elle tente de se faire engager chez Decca Records, mais se voit notifier une fin de non-recevoir: «L’entreprise n’emploie pas de femmes dans ses studios d’enregistrement.» Loin de se décourager, la jeune femme part travailler quelques mois pour l’ONU, à Genève, puis, en 1960, de retour à Londres, elle entre à la BBC. Là, elle fait d’abord de la critique musicale et, dès 1962, s’impose comme directrice adjointe de studio. Son rôle? Créer des bandes-son pour des reportages, documentaires et émissions de radio ou de TV. Sa manière parfaitement inattendue de moduler et de s’amuser en juxtaposant des bruitages hétéroclites, des notes et des rythmes fait merveille.


Delia en plein travail, dans son studio de la BBC © Wikimedia-Commons

Si bien qu’en 1963, elle se voit confier l’arrangement et la réalisation de la partition du générique de la cultissime série Doctor Who, initialement composée par Ron Grainer. Elle invente alors un genre de pop concrète à partir d’un oscillateur électrique et du son d’une unique corde de basse – un matériau qu’elle manipule sur des bandes magnétiques. «Aujourd’hui, tout cela se fait sur ordinateur, explique Mark Ayres. Or, à l’époque, elle ne disposait même pas d’enregistrements multipistes et devait faire ses boucles et ses montages manuellement. C’était un travail de titan: elle enregistrait un bruit ou un rythme sur une bande, ne gardait que la milliseconde qu’elle voulait, réenregistrait, recoupait, recollait.

Elle était très méticuleuse et chaque note devait être créée séparément sur une bande distincte. Pour mixer le tout, elle faisait tourner toutes les bandes simultanément pour les enregistrer sur un autre appareil.» Le compositeur ajoute:

«C’était un véritable génie des sons: elle sentait que grâce au hululement d’une machine électrique ou qu’en tapant avec une baguette de batterie sur un abat-jour en métal, une boîte en fer-blanc ou des bouteilles de vin, par exemple, elle allait pouvoir sortir un truc particulier qui donnerait l’ambiance qu’elle voulait!»

Sa manière de revisiter la partition de Doctor Who subjugue d’ailleurs encore et le compositeur du thème, épaté par le résultat, demanda aux producteurs de la série: «J’ai vraiment écrit ça?» Hélas pour elle, en tant qu’employée maison, elle n’est pas créditée au générique.

Petit à petit, sa patte si singulière lui vaut une belle réputation dans les milieux culturels et de plus en plus d’artistes ou de groupes font appel à elle, à sa vision. Ce qui la fera collaborer avec les Beatles, Yoko Ono, Peter Zinovieff, Pink Floyd, Brian Jones ou Paul McCartney… mais le temps passe et, au milieu des années 1970, agacée et «désillusionnée par l’évolution que semble suivre la musique électronique», elle quitte Londres et gagne sa vie en travaillant dans une librairie, dans une galerie d’art puis dans un musée – tout en continuant à «chercher» et composer «pour elle», relève son conjoint.

Dans les années 1990, un peu amère, mais toujours à l’écoute de ce qui se passe, elle se réjouit de voir débarquer la house et la trance. Elle sort de sa retraite et réenregistre quelques pièces: «Delia avait l’impression d’une sorte de retour aux valeurs musicales qu’elle chérissait», relève Mark Ayres. Malheureusement, rongée par l’alcool, elle meurt en juillet 2001 d’une maladie des reins. Elle avait 64 ans.

* Notamment théorisé en France par Pierre Shaeffer à partir des années 1940, le mouvement de musique concrète se propose de ne plus utiliser systématiquement des instruments mais de superposer, mixer et faire tourner en boucles des rythmes et des bruits préenregistrés.

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Hedy Lamarr: le Wi-Fi, c'est elle qui l'a inventé


Née en 1914 en Autriche, Hedy Lamarr avait une tête aussi pleine que bien faite. ©Wikimedia-Commons

Sublimement belle, Hedy Lamarr était aussi suprêmement intelligente. La preuve? En 1941, la star hollywoodienne née en 1914 et qui a joué sous la direction de réalisateurs comme King Vidor, Jacques Tourneur ou Cecil B. DeMille, invente avec le compositeur Georges Antheil un système de radiocommunication toujours utilisé pour le positionnement par satellites (GPS), les liaisons chiffrées militaires, la téléphonie mobile ou encore dans la technique wi-fi. Tristement, trop jolie pour être prise au sérieux dans les milieux scientifiques et délaissée par le cinéma qui dédaigne les actrices vieillissantes, elle meurt seule et oubliée à l’âge de 86 ans.

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