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Chronique: «La Joconde», des touristes et un selfie

Decosterd chronique joconde

«J’ai été attiré par d’autres tableaux de la salle et me suis demandé pourquoi c’était La Joconde qui avait droit à sa paroi et son cordon de file d’attente. Il semblerait que cela tienne à deux critères: à l’époque, c’est l’un des rares tableaux dont le modèle ne soit ni un panier de fruit, ni Jésus. Et puis, surtout, elle a été volée en 1911. Donc si vous avez piqué un Femina dans une caissette (pour lire cette chronique géniale), je vous pardonne.» - Benjamin Décosterd

© David Zorrakino Europa Press / Getty-Images

La Joconde – ou Mona Lisa pour les intimes – c’est le portrait d’une dame sépia qui a un sourire mystérieux. Mais à l’heure de Google Images, cela vaut-il encore la peine de se déplacer pour admirer les classiques de la peinture?

Pour le savoir, il faut que je vous conte mon escapade dans les salles du Louvre. Après être entré dans le musée, je me suis égaré vers les statues grecques. En traversant cette jungle de marbre (et de zizis, de seins et de fesses), j’ai dû rater un panneau. Ce qui m’a permis d’admirer l’Hermaphrodite endormi (magnifique. Lisez Plonger, de Christophe Ono-dit-Biot, ça vous fera aimer les livres et les sculptures).

Bref, après une vingtaine de minutes, j’ai fini par admettre que j’avais encore moins de fierté que de sens de l’orientation. J’ai donc demandé mon chemin et fini par trouver la Joconde. Une fois dans la file qui menait au tableau (oui parce qu’il faut faire la queue entre des cordons), j’ai constaté que la peinture n’était pas un art aussi élitiste que je pensais.

Devant moi, une horde de touristes étaient prêts à en découdre – la distance sociale plutôt impatiente et le pouce frémissant en prévision du selfie à prendre. Les gens s’inquiétaient plus de devoir prouver qu’ils avaient vu le tableau, que de le regarder vraiment. J’ai trouvé que c’était triste et me suis promis d’être plus attentif. Mais une fois devant La Joconde, rien. Le néant émotionnel.

Appel à la déambulation

Pour vous dire, ma première réflexion a été: «Mais il faut aller faire contrôler ce foie, c’est pas normal d’être aussi jaune.» Non, vraiment… En plus, le tableau est petit et on est loin, donc on ne voit rien.

«MADAME! LE MASQUE!» La gardienne du musée crie sur une touriste audacieuse qui a eu la prétention de vouloir deux sourires intrigants sur sa photo. Gardienne dont la bouche – elle – n’a rien de mystérieux, puisqu’on devine aisément la tronche qu’elle tire sous son masque à force d’exiger que les visiteurs n’enlèvent pas les leurs.

Après deux minutes, je suis parti. J’ai été attiré par d’autres tableaux de la salle et me suis demandé pourquoi c’était La Joconde qui avait droit à sa paroi et son cordon de file d’attente. Il semblerait que cela tienne à deux critères: à l’époque, c’est l’un des rares tableaux dont le modèle ne soit ni un panier de fruit, ni Jésus. Et puis, surtout, elle a été volée en 1911. Donc si vous avez piqué un Femina dans une caissette (pour lire cette chronique géniale), je vous pardonne.

En déambulant, j’ai remarqué un panneau explicatif sur cette Mona Lisa. Et si j’avais raté quelque chose? Et si un détail me permettait d’apprécier vraiment le tableau? Comme la maîtrise par De Vinci de la perspective dite atmosphérique, grâce à des dégradés de bleu qui créent une saisissante profondeur dans le paysage derrière le modèle, sur la gauche (toujours lire les explications pour frimer ensuite).

Je suis donc retourné voir l’œuvre, mais toujours rien, à part deux autres «MADAME! LE MASQUE!» Du coup, j’ai fait comme tout le monde: un selfie. En 2021, il est difficile de valoir mieux que son époque.

Donc oui, on peut se contenter de chercher La Joconde sur Google Images plutôt qu’en vrai. Mais allez déambuler au hasard des salles du Louvre. Parce que les musées sont comme nos pensées: le mieux est avant tout de s’y perdre.


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