culture
14 juin: 10 livres féministes et engagés à (re)lire
Les Aventures de China Iron, Gariela Cabezón Cámara, 2021 (Ed. de l’Orge)
Que serait l’envers subversif de notre héros national suisse Guillaume Tell? En Argentine, la question ne se pose plus. Avec la sortie de son deuxième roman Les Aventures de China Iron, Cabezón Cámara détourne courageusement les composantes identitaires classiques (machistes, sexistes, hétérosexuelles) d’un des célèbres personnages de la littérature gauchesque Martín Fierro (du poème fondateur de José Hernández, El Gaucho Martín Fierro). Audacieusement, l’autrice remplace Martin Fierro par une femme, une gaucha (ou china, la compagne du gaucho, gardien de troupeaux des plaines), qui s’émancipe de sa condition sociale au travers d’une série de rencontres sulfureuses et d’aventures amoureuses. Par cette transformation déstabilisante, elle aborde ingénieusement la question de l’identité et invite à fonder une société libre. La nature, si chère à l’écrivaine, est omniprésente dans ce récit bouleversant.
Et ces êtres sans pénis!, Chahdortt Djavann, 2021 (Ed. Grasset & Fasquelle)
Le récit est atypique, outrepassant les règles du roman. Chahdortt Djavann, narratrice d’une fiction inspirée de faits réels, raconte non seulement l’histoire de quatre femmes aux destins tragiques, mais elle devient aussi un des personnages. «J’ai toujours eu des règles douloureuses. Être femme ne m’a jamais convenu et à cela il y a de multiples raisons objectives. La période de préménopause, avec ses bouffées de chaleur, ses sautes d’humeur et des règles qui ressemblaient à des fausses couches, m’avait terrassée…», écrit-elle dans un premier chapitre autobiographique intitulé «Faute de naissance». Elle y confesse également une naissance «sans pénis après un frère mort».
Pour les chapitres suivants, elle rompt la narration en «je» pour raconter à la troisième personne du singulier quatre destins qui basculeront dans une horreur inimaginable pour avoir joué autour d’une fontaine, refusé un mariage arrangé en vivant un amour homosexuel, ôté son voile en public ou tenu tête à un mari puissant. Le récit nous entraîne de Téhéran à Ispahan. Dans le dernier chapitre, l’écrivaine reprend la première personne du singulier. Mais à l'opposé du premier, il est fictionnel. Elle invite au voyage en traversant l’Europe, l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour rentrer clandestinement dans son pays natal, l’Iran. Sur place, elle rencontre de grandes résistantes, membres de sa famille, qui changeront le cours de l’Histoire.
Lune de papier, Mitsuyo Kakuta, 2021 (Ed. Actes sud)
Au travers d’une histoire de tromperie, Mistuyo Kakuta explore les effets de la société japonaise sur la psychologie féminine. L’autrice nous embarque dans la success-story de Rika dont l’infidélité de son mari réveille en elle le désir de gagner en autonomie et de retrouver un semblant de vie sociale. En intégrant le monde du travail, elle reprend sa vie en main. Elle obtient avec brio un examen qui lui assure une porte d’entrée dans une banque où elle accède à un poste de cadre, puis devient une experte en gestion de produits d’épargne. De manière insoupçonnée, son existence ordinaire va basculer en épopée extraordinaire alors qu’elle est sur le point de mettre en place l'une des plus importantes escroqueries de l’époque.
Pas les mères, Katixa Agirre, 2021 (Ed. Globe)
On peine à imaginer un parent tuant sa progéniture. Pourtant le phénomène est aussi ancien que l’humanité. Dans ce thriller, Katixa Agirre s’attaque à l’infanticide, un sujet encore tabou dans nos sociétés. Son récit met en scène une romancière qui débute sa vie de jeune maman. Soudain, elle apprend qu'une de ses anciennes connaissances vient de noyer ses jumeaux dans sa baignoire. Les deux bébés sont retrouvés sur le lit parental par la fille au pair. Le fait divers secoue toute l’Espagne. Obsédée par ce drame et déterminée à comprendre le geste de la mère, elle se lance sans relâche dans une enquête saisissante. Le récit aux allures d'une chronique judiciaire questionne les difficultés, les fragilités et les bouleversements entourant la maternité. Une réalité brutale qui s'impose au silence pesant de la société.
L’enfant de la prochaine aurore, Louise Erdrich, 2021 (Ed. Albin Michel)
Le monde est terrassé par une apocalypse biologique: l’humanité a cessé d’évoluer. La démocratie a cédé la place à une dictature religieuse où les kidnapping de femmes enceintes terrorisent la population. La célèbre romancière nous entraîne dans une Amérique désormais totalitaire qui oblige les femmes enceintes à se signaler. C’est à Minneapolis, la ville où George Floyd a été tué par des policiers en mai 2020, que tout commence pour son héroïne Cedar Hawk Songmaker. La jeune Indienne de 26 ans, adoptée à la naissance par un couple de Blancs progressistes, attend un enfant. Pour protéger sa progéniture, elle doit trouver un refuge et retrouver sa famille biologique.
Jane, un meurtre; Une partie rouge, Maggie Nelson, 2021 (Ed. du Sous-sol)
Cet ouvrage, qui rassemble en un volume deux textes de Maggie Nelson publiés séparément aux États-Unis (Jane, un meurtre en 2005 et Une partie rouge en 2009), traite du féminicide et de l'insoutenable violence de nos sociétés. Les deux œuvres reviennent - au travers d'une série de collages de poèmes, sources documentaires, fragments du journal intime de sa tante, brèves dans des journaux - sur l’assassinat de sa tante en 1969, alors étudiante en droit à l'Université du Michigan. Maggie Nelson traite aussi le procès du meurtrier présumé qui s'est déroulé des années plus tard.
La déferlante, la revue des révolutions féministes, 2021
Cette revue féministe est créée par des femmes pour donner la parole aux femmes et aux minorités sexuelles et de genre. Le premier numéro est sorti de presse en mars. L'ouvrage, sans publicité, a pour ambition de «faire de La Déferlante un lieu de rencontre des idées féministes, un réceptacle du bouillonnement intellectuel et militant de l'époque post-MeToo». Il mêle plusieurs formats: textes, photos et illustrations. Tous les trois mois, il interrogera le féminisme, loin de constituer une grande famille unie, sous tous les angles. Au sommaire de cet exemplaire: la rencontre avec la réalisatrice Céline Sciamma et l'écrivaine Annie Ernaux, «sœur de combats»; le portrait de l'écoféministe Françoise D'Eaubonne, «militante engagée dans la lutte antinucléaire et qui, sans être lesbienne, revendiquera la fin de l'hétérosexualité»; la bande dessinée Victorieuse de Plogoff, par Coline Guérin (scénario) et Jul' Maroh (dessins); et bien d'autres rendez-vous féministes à découvrir.
La vie mystérieuse, insolente et héroïque du Dr. James Barry (née Margaret Bulkley), Isabelle Bauthian (Auteure), Agnès Maupré (Illustratrice), 2020 (Ed. Steinkis)
Comment peut-on toute sa vie parvenir à dissimuler son genre? L’histoire vraie du Dr. James Barry (née Margaret Bulkley) brillant chirurgien militaire britannique du XIXe siècle, prend vie sous la plume vivace d’Isabelle Bauthian et les traits gracieux, espiègles aux encres colorées d’Agnès Maupré. L’autrice nous embarque sur le terrain où James Barry combat en duel. Elle nous plonge également dans son univers mondain. Étonnamment, l’apparence frêle et juvénile du médecin faisait taire les soupçons de ses contemporains en les convainquant qu’une telle supercherie était impensable et que le jeune prodige était simplement un garçon efféminé et maigrichon.
A la fois doux, charismatique, insolent et colérique, il n’hésitait jamais à dénoncer les incompétents ni à éclabousser de violences verbales les patients qui ne suivaient pas ses recommandations. Sa brillante carrière est ponctuée d’innovations liées à la santé. Il bousculera notamment les normes sanitaires d’époque et pratiquera la première césarienne (réussie) des colonies britanniques. Ce n’est qu’août 1865, à l'annonce de son décès, que la presse révèle qu'il était en réalité une femme. Le livre interroge non seulement la notion d’identité, mais rend également hommage à un héros oublié.
Les testaments, Margaret Atwood, 2019 (Ed. Robert Laffont)
L'action se déroule quinze ans après les événements de La Servante écarlate (une dystopie sur le rôle de la femme dans la société publiée en 1985), où le régime théocratique de la République de Galaad est toujours en place, bien qu'affaibli. La célèbre romancière canadienne nous plonge dans les failles d’un système corrompu dont elle raconte la chute au travers des vies de trois femmes qui se déroulent en parallèle avant de se rejoindre. Deux jeunes de chaque côté de la frontière de Galaad et la fameuse tante Lydia, figure autoritaire cruelle de cette dictature qui torture les femmes physiquement et mentalement. Avec des scènes parfois terrifiantes, ce récit laisse entendre que même dans un pays censé respecter les droits des femmes, tout peut arriver.
L’origine du monde, Liv Strömquist (autrice et dessinatrice), 2016 (Ed. Rackham)
La Suédoise Liv Strömquist dresse le portrait de «ces hommes qui se sont un peu trop intéressés à ce qu’on appelle les organes féminins». Le trait détonnant, la plume acérée, elle dénonce les théories et diagnostics de prêtres, médecins, psychiatres, pédagogues ou sexologues qui ont eu des conséquences dévastatrices sur la sexualité de la femme. C’est ainsi que le Dr. Kellogs, l’inventeur des corn-flakes, a pu affirmer que la masturbation provoque le cancer de l’utérus; ou que le Dr. Baker Brown a pu préconiser l’éradication de l’onanisme féminin par l’ablation du clitoris. On apprend aussi que dans l'illustration (censée représenter fidèlement les terriens) placée dans la sonde spatiale Pioneer (lancée dans l’espace par la Nasa en 1972), «monsieur à droit à un sexe dessiné, alors que madame n’a rien à montrer». En effet, le trait représentant la vulve de la femme n’est pas donné à voir. Trois exemples parmi tant d’autres à découvrir dans ce roman graphique engagé et à l'humour décapant.
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