Société
Témoignage: Elle lutte pour les droits de sa fille handicapée
«Il y a 12 ans, je témoignais déjà dans les pages de Femina de mon combat pour ma fille. Je dois bien avouer qu’alors, je n’envisageais pas que cela durerait encore bien des années. Comme en 2012, mon appartement lausannois est toujours encombré de classeurs et de dossiers, témoins d’un quotidien qui n’a toujours rien de paisible. Mais je ne lâche rien. À 74 ans, je mets l’énergie qu’il me reste, car ces décennies d’angoisse ont eu un impact sur ma santé, à faire en sorte que la vie de Sabrina soit la plus agréable possible.
On dit de moi que je suis intransigeante. Mais je réclame simplement justice pour une vie gâchée. Pour une famille dont le bonheur a volé en éclats. Pour que les un-e-s et les autres, CHUV, État de Vaud, assurances et avocat-e-s, cessent de se renvoyer la responsabilité des faits pour ne pas en assumer les conséquences.
Vingt-cinq minutes de réanimation
Alors, depuis quarante-cinq ans, soit plus de la moitié de mon existence, je me bats. Depuis ce 11 avril 1979 où, déjà maman d’une petite fille de deux ans, je suis entrée au CHUV pour entamer une autre page de ma vie.
Après une grossesse tout à fait normale, j’allais enfin faire la connaissance de mon deuxième enfant. J’étais sereine, au sein d’un hôpital où je pensais qu’il ne pouvait rien m’arriver. Mais les heures qui ont suivi ont tourné au carnage. Et les fautes, les errances se sont accumulées. Entre un gynécologue obstétricien persuadé que l’accouchement n’est pas imminent qui s’en va vaquer à ses occupations, un lit inadapté sans étriers ni sonnette d’urgence à proximité, une toute jeune stagiaire puéricultrice peu au fait des signes qui ne trompent pas et une assistance néonatale plus que tardive, tout a contribué au drame.
Prise en charge dans la précipitation, avec deux sages-femmes appelées en urgence qui me tenaient les jambes et m’écartelaient, j’ai accouché sans pousser d’un bébé inerte et silencieux de 3,7 kilos, d’une poupée de chiffon au teint de cire qu’on a laissée de longues minutes sans soins et sans oxygène, à mes pieds. Ventilée et réanimée pendant vingt-cinq minutes par le gynécologue débarqué un peu par hasard et deux médecins des soins intensifs, Sabrina a gémi avant de tomber dans un coma qui a duré deux mois.
Dès lors, il a fallu gérer ce bébé au cerveau longtemps privé d’oxygène et aux lourdes séquelles. À l’aide de bouquins, de conseils de son pédiatre, et mus par tout notre amour pour ce petit être qui n’avait rien demandé, nous avons tout fait pour la stimuler, l’accompagner, afin qu’elle grandisse le mieux possible. J’ai quitté un job à responsabilité qui me passionnait pour devenir la proche aidante que je suis toujours. Pour gérer le quotidien de ma fille qui, certes, marche et parle, mais qui doit être assistée dans chaque geste de la vie.
Grève de la faim pour une rente plutôt que l'institution
Dès lors, j’ai entamé une lutte devant les tribunaux pour assurer un avenir à Sabrina, pour faire reconnaître la responsabilité de ceux qui avaient brisé son existence. Car les factures, soins hospitaliers, physiothérapies, logopédies, médicaments se sont vite accumulés. Chacun, AI, RC de l’Hôpital rejetant la prise en charge sur l’autre, nous laissant dans une situation financière impossible, les paiements étant suspendus pendant les procédures.
En guise d’indemnisation, Sabrina a reçu 80’000 francs, et nous, ses parents, une somme à peu près équivalente. Un montant dérisoire dû au fait qu’elle ne prend en compte que «la réparation du tort moral», son avocat d’alors ayant omis de réclamer ce à quoi elle a droit pour «atteinte à son avenir économique, préjudice ménager et assistance».
Pour des raisons affectives, et parce que je pense que ça n’est pas une solution adaptée à ses besoins, j’ai toujours refusé que ma fille soit placée en institution. En 2002, j’ai donc entamé une grève de la faim et me suis installée sur la place Saint-François à Lausanne pour que Sabrina, à qui l’État de Vaud proposait la prise en charge d’un placement, puisse, à la place, bénéficier d’une rente de valeur équivalente pour rester à domicile. Après seize jours sans manger et une pétition signée par 8000 personnes, j’ai obtenu une somme de 2500 francs par mois pour elle.
Aujourd’hui, la prise en charge dont bénéficie Sabrina n’est pas pérennisée, malgré son état irréversible, car les avocats qui se sont succédé pour défendre notre cas ont omis d’entreprendre les démarches nécessaires pour préserver nos droits et celles qui permettent d’interrompre les délais de prescription. Me voilà donc encore devant la justice pour tenter de régler cette situation. En juin 2024, après deux conciliations qui ont échoué, nous nous retrouverons devant la chambre patrimoniale du Canton de Vaud, n’ayant d’autre choix que de nous retourner contre les trois hommes de loi pour faire «répondre trois mandataires successifs d’une violation de l’obligation de diligence qui leur incombait».
Une vie digne pour Sabrina
Aujourd’hui, Sabrina habite en face de chez moi dans son propre petit appartement, comme elle le réclamait depuis longtemps.
Moi, je continue à vivre pour elle, lui préparant chaque matin ses repas de la journée, veillant à son confort et à sa sécurité. Depuis 2016, on m’a retiré la curatelle de ma fille, à la demande de la partie adverse, et ce pour «conflit d’intérêts». Une énième tentative pour m’écarter du dossier. Mais peu importe, je serai toujours la maman de Sabrina et, pour elle, je demanderai justice jusqu’à mon dernier souffle.»