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J’ai découvert ma séropositivité en 1985, alors que j’étais à peine âgée de 22 ans. Contaminée par mon partenaire, je suis restée avec lui et nous nous sommes mariés. Notre union a duré un peu plus de deux ans avant de s’achever brutalement. Mon époux a développé des troubles neurologiques consécutifs au VIH qui lui ont fait perdre la tête. La situation était devenue ingérable, raison pour laquelle je l’ai quitté. Cette rupture a été une épreuve très douloureuse pour moi. Quelques mois seulement après mon départ, il est décédé. Mon combat contre le sida ne faisait alors que commencer…

En me retrouvant seule, j’ai eu des envies contradictoires

Une partie de moi voulait vivre à 100 à l’heure comme si chaque instant devait être le dernier, tandis que l’autre aspirait à un rythme plus serein. Il faut dire qu’à cette période aucun traitement n’existait. Physiquement, comme j’allais plutôt bien, la vie a pris le dessus. J’ai recommencé à sortir, j’ai eu des aventures avec des hommes qui acceptaient mon état de santé. Un jour, mon chemin a croisé celui d’Olivier, mon actuel compagnon. Quelques mois après notre rencontre, en 1992 , je suis tombée enceinte. Comme ce n’était pas prévu, nous avons beaucoup hésité à garder l’enfant. Fallait-il prendre le risque d’avoir un bébé séropositif? Ne valait-il pas mieux que j’avorte? Cela a été un cas de conscience. Finalement, nous avons choisi de donner une chance à notre bébé. L’accouchement s’est bien passé et, par mesure de précaution, je n’ai pas allaité Margaux.

Nous avons patienté une année avant d’apprendre qu’elle était hors de danger (ndlr: le délai est de quelques mois à l’heure actuelle). Bien évidemment, la nouvelle de sa séronégativité a été une immense joie. Très tôt, ma fille a compris qu’elle avait une maman différente des autres. J’ai attendu qu’elle ait 10 ans pour lui expliquer que j’étais malade et que cela pouvait compliquer notre quotidien. Au début, ça n’a pas été simple pour elle puisqu’elle n’osait pas en parler à ses amis. Ce n’est qu’à l’adolescence qu’elle a commencé à voir les choses de manière différente. Elle n’hésitait pas à rentrer dans le cadre de ceux qui dénigraient les séropositifs – et ils étaient nombreux à l’époque. Comme militante, j’ai témoigné dans des gymnases pour sensibiliser les jeunes à la problématique du VIH. Margaux m’a accompagnée plusieurs fois afin de livrer son point de vue, son vécu personnel face à ma maladie. Je me souviens des réactions stupéfaites du public, qui avait à peu près le même âge qu’elle, devant son courage et sa maturité.

Préserver sa dignité

Je n’aurais jamais espéré vivre jusqu’à ce que Margaux atteigne l’âge adulte. C’était sans compter les progrès de la médecine puisque les trithérapies ont fait leur apparition. J’ai commencé un traitement en 1996 qui a rapidement donné de bons résultats. Avant que je ne débute la médication, ma virémie (taux de virus dans le sang) avait atteint des sommets et mon système immunitaire était au plus bas. L’arrivée de ces nouveaux médicaments m’a sauvée. Je garderai cependant toujours des séquelles physiques puisque le virus avait déjà eu le temps d’endommager mon corps et certaines de mes capacités cognitives.

Me reconstruire avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête n’a pas été facile. Pourtant, si je fais le compte, j’ai connu plus de moments positifs que négatifs. Lorsqu’on a une condition fragile, les instants de bonheur et de légèreté prennent tout leur sens, l’existence n’en paraît alors que plus intense. Enfin, devoir se battre jour après jour pour conserver sa dignité a fait de moi quelqu’un de profondément humain.

Aujourd’hui, à 50 ans passés, je continue à militer en faveur des personnes séropositives, à me battre contre les discriminations dont elles sont victimes . Il ne faut pas se leurrer: lorsqu’on est malade du sida, la société ne nous considère pas comme une personne à part entière. Il faut ruser, accepter de vivre dans le mensonge pour réussir à se faire une place. Davantage encore que la maladie et ses complications au quotidien, le fait de devoir cacher mon état au travail et à certaines personnes a été une grande souffrance. Je ne suis pas naïve, quel que soit le mal ou le handicap qui vous frappe, le risque d’être marginalisé, mis au ban de la société, est bien réel. J’en ai d’ailleurs moi-même fait la cruelle expérience…

En 2010, j’ai accepté de témoigner sur une chaîne de télévision locale à l’occasion de la Journée mondiale contre le sida. Je venais de terminer l’édition d’un recueil de textes illustrés autour de la maladie: «Histoires de VIH (vies)». J’étais très enthousiaste. Horticultrice de métier, j’avais relevé un défi en me lançant dans ce projet. Je voulais mettre en avant cette publication, démontrer que la souffrance donne des ailes à celles et ceux qui la transcendent.

Assumer qui l’on est

Au final, la séquence dans laquelle j’apparaissais à l’écran me donnait l’air misérable. La caméra me filmait en gros plan, d’une manière peu flatteuse tandis que mon nom, suivi du label «séropositive genevoise», figurait en bandeau sur l’écran. Les jours suivants, j’ai constaté que certaines connaissances ne me saluaient plus alors que d’autres me regardaient d’un air gêné. De la peur ou de la pitié, je n’ai jamais vraiment su quel sentiment dominait. Tout ce que je peux dire, c’est que malgré les efforts de prévention et d’information des pouvoirs publics les gens restent distants et préfèrent éviter d’avoir à se confronter à des personnes «positives».

Au-delà de l’indélicatesse de l’équipe responsable du documentaire, je me suis sentie très humiliée. Séropositive depuis près de trente ans, je n’ai jamais voulu qu’on me considère comme une victime ni susciter de l’apitoiement. Evidemment, la maladie a eu un fort impact sur ma trajectoire de vie, mais elle ne la résume pas. J’ai eu une fille, une vie de couple. Je continue sans relâche à exercer des activités militantes au sein de l’association Personnes viva nt avec (www.pvageneve.ch) et dans le cadre du Groupe sida Genève. Ce que je suis aujourd’hui résulte de mon histoire: je l’assume entièrement .

A lire

«Histoires de VIH (vies)», Ed. Médecine et Hygiène, 2010.


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