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Mon fils autiste, ma bataille
En voyant mon fils Phoenix si épanoui, je me dis que cela a valu la peine de me battre comme une lionne et de ne jamais lâcher le morceau. Même si cette longue bataille, menée seule contre tous, m’a épuisée.
Tout avait si bien commencé pourtant: à 25 ans, j’ai rencontré un homme dont je suis tombée amoureuse. Quelques mois après, j’ai découvert que j’étais enceinte. Une belle surprise! La tête pleine de projets, nous avons choisi d’appeler notre enfant Phoenix, quel que soit son sexe. Car cette naissance signifiait pour nous la fin d’un parcours chaotique, et le signe d’un renouveau.
Quelque chose cloche
J’ai accouché d’un petit garçon de 4 kilos, parfait, très calme. Il dormait bien et tétait sans rechigner. Mais j’avais beaucoup de peine à capter son regard. Les mois passant, il ne montrait que peu d’intérêt pour les hochets ou les jouets alors qu’il était fasciné par les luminaires. A 6 mois, je l’ai emmené chez le pédiatre pour qu’il l’examine car son comportement distant m’inquiétait.
Mais le médecin m’a assuré que tout allait bien et qu’il fallait laisser du temps à mon bébé. D’accord, c’était mon premier, mais je sentais que quelque chose clochait! Ça s’est confirmé au fil des mois: il était difficile d’interagir avec Phoenix. Il s’occupait dans son coin, sans se préoccuper de son environnement.
On ne m'écoute pas
Quand il a eu un an, je l’ai emmené dans un lieu d’accueil enfants-parents afin qu’il puisse jouer avec des bambins de son âge. Comme je le craignais, il restait dans sa bulle sans manifester d’intérêt pour ses semblables. Alors que mon instinct de mère me criait qu’il y avait un problème, mon entourage tentait de me persuader du contraire. Si Phoenix ne répondait pas à son prénom, c’est qu’il souffrait peut-être de surdité… des examens ont révélé que ça n’était pas le cas.
Démunie, je me suis orientée vers un organisme pour parents en difficulté. Car, comme les autres l’insinuaient, le souci venait sans doute de moi? J’ai été prise en charge par une assistance sociale qui m’a conseillé de faire plus d’activités avec mon petit garçon. Du coup, j’ai multiplié les sorties, les jeux pour le stimuler et… j’ai commencé à culpabiliser. Le comportement de Phoenix trahissait une forme de souffrance: il agitait de manière convulsive ses mains et ses pieds. Et il empilait et alignait frénétiquement ses jouets.
La vérité, enfin!
A deux ans et demi, il ne parlait pas et répétait certains mots sans avoir l’air de les comprendre. Nos échanges étaient quasi inexistants. Pourtant, la pédopsychiatre que j’ai consultée à l’époque fut sans appel: «Cet enfant va très bien, Madame!» Faisant confiance à ces professionnels de la petite enfance, j’en ai conclu que j’étais juste une mère incapable de communiquer avec son enfant. Un drame pour moi qui avait grandi avec une mère nocive et qui m’étais promise d’être exemplaire.
Il a fallu attendre que Phoenix ait 3 ans pour que l’évidence – que tous s’acharnaient à nier – éclate au grand jour: mon fils était notamment atteint de troubles envahissants du développement (TED), qui font partie de l’autisme. Ce diagnostic, posé par un pédopsychiatre après une semaine d’observation, m’a à la fois soulagée et anéantie. Le principal: on allait enfin me prendre au sérieux et pouvoir aider mon fils.
A contresens
Mais cela a été la douche froide dès ma prise de contact avec le médecin qui devait dorénavant le suivre. Il m’a annoncé tout de go que mon fils ne parlerait sans doute jamais correctement, et qu’il fallait faire mon deuil d’un enfant normal. A l’en croire, l’avenir de Phoenix était tout tracé.
Il était hors de question de ne pas pouvoir entrer en communication avec mon enfant. J’ai donc créé des pictogrammes, des dessins schématisés, afin de me faire comprendre de Phoenix. Au fil du temps, nous avons instauré nos propres codes et notre propre langage, basé sur des images et des sons simples. La musique a aussi contribué à créer un lien fort entre nous car Phoenix adorait faire de la rythmique avec tout ce qui lui passait dans les mains.
Mon intuition m’a poussée à ne pas suivre les recommandations des spécialistes qui préconisent de ne pas perturber le schéma très ritualisé de ces enfants enfermés dans un univers clos. Je savais que ce n’était pas en le maintenant dans sa bulle que Phoenix pourrait prendre son envol. D’autant plus qu’il montrait des dispositions dans plusieurs domaines, notamment les arts et les sciences. Brisant peu à peu sa coquille, il s’est mis à poser de nombreuses questions sur ses sujets de prédilection. Je consacrais chaque minute de ma vie à le pousser dans ses retranchements afin qu’il s’ouvre au monde.
Concepteur de jeux vidéo
Niveau scolarité, cela n’a pas été simple. Phoenix a intégré l’école primaire, en alternance avec une institution spécialisée. A cause de son comportement différent, il est devenu le bouc émissaire de quelques camarades. J’ai dû affronter le manque de tolérance de certains parents qui le considéraient comme «mal éduqué».
A 14 ans s’est posée la question de l’avenir de Phoenix – alors dans un centre de formation spécialisé. Sous prétexte de ses troubles du spectre autistique, on a voulu le mettre dans une case bien définie. Sans se soucier de ses réelles compétences et de son rêve: devenir concepteur de jeux vidéo.
Fierté
Plutôt qu’un stage de paysagiste, mon fils, passionné de créations numériques et de multimédia, souhaitait faire une expérience professionnelle dans ce domaine, où il excelle comme l’ont confirmé ses différents rapports de stage. Cela lui a permis de décrocher haut la main une place d’apprentissage d’Interactive Media Designer! Un joli pied de nez à ceux qui lui prédisaient un avenir précaire.
C’est certain: Phoenix reste un être à part. Mais son hypersensibilité, son intelligence, sa capacité à analyser les choses et son profond respect pour les autres me rendent très fier de lui.
Appel
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