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J’aide les gens à se libérer de leurs dragons intérieurs

Femina 51 Temoin Chaman

J’ai gardé confiance. Je crois en l’humain, je le trouve beau.

© Jeanne Gester

Lorsqu’un proche a été gravement atteint d’une maladie neurologique, il a été orienté vers un chaman résidant sur la côte lémanique. Afin de mieux l’accompagner dans son quotidien, nous avons convenu que j’assisterais à ces séances. Assez vite, le chaman m’a dit que j’avais le don de passeur. Comme j’ai une approche scientifique, ça m’a d’abord effrayé. Mais il est vrai qu’avant de rencontrer le chaman blanc Maurice-Eric Hefti, j’étais souvent sollicité par des personnes en situation difficile. Sauf que je faisais une confusion: je pensais les aider en les prenant en charge et en leur proposant «mes» solutions. En fait, je ne les soulageais qu’en surface. Du coup, elles étaient encore plus perdues.

On ne peut pas porter le fardeau d’un autre. «Tu te comportes en missionnaire, m’a-t-il expliqué. Alors que tu es un passeur, c’est ton job.» Un passeur n’a peur de rien dans les méandres de la pensée et du ressenti. Il se détache des carcans moraux, il ne juge pas. L’ego s’efface. La réussite de l’autre, c’est l’autre. Je m’étais intéressé à la programmation neuro-linguistique, à la gestalt-thérapie et à l’hypnose. Ces techniques continuent de m’inspirer. En participant aux ateliers de mon mentor, la vision des origines du monde postulée par les Amérindiens a immédiatement résonné en moi. C’était comme si je la métabolisais en puisant naturellement dans mes ressources. Lorsqu’on marche dans la nuit, on ne regarde plus, on voit. On est dans le courant, dans le présent. Chaque pas est juste. C’est ce que je ressentais au contact du chaman. Depuis toujours, sans le savoir, j’étais bel et bien un passeur.

De l’instinct à la méthode

J’ai grandi en Valais, à Ayent. L’été, mon oncle Edouard m’emmenait faire du camping en forêt. Avec lui, tout était possible. Outre le travail manuel, il m’a appris à accueillir chaque chose avec liberté, fantaisie. Le boom touristique des années 70 et son flot de visiteurs du monde entier ont également nourri ma curiosité. Mais cette envie d’ailleurs a été canalisée par mon père. Il m’a enseigné que si mes racines étaient solidement ancrées dans ma terre natale, je pouvais être bien partout. J’étais un très bon élève mais l’école m’ennuyait, j’ai vite arrêté car rien ne faisait sens.

Tour à tour ébéniste, bûcheron, prof de ski, pilote d’avion privé, photographe, j’ai fini par m’inscrire en anthropologie à l’université. Là, j’ai pris conscience que ma caisse à outils était insuffisante pour organiser ma pensée. L’utilité de l’école m’est enfin apparue. J’ai intégré la faculté de sciences politiques, à Lausanne, et suis devenu proche de professeurs influents, me destinant à une carrière académique. Je m’étais fait piéger par ce monde enivrant. Mais un accident est survenu: j’étais sur un monte-charge pour ranger des caisses de fruits et légumes après un marché. Soudain, le câble a lâché, me propulsant au sous-sol. Ma main droite, qui était restée à l’extérieur, s’est arrachée.

Après treize heures trente de microchirurgie qui m’ont permis de sauver ma main, je me suis réveillé en éprouvant le besoin d’écrire tout ce que je ressentais. Durant cette pause obligée, une chose m’obsédait: qu’allais-je faire de ma vie? Des remplacements à la Croix-Rouge pour accueillir des réfugiés m’ont confirmé que je voulais être sur le terrain, agir, négocier au profit de l’humain. C’est ainsi que, depuis 30 ans, je travaille au sein des institutions vaudoises en charge de l’accueil des migrants. J’ai avancé sans jamais douter du chemin à suivre: faire des idées de mon équipe une réalité. Dans cette posture d’écoute, j’étais déjà, sans m’en douter, un passeur.


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Passer est une aventure

Il y a quelque chose de spontané et de direct à n’être ni émetteur ni récepteur. Juste le canal. Dès la fin de ma formation chamanique, des proches m’ont proposé de jouer les cobayes. Je n’avais pas imaginé ce que l’homme était capable de faire à l’homme, consciemment ou pas. Ni le degré de souffrance auquel j’allais être confronté. Au point qu’il m’est arrivé au début de me dire: «T’es cinglé, qu’est-ce que tu fous, là!» Du coup, je m’assure toujours que les personnes bénéficient d’un suivi thérapeutique auprès d’un spécialiste, j’agis de façon complémentaire. Mais j’ai gardé confiance. Je crois en l’humain, je le trouve beau. Dans les abysses de la pensée, j’ai appris à suivre mon instinct. Et même dans les contrées les plus sombres, je n’ai jamais eu peur. J’ai baptisé ma méthode «Le Toboggan». L’image est inspirée d’une luge que les Indiens algonquins confectionnent dans l’optique de réduire au minimum les frottements avec le sol. C’est ce que je recherche: rendre l’existence des gens plus fluide.

Vivre en plein conscience

Mon travail repose sur trois étapes. D’abord, le pas de la délivrance: la personne dépose ce qui est devenu trop lourd à porter en décrivant ce qu’elle ressent. Comme je ne sais jamais à l’avance ce qu’elle va dire ou faire, je la suis tout en la guidant jusqu’à la mettre face à ce que j’appelle son ou ses dragons. Cette figure incarne la source même de la douleur. Elle est créée par notre propre psychisme qui nous contraint à la douleur: un traumatisme, la mésestime de soi, l’obligation d’obéir, la terreur du néant, le sentiment de n’être rien… Quand ce dragon surgit, notre cerveau est conditionné à dire «Stop!», à fuir, à rejeter. La deuxième étape consiste donc à faire face à son dragon, non pour le combattre mais pour l’accueillir et reconnaître qu’il fait partie de soi-même.

En revivant ses émotions les plus noires, en les laissant le submerger, j’invite le sujet à puiser dans ses propres ressources pour les identifier. Lorsqu’il constate qu’il survit au face-à-face, son mental abandonne la partie. Ensuite, chaque fois que la même situation se présente, il peut la vivre en pleine conscience: le dragon est libéré. La dernière étape consiste à aider la personne à transformer ce voyage intérieur en actions toutes simples. L’image du toboggan prend alors pleinement son sens: en repérant le cheminement et les réflexes salvateurs inconscients de l’être en souffrance, je me mets au rythme de son passage en le rendant le plus confortable et rassurant possible. Défait de ses blessures, il réduit les «frottements» de sa vie et se laisse aller à un glissando qui le mène à l’apaisement, à la légèreté. Il se réaligne. C’est ça mon job: je suis le toboggan.

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