témoignages
Grand brûlé, j’ai repris le cours de ma vie
Un bel avenir s’annonçait pour moi
En ce 1er mai 2000, j’étais un homme heureux: à 23 ans, je m’apprêtais à épouser la femme que j’aimais. J’étais sur le point de déménager, je venais de décrocher un nouveau job qui me plaisait. Notre avenir s’annonçait radieux.
Ce jour-là, trois semaines avant de quitter le garage qui m’employait alors, je devais réparer au chalumeau la cuve d’un camion-citerne. J’ignorais que de l’essence avait été mélangée au fioul par erreur. Et tout est allé très vite. Un jet de flammes m’a sauté au visage. Il s’est propagé sur mon corps. Dévoré par les flammes, je me suis transformé en torche vivante. Ma première pensée: «Je ne veux pas mourir, je dois me marier avec Karine.» Il n’était pas possible que tout s’arrête alors que j’avais tant de projets!
Direction le CHUV en hélico
J’étais conscient que c’était grave, mais je ne sentais pas la douleur (les terminaisons nerveuses de ma peau étaient détruites). C’est le fils de mon patron qui m’a «éteint», avec une veste puis un extincteur. J’avais de plus en plus de mal à respirer. Bientôt, un hélicoptère de la Rega s’est posé, qui m’a emmené au CHUV où le médecin urgentiste a eu beaucoup de peine à m’intuber. Il faut dire que mon corps était brûlé au 3e degré sur 92% de sa surface. Les chirurgiens n’avaient jamais vu ça. Mon état était jugé très préoccupant. Pour m’éviter de souffrir, on m’a plongé dans un coma artificiel. Mes organes vitaux pouvant s’arrêter à tout moment, les premières 48 heures allaient être déterminantes. L’équipe médicale s’inquiétait aussi de savoir si j’allais supporter de vivre défiguré. En discutant avec mes proches, elle a compris que j’avais un caractère de battant et que cela m’aiderait à surmonter cette épreuve, si je m’en sortais.
Les chirurgiens ont alors commencé un travail de reconstruction de mes tissus, à partir des 8% de peau demeurés intacts. Ils en ont prélevé 2 à 3 cm2 sur les pieds, pour pouvoir procéder à des cultures de cellules, en vue d’une greffe ultérieure.
L’épreuve du miroir
Quand je me suis réveillé au Centre romand des grands brûlés, trois semaines avaient passé. Trois semaines de coma. Karine était à mon chevet. Elle est venue me rendre visite tous les jours. Mon visage et mon corps étant recouverts de pansements, elle ne voyait que mes dents. Moi je réalisais l’étendue des dégâts: mes jambes étaient entièrement brûlées, mes doigts, à demi amputés, et j’étais incapable d’articuler un mot. Mais sa présence me faisait du bien.
Puis il a fallu affronter l’épreuve du miroir. Malgré le travail admirable des médecins – qui ont recréé 13 000 cm2 de peau et procédé à des greffes importantes sur l’ensemble de mon corps – j’étais méconnaissable... Mes premiers mots ont été pour Karine: elle pouvait me quitter, si elle le souhaitait. Je ne voulais pas qu’elle reste par pitié ou par compassion. Elle m’a assuré de son amour. Sa seule crainte était que, suite à ma transformation physique, mon caractère change.
Le travail de reconstruction a nécessité vingt-sept opérations. J’ai subi plus de cent anesthésies générales pour le changements des pansements et les douches de nettoyage des plaies. Une fois celles-là refermées, on m’a transféré au Service de chirurgie plastique et reconstructive, où des physiothérapeutes m’ont pris en charge. Il s’agissait de maintenir la mobilité de mes articulations, de renforcer ma musculature et d’assouplir ma peau afin qu’elle ne se rétracte pas après les différentes greffes. Pendant ces séances intensives, plus de six heures par jour, sept jours sur sept, j’ai répété inlassablement les mêmes mouvements. Et au bout de cinq mois d’un travail acharné j’ai pu faire quelques pas. Première victoire! Encore un an et demi, et je récupérais presque toute ma motricité.
Jamais l’un sans l’autre
Neuf mois après l’accident, Karine et moi nous sommes mariés. N’ayant jamais envisagé notre vie l’un sans l’autre, nous n’avions aucune raison de laisser cet événement changer le cours des choses. J’étais encore hospitalisé au CHUV et, le matin de la cérémonie civile, c’est l’une de mes physiothérapeutes qui a repassé ma chemise. Sauf qu’en enfilant mon costard, à cause des pansements sur mes mains, les manches ne passaient pas. Les infirmières ont dû défaire et refaire les bandages. Elles étaient très émues de me voir partir pour m’unir à celle qui m’avait soutenu inconditionnellement tout au long de cette épreuve. Au moment de la signature, il a fallu scotcher le stylo sur mes pansements pour que je puisse écrire. Karine a glissé elle-même la bague à son doigt, moi j’ai mis la mienne sur une chaîne qu’aujourd’hui encore je porte autour du cou.
Depuis ma sortie de l’hôpital, le sportif que j’ai toujours été a repris l’entraînement. Vélo et course à pied, notamment. Pas à pas, j’ai remonté la pente et atteint mes objectifs. Dont la participation à la course de ski-alpinisme des Diablerets et au Marathon de New York.
Karine et moi sommes aujourd’hui les heureux parents de deux filles
Nous vivons dans l’appartement que nous avions trouvé juste avant l’accident. Contrairement à ma femme, je ne me suis jamais révolté contre ce qui m’est arrivé. Pour moi, c’est juste un «couac» dans ma vie, avant que tout ne reprenne son cours. Certains me voient comme un miraculé. Moi je me considère simplement chanceux. La clé a sans doute été d’accepter dès le début ce qui s’était passé, y compris le fait d’avoir à vivre avec une nouvelle apparence. Les regards des autres ne m’ont jamais empêché de faire quoi que ce soit. Je sais que je suis différent, il est donc normal que cela attire l’attention. Quant à mes filles, elles m’ont toujours vu comme ça. Je suis pour elles un «superpapa», c’est ce qui compte pour moi.
Devenu informaticien, je travaille désormais à temps partiel au CHUV, un endroit que je connais bien. Je témoigne régulièrement de mon vécu auprès de jeunes, d’ambulanciers ou de pompiers. Il est important pour moi de transmettre mon message: quoi qu’il arrive, la vie vaut la peine d’être vécue.
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