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Belle, au-delà du handicap

Belle, au-delà du handicap

Dans les couloirs du CHUV, à Lausanne, Roxanne est plus jolie que jamais.

© Tania Emery

Longtemps, j’ai cru mon handicap et cette prothèse incompatibles avec une quelconque forme de féminité. Puis, peu à peu, je me suis réapproprié ce corps, jusqu’à le mettre en scène dans des photos glamours, sous l’œil de Tania Emery, dans ce projet nommé «Inconditionnelle féminité». Ça n’a l’air de rien pour la plupart des gens de poser ainsi, en robe, maquillée, coiffée, jolie… mais pour moi c’est énorme. Je reviens de loin niveau estime de soi.

A l’adolescence, en guise de photo de profil, j’avais mis une image de la momie Ötzi. Je trouvais que c’était ce qui me ressemblait le plus. C’est vous dire.

Jusqu’à 12 ans, j’ai mené une vie tout à fait normale. J’étais sportive, je faisais beaucoup de marche en famille, du vélo même sous la pluie, du ski l’hiver. C’est en avril 2008 que mon existence a pris un tout autre tournant. Sans raison véritable, ni douleur, je me suis soudainement mise à boiter. Vu mon âge, mon médecin a pensé qu’il s’agissait d’un problème lié à la croissance, que tout rentrerait dans l’ordre assez vite. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Le diagnostic est tombé chez l’orthopédiste: un ostéosarcome ou, plus simplement, un cancer des os assez fourbe. Ça nous est tombé dessus d’un coup.

L'école à l'hôpital

Suite à cette annonce, en une semaine, ma mère a perdu huit kilos. Moi, paradoxalement, malgré cette tumeur silencieuse nichée dans mon genou, j’étais en pleine forme. En juin, j’ai commencé la chimiothérapie avec comme seule crainte de perdre mes cheveux. Je pensais que ça allait être comme affronter une grosse grippe. J’étais bien en deçà de la réalité… ce fut très dur. J’étais prise en charge au CHUV où j’avais un répétiteur une fois par semaine pour l’école et je rentrais à la maison les week-ends.

Mais je n’avais pas peur pour ma vie. On allait me soigner, me guérir et, après l’été, tout redeviendrait comme avant.

Une opération pour survivre

J’ai compris qu’il n’en serait rien quand, au bout d’un mois, la doctoresse m’a annoncé, à la demande de mes parents – incapables de prononcer ce mot eux-mêmes –, que j’allais être amputée. J’étais triste et j’ai réalisé que, même si je guérissais, mon corps porterait à jamais les traces de ce que j’avais traversé. J’ai passé tout le mois d’août à dire au revoir à ma jambe, je la massais, je lui parlais.

A la fin du mois, avant l’opération, j’ai fait ma rentrée en neuvième, sur un fauteuil roulant. Je pesais 25 kilos, j’avais une sonde pour m’alimenter. On me regardait comme une bête curieuse. Ce fut un choc.

Ce que j’avais vécu cet été-là m’avait fait mûrir en accéléré. Je parlais en langage médical, j’étais en complet décalage.

Un combat pour la vie

Une semaine plus tard, on m’amputait au-dessus du genou. J’étais préparée, il me tardait presque que ça soit fait et qu’on passe à autre chose. Ça s’est bien déroulé. Très vite, j’ai vécu ces fameuses douleurs fantômes, cette impression que ma jambe était toujours là. Une impression que j’ai encore. Un an plus tard, une récidive au poumon a été suivie d’une grosse opération.

J’avais 13 ans et là, j’ai pris conscience que je pouvais mourir. J’étais en colère. Je trouvais ça triste de disparaître si tôt sans avoir connu tous ces trucs de grands qui paraissaient si chouettes.

Une féminité chamboulée

Quand je suis retournée à l’école après ça, j’étais un alien. Physiquement d’abord, avec ma prothèse, ma maigreur, mes cicatrices. Les traitements avaient ralenti ma croissance. La perte de poids avait gommé mes formes. Psychologiquement aussi.

A 14 ans, alors que la plupart de mes camarades n’aspiraient qu’à être populaires, moi je voulais juste ne pas mourir.

Ce qui ne s’est pas avéré vraiment facile, vu les récidives qu’il a fallu traiter, les années suivantes, aux poumons et aux intestins. En 2011, alors que j’étais immunodéprimée, j’ai contracté la toxoplasmose. Les globules blancs ont envahi tous mes organes. J’ai fait une crise cardiaque et quatre jours de coma. C’était dur, mais je suis repartie. Je me détestais, mais j’avais toujours envie de vivre.

Du temps à rattraper

Ma dernière récidive, à l’intestin, a eu lieu en 2013. Depuis, plus rien. Malgré ma scolarité chahutée, j’ai intégré le gymnase, j’ai mobilisé mes forces pour un travail sur moi-même et là, je me suis rendu compte de ce que j’avais perdu, de cette adolescence qui m’avait échappé. Petit à petit, je me suis dit que peu importait si je m’aimais ou pas, il fallait que j’en finisse avec ce mal-être. Très vite, il a fallu que je fasse la différence entre les garçons intéressés par moi et ceux motivés par mon handicap. Car oui… il y a vraiment des gars bizarres, qui fantasmaient sur ma prothèse en mode Christian Grey. Il y avait ceux qui pensaient qu’avec moi c’était du tout cuit, qu’avec mon handicap, je n’allais pas leur dire non. Heureusement, j’ai eu une jolie histoire d’amour, ma première, avec un garçon que je connaissais depuis ma scolarité et à qui j’avais toujours plu. Nous ne sommes plus ensemble mais ça a fait partie de ma reconstruction. Puis il y a eu les photos…

Des photos pour s'aimer

J’aime bien le cosplay et avec mon handicap, j’ai l’accessoire parfait pour un looksteampunk. Tania, une amie de mes parents qui est photographe, a vu ces images et a eu envie de me shooter à son tour. On s’est donné rendez-vous et les idées sont venues dans la discussion…

A travers ces clichés, j’ai trouvé ma féminité. Je n’ai pas eu peur de mettre des robes, de monter ma prothèse.

On a fait des clichés au CHUV et ça a été pour moi une façon de me réapproprier ces lieux. Je me suis sentie bien, mise en valeur. C’était le bon moment pour faire ça. Toute ma famille a aimé ces photos. Aujourd’hui, je suis plus coquette, je prends plus soin de moi J’ai compris qu’il y avait mille et une façons d’être féminine et que dans ce domaine, une prothèse n’est pas un handicap insurmontable.

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