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Pourquoi on rêve davantage depuis la pandémie
Le confinement a bouleversé la réalité de nos journées. Toutefois, de façon étonnante, il change aussi les mondes imaginaires de nos nuits. Depuis plusieurs semaines, sur les réseaux sociaux, beaucoup d’internautes rapportent en effet des rêves plus nombreux et différents de l'habitude, certains s'avouant même troublés par cette vie onirique inédite.
Obsession pour les thématiques tragiques ou au contraire d'une grande légèreté; récurrence, parfois, de personnages ou de situations, voire de scènes à connotation clairement érotique, la pandémie de coronavirus semble avoir un certain pouvoir sur notre psyché profonde.
Mode paradoxal
Le phénomène passionne d'ailleurs les chercheurs de tous horizons. Depuis fin mars, médecins spécialistes du sommeil, psychologues et mêmes sociologues ont lancé dans plusieurs pays des projets d'études pour connaître et analyser nos rêves au temps du coronavirus. Si les données sont en train d'être collectées, des résultats préliminaires donnent quelques grandes lignes directrices.
«Une partie de la hausse constatée reflète probablement une modification du rythme de nos nuits, fait remarquer le docteur Lampros Perogamvros, chef de clinique au Centre de médecine du sommeil des HUG. Le confinement et l'ambiance anxiogène générale, notamment durant les premières semaines, ont eu pour conséquence d'augmenter le niveau de stress. Or, on sait que celui-ci favorise la phase de sommeil dite paradoxale, siège de rêves vifs et intenses.»
Réveil en pente douce
La structure perturbée de notre sommeil nous permettrait donc de rêver davantage, mais aiderait également à mieux nous en rappeler. Comme le relève le médecin genevois, «l'état de stress, à la fois collectif et individuel, tend à provoquer plus de micro-réveils pendant la nuit, qui sont autant de chances de se souvenir de l'expérience onirique venant de se terminer.»
La manière légèrement différente d'émerger de notre sommeil au petit matin aurait aussi son importance. Selon quelques données préliminaires récentes, nous dormons un peu plus longtemps que d'habitude durant le confinement, entre dix et vingt minutes supplémentaires en moyenne. C’est suffisant pour que le réveil soit moins rude.
«Lorsqu'on a une dette de sommeil, notre cerveau privilégie le sommeil profond et la sonnerie du réveil peut nous en sortir de façon assez brutale. On peut alors se trouver dans un état brumeux, peu propice à la remémoration des rêves, souligne la neurologue Francesca Siclari, médecin associé au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). En revanche, avec le confinement, si nous dormons un peu plus et nous récupérons mieux, notre réveil est ainsi plus spontané et naturel, plus favorable pour garder un souvenir net de notre rêve.»
Se nourrir de soi
Toutes les explications ne sont toutefois pas à trouver du côté de la mécanique intime du sommeil. Pour les spécialistes de la psyché humaine, l'atmosphère apaisante du confinement, plus loin des urgences, des contraintes, des agendas surchargés, en particulier après les premiers jours où l'inconnu pouvait inquiéter, serait propice à une vie onirique plus importante.
Les abysses remontent
Résultat? Nous rêvons de thématiques moins anecdotiques et aléatoires qu'à la normale, un phénomène déjà mis en lumière par la journaliste Charlotte Beradt, qui s'était penchée sur les rêves des Allemands pendant le IIIe Reich. Ses données, collectées auprès de dizaines de personnes, puis publiées dans les années 60, montrèrent que la vie onirique révélait les préoccupations profondes d'un individu et sa manière de s’adapter aux périodes troubles.
«Les rêves en temps de pandémie touchent des zones profondes de l'inconscient, note Saverio Tomasella. On peut penser, comme le psychanalyste Carl Gustav Jung, que rêver a une fonction thérapeutique, qui nous soigne, nous éclaire, nous apporte du désir et de l'espoir, à plus forte raison lors d'événements inquiétants comme celui que nous vivons depuis le mois de mars 2020.»
Est-ce pour ça que, depuis le confinement, de nombreux individus rêvent de façon obsessionnelle de certaines thématiques? Mort, maladie, étouffement, hôpital, peur diffuse… «Il existe en effet parfois des rêves dits collectifs, dont les sujets se ressemblent, car ils nous concernent tous au même moment», pointe Lampros Perogamvros. Toutefois, les thématiques de catastrophe ou de danger ne sont pas forcément celles qui prédominent ces dernières semaines.
Ouvrir un tiroir oublié
Une proportion conséquente d'internautes confie sur les réseaux sociaux rêver régulièrement d'une ou deux personnes de leur passé, parfois sur le mode érotique. «Je rêve toujours de la même personne tout le temps, j'en ai marre, le confinement ça rend fou, je n'ai pas envie de lui envoyer un message et de me ridiculiser», écrit l'un d'entre eux, mi-avril, sur Twitter.
Parallèlement, les partenaires de vie ne sont pas forcément à l'honneur dans les songes du moment. «Je constate chez les gens une hausse significative des rêves mettant en scène des conflits avec les personnes de leur entourage direct, remarque Alain Valterio, peut-être parce que la configuration fait qu'on doit au quotidien beaucoup prendre sur soi.» Soif de liberté, de découverte ou de redécouverte, de plaisir, de faire le point… notre vie onirique intense à l'ère du coronavirus n'est finalement pas si surprenante.
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