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Vie de famille

Garde des enfants à Noël: le pénible casse-tête des parents séparés

Partage des enfants Noel casse tete parents

«Les enfants apprécient beaucoup qu’on reconnaisse les efforts qu’ils fournissent pour traverser la situation.» - Alexandra Spiess, éducatrice spécialisée et thérapeute de famille.

© GETTY IMAGES/ALEKSANDAR NAKIC

Le soir du 24 décembre, c’est fondue chinoise chez maman. Le matin du 25 décembre, c’est petit-déjeuner chez Tatie (du côté de papa). Le 25 à midi, c’est dinde aux marrons chez papa, avant de retourner chez maman dès 19h… Durant les fêtes de fin d’année, les enfants de parents séparés voient leur planning se remplir plus rapidement que la hotte du Père Noël.

Et si l’idée d’une triple ration de bûche et d’une double liste de cadeaux peut paraître réjouissante, l’organisation familiale se charge, lorsque le calendrier ne se décide pas à l’amiable ou que les enfants ne sont présents qu’une année sur deux, d’une quadruple dose de tensions pour tous-tes. En particulier quand la séparation des parents est récente ou que de nouveaux partenaires font leur apparition dans le tableau.

Justine*, maman de deux enfants âgés de 10 et 15 ans, nous partage son expérience: «Pour des raisons culturelles, mon ex-compagnon n’a jamais fêté Noël. Dans ma famille, en revanche, les fêtes de fin d’année ont toujours beaucoup compté. Ainsi, quand je me suis séparée, il y a dix ans, les enfants passaient le réveillon avec moi et les Fêtes se déroulaient surtout selon mes traditions. Cela semblait évident, car c’était ce que nous avions toujours fait. Or, quand mon ex s’est mis en couple avec une femme qui a pour habitude de fêter Noël en grande pompe, les choses sont devenues plus compliquées: il voulait les avoir auprès de lui pour les célébrations et a décidé qu’on les aurait chacun notre tour, une année sur deux.» De cette nouvelle organisation, la Romande de 48 ans garde de mauvais souvenirs:

«Mon premier Noël sans eux s’est avéré plutôt glauque, poursuit-elle. Même ma mère n’avait pas très envie de cuisiner, cette année-là.

Je pense que ce n’était pas facile pour les enfants non plus, sachant qu’ils sont attachés à la tradition et à l’ambiance qu’ils avaient toujours vécues chez mes parents. Je pense qu’ils se sont sentis perturbés, déchirés vis-à-vis de leurs grands-parents et confrontés à un conflit de loyauté. Mon fils était inquiet que le Père Noël ne le trouve pas, s’il passait les Fêtes à deux endroits différents.»

Ce genre de situation est malheureusement plutôt courante: en Suisse, plus d’un dixième des personnes ayant des enfants mineurs se sont séparées du père ou de la mère de ces enfants, selon un rapport publié par l’OFS en 2021. Si de nombreuses séparations se passent bien ou résultent, à terme, d’une situation sereine, les premiers Noëls suivant la rupture s’avèrent souvent compliqués. Afin d’adresser ces questions, nous avons demandé l’avis de deux expertes, thérapeutes de famille et vice-présidentes de l’association Scopale, dédiée à l’accompagnement des familles traversant une séparation.

Tiraillement et conflit de loyauté

«Tout dépend du stade du processus, si la séparation est récente ou non, souligne Laurence Bagnoud-Roth, psychologue-psychothérapeute de famille et fondatrice du cabinet genevois Therapea. Au début, l’organisation n’est pas encore stable, les rapports entre les parents sont délicats et les enfants perdent leurs repères.» Notons toutefois qu’aucune situation n’est identique et, ainsi que le souligne notre intervenante, elle dépendra également de l’histoire personnelle des parents et des exemples sur lesquels ils et elles se sont construit-e-s. «Un autre facteur important est la capacité des parents à mentaliser les besoins de l’enfant, alors qu’ils sont eux-mêmes submergés par leurs propres émotions, ajoute Alexandra Spiess, éducatrice spécialisée et thérapeute de famille, responsable de la fondation As’trame à Genève. Soulignons également que les enfants n’expriment pas toujours leurs besoins, n’osent pas forcément avouer leur tristesse de passer le réveillon sans maman ou papa. L’enfant aura aussi tendance à protéger le parent qu’il perçoit comme étant le plus fragile et, souvent, à prendre soin du lien qu’il perçoit comme étant le moins nourri.

Par conséquent, il peut ne pas montrer ses véritables sentiments, de peur de blesser ou de trahir.»

Faciliter la communication entre adultes

Dans le cas où il est impossible de trouver un consensus autour de la garde d’enfants mineurs, Laurence Bagnoud-Roth insiste sur l’importance de la présence d’un tiers neutre qui peut créer une médiation entre deux situations, expliquer la loi et, dans certains cas, trancher: «Cela peut aider à calmer les esprits, relève-t-elle. Il est notamment possible de se tourner vers un curateur ou une curatrice de surveillance et d’organisation des relations personnelles, nommé-e par le Tribunal. Cela peut être nécessaire au début de la séparation, quand les choses peinent à se mettre en place.»

Néanmoins, dans la plupart des cas, une communication reste faisable, bien qu’elle ne soit pas toujours aisée: «Quand les rapports sont tendus, le fait de parler en “je” et d’exprimer ses propres ressentis est moins agressif que de parler en “tu” en formulant des reproches», conseille notre experte. En ce qui concerne l’organisation de Noël, la thérapeute remarque souvent un manque de clarté au niveau des discussions entre les parents: «Chacun-e a entendu ce qu’il ou elle voulait entendre et, au final, rien n’est clair. Les Fêtes approchent et un conflit subsiste concernant les horaires, par exemple. Afin d’éviter que l’enfant ne sache pas où il sera le 24 décembre, il est important de s’assurer au maximum que les choses soient clairement posées.»

Encourager l’enfant à s’exprimer

De même, la communication parent-enfant n’est pas toujours fluide non plus, sachant que les plus jeunes ne partagent pas toujours leurs véritables envies. «Assez naturellement, l’enfant répondra avec les mots ou les façons que, selon lui, le parent attend, rappelle Laurence Bagnoud-Roth.

Ainsi, les discours qu’il ou elle tient avec maman ou avec papa ne seront pas identiques, et chaque parent aura accès à une version un peu différente de l’enfant.»

Afin de l’encourager à partager ses ressentis, Alexandra Spiess recommande notamment de lui poser des questions très précises et de l’aider à trouver ses mots en faisant des propositions: «L’essentiel est de reconnaître ses difficultés, de valider ses émotions et de l’encourager à formuler ses besoins, note-t-elle. Les enfants apprécient beaucoup qu’on reconnaisse les efforts qu’ils fournissent pour traverser la situation. Ils puisent dans leurs ressources et ont toujours envie de faire plaisir à leurs parents. Face à l’impression que cela n’est pas reconnu, ils peuvent développer une rage qu’ils ne parviennent pas à exprimer. De même, il est aussi très bénéfique de reconnaître à quel point c’est dur pour l’enfant, de lui rappeler qu’il n’est pas responsable de la situation et qu’il s’agit de décisions d’adultes.»

Légitimer la «nouvelle famille»

En ce qui concerne les décisions d’adultes, il arrive bien souvent que ceux-ci retrouvent un-e partenaire, après la séparation. Débute alors la danse délicate des familles recomposées, où les pièces du puzzle se ressoudent petit à petit. Et une fois de plus, les Fêtes de fin d’année cristallisent un grand nombre d’émotions, pour chaque membre de la tribu: «Au début, quand mes enfants passaient Noël avec leur père et sa compagne, je me sentais un peu en concurrence avec la nouvelle copine de mon ex, partage Justine. Elle sortait vraiment le grand jeu. Les enfants étaient ravis d’y aller, ce qui est bien sûr très positif! J’étais très contente pour eux, mais j’avais l’impression qu’ils se créaient une nouvelle tradition, différente de la mienne.»

Alexandra Spiess constate notamment que, dans les situations de familles recomposées, les parents souhaitent souvent que les enfants légitiment et valident leur nouvelle vie: «Cela leur inflige une grande pression. Or, n’oublions pas que lorsqu’il s’agit de la représentation familiale, beaucoup d’enfants préservent l’image de leur famille d’origine.» Si beaucoup de familles recomposées fonctionnent très bien et bénéficient d’une très bonne ambiance, l’experte souligne cependant que certains parents peuvent souffrir d’une grande blessure suite à l’échec de la famille initiale et ressentir une volonté de réparer cela via la nouvelle famille.

Pour Laurence Bagnoud-Roth, cette recomposition dépend de tous les protagonistes, y compris celles et ceux qui faisaient partie de la famille d’origine: «Par exemple, si un père ne donne pas l’autorisation à son enfant de développer des relations avec le nouveau compagnon de son ex-femme, cela peut créer un conflit de loyauté, explique-t-elle. De même, les remarques acerbes formulées à l’encontre de l’ex-partenaire ou de sa nouvelle flamme peuvent teinter la relation.

Comme les enfants attendent l’autorisation de l’autre parent pour s’épanouir dans la nouvelle famille recomposée, nous conseillons d’en parler assez tôt, afin qu’il ne se sente pas tiraillé.»

À ce propos, Alexandra Spiess souligne que les enfants sont à la croisée des regards, à Noël et toute l’année: «Si vous percevez votre ex de manière négative, l’enfant peut être très impacté: il porte à l'intérieur de lui ses deux parents et les attaques ou critiques mutuelles risquent de porter atteinte à l'estime qu'il se porte. Ainsi, se regarder avec bienveillance, autant que possible, et prononcer des phrases telles que "Ah, tu as un chouette Papa”, c’est un véritable cadeau que l’on fait à son enfant.»

Faciliter les Fêtes de fin d’année

Heureusement, nos expertes remarquent toutes deux qu’au fil du temps, les organisations se peaufinent et les tensions s’amenuisent pour laisser place à davantage de sérénité et de flexibilité. C’est le cas de Justine: «Trouver une solution n’a pas été simple mais, cette année, on tente une nouvelle formule, poursuit-elle. Mon ex-compagnon sera avec les enfants le soir du 24 décembre et, le lendemain, il les amènera chez mes parents pour le repas du 25. On lui a même proposé de manger avec nous. Les choses ont évolué de manière positive et sereine, on s’adapte à l’âge des enfants et l’organisation se met en place, au fil du temps.»

Même son de cloche pour Juliette*, 42 ans, maman d’une adolescente de 13 ans: «Depuis notre divorce en 2013, nous parvenons à trouver une bonne organisation de façon pacifique, partage-t-elle. Nous avons décidé que notre fille fêterait le 24 décembre avec moi et le 25 avec son papa. Comme nous célébrions toujours Noël de cette manière lorsque nous étions ensemble, avec nos familles respectives, on a continué à se départager les dates de la même façon. Ensuite, on se partage équitablement les vacances scolaires et le Nouvel-An, qu’elle passe avec moi une année sur deux et vice-versa. Quand l’un ou l’autre a des projets particuliers comme un voyage ou une semaine au ski, on discute de la meilleure organisation possible et on s’adapte au mieux, toujours à l’amiable. Tout se passe très bien aujourd’hui, mais ce n’était pas forcément le cas au début, juste après la séparation. Le fait de me reposer sur ce schéma préréglé, calqué sur nos habitudes d’avant, m’a beaucoup aidée. On n’a pas dû chambouler nos traditions et notre fille ne se sent pas tiraillée entre les deux, puisqu’elle est habituée à ce système depuis ses 3 ans.»

Pour nos expertes, le plus important est effectivement de protéger les enfants du conflit et de respecter au maximum les rites de chaque famille. «Il vaut mieux faire trois Noëls de suite pour séparer les personnes en conflit, plutôt que d’un seul réveillon durant lequel tout le monde se dispute, estime Laurence Bagnoud-Roth. Une option serait de flexibiliser le planning et de désacraliser (si possible) la date symbolique du 24 ou du 25.»

Un réveillon en solo

S’il évite des disputes, ce type d’organisation peut mener certains parents à passer une partie des Fêtes seul-es. Pour Juliette*, cela n’a jamais été un problème: «Quand ma fille était petite, j’étais contente qu’elle puisse passer une journée du 25 bien remplie avec son père, plutôt que de rester enfermée à la maison avec moi, se souvient-elle. Et cela me permettait de me reposer, d’avoir une journée pour moi.»

Or, pour d’autres parents, ces journées de réveillon peuvent malheureusement s’apparenter à un véritable supplice. «Lorsqu’on passe Noël sans ses enfants, il convient de mobiliser un maximum de ressources, conseille Alexandra Spiess. En consultation, on demande notamment à la personne de penser à n’importe quel petit élément qui pourrait rendre leur soirée moins pénible. Souvent, on propose d’enclencher les mêmes ressources sur lesquelles on s’appuie le reste de l’année, et de les mobiliser à ce moment-là.»

*Noms connus de la rédaction

Des ressources pour les parents

Nos deux intervenantes le soulignent: de nombreuses séparations se passent bien et beaucoup de parents parviennent, à terme, à trouver une organisation paisible, protectrice pour les enfants. Or, en cas de séparation récente ou difficile, plusieurs ressources sont à votre disposition, dans tous les cantons suisses et au niveau national.

Active dans toutes les régions de Suisse romande, les plateformes Pro Familia et Pro Juventute rendent accessibles des informations importantes.

Active dans tous les cantons romands, la fondation As’trame se consacre à l’accompagnement des enfants traversant des bouleversements.

Dans le canton de Vaud, des ressources sont disponibles sur le site Vaud famille.
Par ailleurs, l’Ordre judiciaire vaudois et la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse viennent d’entamer un projet inspiré du modèle de Cochem, focalisé sur la facilitation du consensus parental. L’idée est que tous-tes les professionnel-e-s concerné-e-s par la séparation d’une famille puissent coopérer ensemble, afin que des solutions puissent être trouvées rapidement.

À Genève, la nouvelle association Scopale propose à la fois des consultations interdisciplinaires en présence des parents et d’un-e médiateur-trice, des cours collectifs pour les parents touchés par ce type de situation et un programme de formation adressé aux professionnel-le-s.
Le centre de consultations Therapea propose du soutien aux individus, couples ou familles traversant une crise.
Afin de prévenir le conflit à long terme, de l’aide peut aussi être trouvée auprès du Service d’évaluation et d’accompagnement de séparation parentale.
De nombreux liens et ressources sont listés sur le site Familles-Genève.

Dans le canton du Valais, des ressources peuvent être trouvées sur la plateforme cantonale pour la famille.
D’autres ressources et liens utiles sont accessibles via le site Familiance, pour les cantons de Genève, Vaud et Valais.

Dans le canton de Fribourg, des liens utiles et du soutien sont proposés via l’Office familial.

Dans le canton de Neuchâtel, le site Neuchâtel famille compile plusieurs informations et aides quant à différentes situations de la vie familiale.

Dans le canton du Jura, on peut s’informer sur le site de l’association jurassienne pour la coparentalité, ou encore sur le site cantonal. Des informations sont également répertoriées dans la brochure du Secteur de la protection de l’enfant des SSRJU.

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