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Tout le monde aime les emojis!
Les cinéphiles diront que c’est le marathonien Forrest Gump qui a inventé l’émoticône «smiley» en essuyant la poussière de son visage et en déposant une forme de sourire sur un T-shirt… Les geeks attribueront, eux, tout le mérite à Shigetaka Kurita. Dans les années 90, l’homme a inventé les emojis - du japonais «e» (image) et «moji» (lettre) - pour la firme de télécoms NTT Docomo.
Vingt ans plus tard, c’est Apple qui les intègre à ses iPhones et les fait entrer dans nos vies. Si bien qu’aujourd'hui, 6 milliards d'émoticônes ou autocollants (via Messenger et consorts) seraient échangées chaque jour. On les voit tout simplement partout. Quand Roger Federer se blesse en voyage, le Suisse poste sur son compte Twitter une série d’emojis pour narrer ses malheurs. De l’ambulance à sa convalescence.
Quant au hashtag féministe #HeForShe d’Emma Watson, il s’est avéré si viral que Twitter a décidé de lui accoler un picto dédié.
Des emojis au rayon culture
Côté littérature, on les retrouve dans Emoji Dick - la traduction de Moby Dick en émoticônes -, ou à travers le roman Une histoire sans mots du Chinois Xu Bing: le premier livre ne nécessitant pas de sous-titres.
Au cinéma, même engouement. Les petites têtes jaunes seront projetées sur grand écran en 2017 grâce au géant Sony Pictures Animation qui annonce un film tout en emojis. Alors, assisterons-nous un jour, en live de nos smartphones, à la grande dictée d’emojis de Bernard Pivot? Peu probable, mais sait-on jamais… L’emoji a en effet déjà son Petit Robert à lui. Il se nomme «Emojipedia».
Il est d’ailleurs intéressant d’observer que, selon les régions, suite à la «créolisation» du langage emoji décrite par Laurence Allard (maître de conférences en Sciences de la Communication Paris 3 et Lille 3), les usages diffèrent. Les Français, étiquetés «éternels romantiques», enverraient jusqu’à quatre fois plus de cœurs que le reste du monde. A contrario, en Angleterre - humour British oblige… - on oserait carrément les sextos avec des légumes phalliques…
Les émoticônes, l’eldorado de la communication 2.0
En 2014, Karl Lagerfeld, très fort pour ce qui est de sentir les tendances venir, a lancé son app EmotiKarl (disponible sur l’App Store). A la fin de 2015, c’était Kim Kardashian qui sortait ses Kimojis. Ces icônes sexy lui auraient rapporté 1 million de dollars par minute rien qu'en décembre et semblent avoir fait «exploser le standard» de l'Apple Store. Tant la demande était forte ! Même la sphère politique n’a pas échappé à la tendance. «Merci à votre pays d’avoir créé les emojis», s’exclame Barack Obama lorsqu’il reçoit le premier ministre japonais.
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38 nouveaux meilleurs amis
Accros aux émoticônes, réjouissons-nous. Unicode Consortium (ndlr: l’organisation privée à but non lucratif qui choisit les emojis officiels) annonce l’arrivée de 38 nouvelles icônes pour mi-2016. Les préférées de la rédaction? Le marié en smoking, la femme enceinte (eh oui, elle n’existait pas), le cœur noir, le selfie, l’avocat, ou encore le très attendu «haussement d’épaules». Du genre, «Tes chaussettes trouées? Aucune idée chéri…».
Ces «nouveaux amis» ne doivent pas effacer l’existence de certains emojis peu connus. Laurence Allard souligne les initiatives intéressantes d'une journaliste qui cherche, par exemple, à imposer l'emoji chinois (cette dernière dénonçant la «limitation sociologique» de Unicode Consortium). On citera enfin les planches d'emojis OJU, qui honorent la communauté noire du monde entier.
Le futur des emojis
Que les amoureux de la langue française se rassurent… Laurence Allard nous le garantit, les emojis en tant que signes ne constitueront jamais un langage, et nous précise que «les émoticônes sont utilisées suivant la structure de la langue maternelle». En gros, chaque pays «emojira» différemment selon sa grammaire.
Ainsi, l’emoji a peu de chance de devenir un jour une langue universelle, même si son intuitivité, son graphisme (comme l’illustre le succès des discussions créatives sur Snapchat) et son humour (preuves par la série «Younger» ou les vidéos québécoises tragicomiques «Like Moi»), devraient faire de lui, encore pour longtemps, le moyen préféré de dialoguer des 7 à 77 ans.
3 questions à Rachel Panckhurst (maître de conférences à Montpellier 3, membre du laboratoire Praxiling UMR 5267 CNRS)
FEMINA Quels rôles ont les emojis par rapport aux mots?
Rachel Panckhurst Quand nous avons une conversation en face-à-face avec autrui, nous échangeons des paroles, mais également des regards, des gestes, etc. Dans les textes courts écrits et envoyés en ligne ou par téléphone, il peut être important d’ajouter de l’expressivité, de réinjecter des émotions, car la «communication électronique médiée» (mon néologisme) peut paraître parfois un peu sèche. Les emojis permettent d’ajouter une dimension non verbale aux SMS. Ils peuvent alors être ressentis comme des adoucisseurs, mais aussi comme une façon ludique de réintroduire les émotions.
Pourquoi les utilise-t-on autant pour exprimer nos sentiments?
Il est peut-être facile de cliquer sur les emojis, mais gare aux interprétations erronées, notamment dans des situations interculturelles. Et je ne suis pas certaine que cela soit si facile de s’exprimer exclusivement en emojis, du moins pour réussir à nuancer nos sentiments. Par exemple, je ne vais pas utiliser l’emoji avec un bisou sur la joue, pour dire «bises» à un copain masculin, car cela pourrait être ressenti comme étant ambigu.
Peuvent-ils menacer l’écriture et devenir un langage universel?
Les emojis ne mettent pas en péril l’écriture. Ils sont complémentaires et fonctionnent de façon à maintenir un lien ou apporter une dimension ludique. On ne parle pas «emoji». Si un emoji remplace un mot, il le fait de manière très ponctuelle. Dans le discours d’Obama (janvier 2015), on remarquera qu’il n’est pas composé exclusivement d’emojis: les verbes, les adjectifs, les prépositions (etc.) sont utilisés normalement. Pourquoi a-t-on commencé à employer le langage écrit? Car il devenait difficile de tout exprimer à partir de hiéroglyphes, d’écriture cunéiforme, etc. D’ailleurs, dans certains emojis, l’écrit est utilisé (par exemple pour «SOS»).