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Ils sont partout. De Berlin à New York. De Montréal à Milan. En passant par Paris (où leur nombre augmente de 50% chaque année), Munich (où on en a déjà recensé plus de 800) ou encore, plus près de nous, Genève et Lausanne. Ils fleurissent ici sur un balcon, là sur un bout de gazon entre deux immeubles, ailleurs sur un ancien terrain vague ou sur le toit d’un building. Au cours des dernières décennies, lentement mais sûrement, les potagers urbains ont pris racine dans les villes, transformant les citadins déconnectés de la terre en agriculteurs en herbe et réunissant générations, ethnies et parcours professionnels différents autour de quelques lopins gagnés sur le béton. «Les récents scandales alimentaires sont sans doute pour beaucoup dans cette envie de se mettre au jardinage, analyse Natacha Litzistorf, directrice de l’association Equiterre, qui a déjà réalisé plus de 400 parcelles urbaines en Suisse romande. Ils ont entraîné une prise de conscience, un besoin de comprendre comment nous nous nourrissons et d’où nous venons, peut-être parce que nous manquons de repères dans le monde très complexe où nous vivons. Nous restons des êtres humains. Même en ville, notre lien primaire à la terre est ancré en nous.» Nous: cette population citadine qui, en 2008, dépassait la population rurale, et qui devrait atteindre, selon la FAO, les 3,5 milliards de personnes d’ici à 2025...

Alors, les potagers urbains, besoin réel de retrouver ses racines? Nouveau hobby tendance pour bobos en mal de verdure? Ou acte de résistance, voire nécessité économique, face à une industrie agroalimentaire toute-puissante? Quelle que soit la raison qui nous fait nous réunir autour de quelques lopins gagnés sur le béton, une chose est sûre: biner, bêcher, sarcler, planter, en un mot jardiner, c’est bon pour la santé. A tout point de vue.

Bon pour la santé psychique

«Qui plante un jardin, plante le bonheur.» Ce proverbe chinois frappé au sceau du bon sens est une réalité. Mettre ses mains dans la terre, y planter des graines, attendre qu’elles poussent puis en prendre soin pour en tirer les fruits participe à l’équilibre psychologique. Une étude hollandaise publiée en 2011 a ainsi confirmé que le jardinage faisait baisser le taux de cortisol, l’hormone du stress, plus efficacement que la lecture. Deux ans plus tôt, des travaux norvégiens menés auprès de personnes souffrant de dépression avaient déjà démontré que la pratique du jardinage à raison de six heures par semaine diminuait la sévérité des symptômes chez les malades. L’hortithérapie est aussi utilisée pour ses vertus apaisantes auprès de personnes atteintes de l’Alzheimer, d’enfants autistes ou de détenus.

«Contrairement aux activités intellectuelles ou abstraites, le jardinage conduit à un résultat tangible, d’où une sensation de travail accompli, confirme le Vaudois Paul Jenny, psychologue FSP. En outre, il réclame un apprentissage, une expertise qui s’acquiert avec l’expérience et qui est une autre source de satisfaction.» Mais les bienfaits psychologiques ne s’arrêtent pas là: «Le potager stimule la curiosité, il enseigne la patience et l’observation. Il exige d’évoluer en permanence, de s’adapter aux saisons, ce qui implique une certaine humilité.» Dans un monde «connecté» où l’on est bombardé d’informations, «en alerte permanente», selon le psychologue, le jardinage «permet de relâcher notre attention. Avec les nouvelles technologies, les liens que nous créons sont virtuels. L’avènement des potagers urbains participe à la création de contacts réels, concrets, avec autrui. Leur dimension sociale est donc fondamentale.»

Cultiver pour mieux vivre ensemble? Natacha Litzistorf en est convaincue. «Les jardins potagers sont parmi les derniers lieux de mixité sociale dans les villes. Les personnes se conseillent mutuellement. On y voit des aînés enseigner aux plus jeunes, notamment aux bobos urbains dont certains n’ont jamais tenu un outil de jardinage dans leurs mains. Parfois, ce sont les personnes venues de l’étranger, qui ne parlent pas très bien le français mais ont une connaissance de la terre que nous avons perdue, qui montrent les bons gestes aux autres. Des liens se créent... Les potagers urbains permettent de mieux connaître l’autre dont on se méfie toujours.»

Bon pour la santé physique

S’il fait du bien au moral, le jardinage est aussi excellent pour garder la forme. Tout dépend, évidemment, de l’intensité avec laquelle on s’active! Arroser ses tomates cerises en pot sur son balcon demandera moins d’efforts que retourner plusieurs mètres carrés de terre dans un potager. Selon Archedio Ferrara, chargé de projet pour le programme cantonal «Ça marche!» des Ligues de la santé, à Lausanne, la dépense énergétique du jardinage oscille entre «celle d’une marche du dimanche et celle du walking entraînant un léger essoufflement, voire d’un jogging haletant». Une sacrée marge. «Mais quand le potager, de par sa taille et sa situation, permet une activité variée, on sollicite l’ensemble de la musculature, poursuit le spécialiste. Même si, le plus souvent, on le ressent plutôt au niveau du dos et des membres supérieurs.»

«Les recommandations nationales conseillent au moins deux heures et demie d’activité physique d’intensité modérée par semaine, rappelle son collègue Fabio Peduzzi, chef de projet. Le jardinage peut y contribuer. Comme tout exercice physique ce dernier présente l’intérêt notable d’être une bonne alternative à la sédentarité». En 2013, une étude suédoise publiée dans le «British Journal of Sports Medicine» a d’ailleurs démontré que cultiver son potager quotidiennement réduirait les risques de crise cardiaque ou d’attaque cérébrale de près de 30% chez les plus de 60 ans. Lorsque l’on sait qu’en 2050 22% de la population mondiale aura plus de 60 ans, l’argument a de quoi convaincre. Une autre étude, américaine celle-là, a conclu que l’indice de masse corporelle des femmes jardinant dans des potagers communautaires était inférieur à celui des autres. Effet de l’exercice physique ou d’une plus grande consommation de légumes? Les chercheurs n’ont pas pu le déterminer.

Bon pour la santé alimentaire

«Dès lors que l’on a un potager, on a envie de manger ce qu’on y produit. Cela contribue donc à avoir une alimentation équilibrée», énonce Laurence Margot, diététicienne aux Ligues de la santé. Car qui cultive ses propres légumes les consomme. Et d’autant plus facilement qu’en vertu des exigences de la ville les plantages urbains sont situés à moins de cinq minutes du domicile du cultivateur, on peut donc déguster sa production «à maturité, après très peu de temps de stockage, poursuit la spécialiste. Son contenu nutritionnel est meilleur puisque c’est sa cueillette à maturité qui garantit au fruit ou au légume un taux maximal de vitamines et d’oligoéléments. On réapprend ainsi à manger de petites quantités mais savoureuses et de bonne qualité. Et on évite, du même coup, d’avaler des kilos de nourriture pour atteindre la même satisfaction.» Sans compter que, lorsqu’on se met au jardinage, on est forcé d’apprendre quels sont les fruits et légumes de saison. On est alors moins tenté de se jeter sur des fraises arrivées dans les supermarchés dès février alors que la saison ne démarre qu’en mai. Ou sur des asperges importées du Pérou.

Bie n sûr, pour que la production maison participe vraiment à un manger sain, encore faut-il avoir la main légère avec les produits chimiques. Pas toujours facile, quand on débute et qu’on veut bien faire. «Le non-professionnel a parfois tendance à croire que, même si on lui a conseillé de ne mettre qu’un demi-gobelet de pesticides, ça pousserait nettement mieux s’il en mettait le double», poursuit Laurence Margot. Heureusement, cette tentation commence à prendre du plomb dans l’aile: «Dans dix ans, on aura probablement un comportement très différent, tant l’intérêt pour tout ce qui touche à l’écologie est grand.»

Bon pour la santé écologique

Dans son guide «Agir pour le climat», qui vient de paraître, l’Union nationale française des entrepreneurs du paysage rappelle que les espaces verts urbains sont des climatiseurs naturels: ils peuvent faire baisser la température en ville de 0,5 à 2 degrés. Effet identique pour les potagers citadins, donc.

De plus, à l’heure où les énergies fossiles s’épuisent, se rendre moins dépendant de l’industrie agroalimentaire «s’impose comme une évidence», estime Isabelle Veillon. Pour cette grand-maman, membre de Chailly 2030 – association qui a notamment créé des minipotagers au pied d’immeubles dans les hauts de Lausanne – il s’agit bel et bien «d’assurer l’avenir». «Je me fais du souci pour les générations futures, confie-t-elle. Je crains qu’avoir un potager devienne une nécessité, à terme. Le jour où, faute de pétrole pour les transporter, la grande distribution ne pourra plus faire venir ses légumes du bout du monde, il faudra revenir aux produits locaux et de saison. Pour qu’ils puissent se débrouiller, on doit donc apprendre à nos enfants à cultiver. Et c’est quand même plus agréable de s’y préparer pendant qu’on en a encore le loisir.»

Son de cloche moins alarmiste, mais complémentaire, dans la Cité de Calvin où Esther Alder, maire de Genève, souligne: «Même à un niveau microsociologique, il est important d’encourager la production locale car, indirectement, cela donne de la valeur au travail de nos agriculteurs, souvent déconsidérés.» Et la présidente du Conseil administratif de la Ville, en charge du Département de la cohésion sociale et de la solidarité (qui a développé une dizaine de potagers urbains), d’insister: «Préserver une forme d’autonomie alimentaire, renforcer l’agriculture de proximité, valoriser le terroir, c’est remettre la nature au centre de nos préoccupations. L’air que l’on respire, l’eau que l’on boit, les aliments que l’on consomme sont des richesses qu’il faut préserver.»

Bon pour la santé financière

Last but not least: avoir son propre potager, c’est aussi faire des économies. «Evidemment, un potager sur un balcon ne suffit pas à subvenir à vos besoins, mais une parcelle de terrain, suivant sa taille, peut permettre d’alléger le coût du panier de la ménagère, estime Natacha Litzistorf, de l’association Equiterre. Pour certaines familles, ce n’est pas négligeable. Il ne faut pas oublier les working poors.» Pour début de preuve, la jeune femme cite une étude française selon laquelle un ménage modeste peut économiser l’équivalent d’un treizième salaire en cultivant un potager urbain. Bien sûr, l’économie est probablement moindre en Suisse où les salaires sont plus élevés. Toutefois, assure Isabelle Veillon, «lorsqu’on sait s’y prendre, qu’on enchaîne bien les semis, de mars à novembre un minuscule lopin d’un mètre carré permet déjà de récolter pas mal de légumes. Et la Chaillérane de conclure: «Ça rapporte plus que ça ne coûte et c’est meilleur pour la planète qu’un gazon qu’il faut tondre!»

5 questions à Florence Germond

Conseillère municipale, directrice des finances et du patrimoine vert de la ville de Lausanne.

Quelle est la politique de la Ville de Lausanne en matière de potagers urbains?
Nous développons des plantages depuis 1996. Patrimoine suisse a d’ailleurs reconnu tout le travail réalisé en la matière en décernant le Prix Schulthess des jardins 2015 à nos potagers communautaires. Nous en avons une douzaine, répartis sur tout notre territoire, et essayons de profiter de chaque opportunité qui se présente, surtout en utilisant à succès des espaces résiduels qui n’ont pas de grande plus-value aujourd’hui. Un exemple: le nouveau plantage de Florency, situé sous-gare, qui a été inauguré sur une surface verte entre deux barres d’immeubles. C’était un espace interstitiel, en pente. En le transformant en potager, nous l’avons ouvert aux habitants du quartier. Tous ceux qui remplissent les critères y ont droit, dans la limite des places disponibles.

Parmi les critères de sélection figure le fait de vivre à moins de cinq minutes du plantage. Pourquoi?
Parce que nous souhaitons que le plantage crée du lien social. Dans des villes qui incitent à l’anonymat, le bien-vivre ensemble est un enjeu essentiel. Connaître son voisin signifie que l’on peut, en cas de besoin, lui demander de l’aide. Ou lui offrir la sienne. Des études internationales ont démontré que là où existent les potagers urbains on enregistre moins de tensions sociales, de déprédations. Cela est très positif pour la Ville car nous avons dès lors vraisemblablement besoin de moins d’interventions policières pour sécuriser certains quartiers.

Les avantages pour la Ville sont donc aussi financiers, indirectement?
Oui. Je ne peux pas chiffrer la somme que cela représente in fine, mais il est certain que l’existence de plantages en ville engendre des bénéfices qui se traduisent aussi monétairement pour la collectivité. La lutte contre le littering, les tags, les incivilités a un coût. Toutefois, il n’y a pas de rendement direct lié aux potagers car chaque planteur nous verse 3 francs par année et par mètre carré utilisé. Chaque personne se voyant attribuer des parcelles mesurant entre 6 et 40 m2, cela représente de 18 à 120 francs par année pour chaque lopin de terre. C’est donc un loyer symbolique. Mais je suis d’avis que la totale gratuité engendrerait l’idée que l’on n’offre pas une prestation de qualité.

Mettez-vous les planteurs en garde face à la pollution causée par les voitures circulant à proximité des potagers?
Pas directement. Nous avons la chance que Lausanne soit très aérée, du fait qu’elle est construite en pente, aussi nous sommes peu soumis à ce type de pollution. D’ailleurs, nous possédons une quinzaine de ruches en ville et produisons plusieurs centaines de kilos de miel par an qui répond au label «miel de qualité». Il contient donc très peu de polluants. Cela dit, les potagers urbains doivent participer à la qualité environnementale et écologique de la ville. Tous nos planteurs ont dû signer une charte par laquelle ils s’engagent à ne pas utiliser d’engrais chimique. Si nous avons la preuve formelle qu’une personne ne respecte pas ces conditions, nous pouvons aller jusqu’à résilier la location de sa parcelle.

Créer des plantages en ville, est-ce une forme de résistance face à la société de consommation?
C’est clairement un acte politique engagé. Les potagers urbains sont intrinsèquement liés aux enjeux de la souveraineté alimentaire car ils permettent une forme d’autonomie. De la même manière qu’en posant un panneau solaire sur son toit on est un peu moins dépendant des énergies fossiles et de ceux qui nous les fournissent, cultiver ses propres légumes donne les moyens de manger bio et local. En outre, notre production nous permet de faire des économies. On estime que pour une famille cela se chiffre en plusieurs centaines de francs par an. A l’heure où manger bio et local représente encore un surcoût, c’est non négligeable. De ce point de vue, créer des potagers urbains est une forme de résistance, oui.

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