Sexisme
Sport et règles: les athlètes se rebellent contre les tenues blanches
Il aura fallu attendre 2022 pour que les fédérations sportives découvrent, ébahies, l'existence des menstruations. Oui, les femmes en âge de procréer ont des saignements chaque mois, et ce même lorsqu'elles participent à des compétitions. Incroyable! Depuis l'émergence du sport moderne dans les années 1800, c'est-à-dire il y a presque deux siècles, absolument personne dans les hautes instances des différentes disciplines n'avait vraiment pris en compte ce «détail».
La preuve de cette ignorance crasse d'une connaissance basique de la biologie humaine de niveau collège? Les dirigeants des clubs, fédérations, sponsors et autres tournois s'entêtent encore parfois à faire jouer les filles dans d'immaculées tenues blanches. Un habit certes photogénique sur un terrain verdoyant, mais tellement peu adapté pour les personnes évoluant dedans. Mais celles-ci commencent à se rebeller contre une pratique vestimentaire devenue un peu surannée.
Oser libérer la parole
Alors qu'elles venaient de remporter le premier match de l'Euro féminin début juillet 2022 – dans une tenue blanche intégrale imposée par leur sponsor Nike – les joueuses de l'équipe anglaises ont poliment exprimé leur exaspération de devoir évoluer durant 90 minutes dans un t-shirt et un short d'une teinte si exposée aux accidents. «C’est très bien d’avoir une tenue entièrement blanche, mais ce n’est pas forcément adapté quand nous avons nos règles, dénonçait l'attaquante britannique Beth Mead dans The Telegraph. On essaye de gérer ça comme on peut. Nous en avons discuté en équipe puis nous en avons fait part à Nike.»
La meilleure option chromatique, selon elle? «Je suis simple, je suis assez décontractée pour être honnête. Tant que je joue pour mon pays, je me fiche de ce que je porte.» Des déclarations qui ont trouvé un écho favorable chez d'autres footballeuses, à l'instar de Wendie Renard, capitaine d'une équipe de France qui évolue elle aussi en blanc sur le terrain.
La problématique des règles et de leurs inconvénients dans la pratique sportive n'est pas totalement nouvelle, mais les nouveaux outils de communication rendent enfin le sujet audible. «Dès 1996, une athlète allemande avait couru un marathon et s'était mise à saigner de manière visible pendant la compétition, et cela n'avait pas lancé le débat plus que ça, se souvient Solène Froidevaux, spécialiste en étude genre et en sport à l'Université de Lausanne. Mais grâce aux réseaux sociaux et à l'évolution des mentalités, ce sont des choses qu'on ne peut plus ne pas entendre, la parole des sportives est davantage médiatisée, même si on continue encore trop souvent à ne pas prendre en compte le vécu des femmes.»
Codes d'un autre temps
Dans le cas des footballeuses, les revendications n'entraîneront aucun changement à court terme, puisque, selon le magazine The Athletic, le short des joueuses anglaises est censé rester tel qu'il est au moins pendant toute la durée de l'Euro. Ces remarques à propos d'une couleur bien peu pertinente pour les sportives ne sont pourtant pas isolées.
Il y a quelques semaines, plusieurs tenniswomen ont abordé le sujet lors du très «white is white» tournoi de Wimbledon, qui impose depuis des lustres à toute personne entrant sur un court d'être vêtue de blanc de la tête aux pieds, littéralement. Adieu casquettes, chaussettes, brassards ou même sous-vêtements colorés. Ce dresscode psychorigide n'autorise même pas un blanc crème ou un blanc cassé pour tenter de rendre sa tenue un tout petit peu moins vulnérable aux éventuelles taches.
«Pendant les préqualifications, j’avais mes règles et les premiers jours ont été très lourds, j’étais un peu stressée à ce sujet. Je pense qu’avoir ses règles sur le circuit est déjà assez difficile, mais porter du blanc n’aide pas, racontait la joueuse britannique Alicia Barnett à l'agence de presse PA début juillet 2022. Je pense que certaines traditions pourraient être modifiées.»
Ecouter enfin les joueuses
Des propos qui en ont rapidement suscité d'autres. «Beaucoup d’athlètes portent des serviettes hygiéniques en plus ou s’assurent d’avoir un tampon avant d’entrer sur le terrain», réagissait ainsi Rennae Stubbs, une ex-tenniswoman australienne. «C’est la pire crainte de tout le monde: avoir ses règles à Wimbledon ou ne pas savoir qu’elles arrivent», commentait pour sa part la Canadienne Rebecca Marino, 99e joueuse mondiale au classement ATP, dans le Times.
Les joueuses ne remercient donc pas les extrémistes inflexibles du blanc au Grand Chelem londonien, parmi lesquels son directeur Ian Hewitt, ardent défenseur de la sacro-sainte tradition. «La tradition, c’est bien, mais si 50 % de vos joueurs ne sont pas à l’aise, vous devriez les écouter, lançait récemment la championne de badminton Aditi Mutaktar. Wimbledon et toutes ces fédérations sont ce qu’elles sont grâce aux joueurs, et devraient exister autour des athlètes et de leurs performances. La tradition n’est pas l’herbe verte et les vêtements blancs. Ce sont les joueurs.»
Une charge mentale
D'ailleurs, ceux qui ne verraient dans ces revendications que des caprices purement stylistiques sont loin d'imaginer l'impact que peut avoir la gestion des menstruations sur le parcours des athlètes concernées. Dans un tweet publié le 31 mai 2022 et qui a beaucoup fait parler de lui, la championne olympique portoricaine Mónica Puig a notamment évoqué le «stress mental» généré chez les femmes par le fait de devoir évoluer en blanc.
D'abord un idéal bourgeois
Surtout que ce fameux blanc, si prisé par de nombreux organisateurs de compétitions et de sponsors, est souvent là pour des raisons n'ayant pas grand chose à voir avec l'exploit sportif pur, comme le rappelle Solène Froidevaux: «Historiquement, le blanc a été imposé à Wimbledon parce qu'il était la couleur de la bourgeoisie, cette catégorie sociale ayant longtemps été la seule à jouer au tennis en Angleterre. La tenue blanche véhiculait l'idéal d'élégance et d'esthétique corporelle de cette population privilégiée et conservatrice. Même si les femmes ont été assez vite acceptées dans ce sport, elles ont dû adhérer aux mêmes consignes vestimentaires que les hommes.»
Au risque que leurs besoins spécifiques soient bafoués. «L'univers sportif aime fabriquer des corps beaux, spectaculaires, héroïques, mais il oublie souvent le corps naturel, somatique, qui est derrière, note Christophe Jaccoud, sociologue du sport à l'Université de Neuchâtel. C'est un milieu conservateur qui continue, notamment à l'égard des femmes, de contrôler l'apparence au nom d'une prétendue élégance, par exemple en exigeant des jupes ou autres habits légers parfois inappropriés pour le confort de l'athlète.»
Des décideurs trop masculins
Même si l'on met aussi en scène le corps des hommes, les codes «n'ont pas autant d'impact sur la performance que sur celle des femmes», souligne Solène Froidevaux. Sans doute parce que ce sont majoritairement des hommes, justement, qui siègent à la tête des instances sportives. «Beaucoup, n'avaient jusqu'ici tout simplement pas réfléchi à ce problème, ne vivant pas ces situations», pointe la chercheuse de l'Université de Lausanne.
«Si Wimbledon avait une politique vestimentaire qui affectait les hommes de la même manière que les femmes, je ne pense pas que cette tradition particulière perdurerait», taclait à ce sujet la journaliste Catherine Whitaker dans The Telegraph durant le tournoi anglais.
En attendant que les dirigeants du monde du sport acceptent de déroger à quelques coutumes stupides et de proposer des tenues féminines plus adaptées, les sportives continuent de chercher la parade, comme elles le font silencieusement depuis des décennies. Pour éviter d'avoir à gérer l'apparition de taches rouges durant un match à Wimbledon, parce qu'elle allait avoir ses règles au même moment, la tenniswoman britannique Heather Watson a par exemple dit à la BBC qu'elle allait «probablement prendre la pilule» pour les repousser. Avec les potentiels effets secondaires qu'on connaît chez ces médicaments.
Une seule pause toilettes
Le problème étant que certains règlements de tournois peuvent également pénaliser les femmes sur ce point. En tennis, le livre du Grand Chelem 2020, sorte de bible pour les matches au plus haut niveau, stipule ainsi que les joueurs, tous sexes confondus, n’ont droit qu’à une seule et unique pause pour se rendre aux toilettes ou changer de tenue en plein match. Une parenthèse trop juste pour permettre aux joueuses de glisser régulièrement un vêtement propre ou de changer leur protection menstruelle si besoin.
En mode superhéroïne
Et si les instances sportives ne réagissent pas, reste l'option de la rébellion, comme l'a fait Serena Williams à Roland-Garros en 2018. Revenant de grossesse, la championne avait débarqué sur le court dans une combinaison moulante noire. Une tenue loin des jupes habituelles des tenniswomen, qui la boostait et qui représentait, selon elle, «toutes les femmes qui ont dû traverser des épreuves, mentalement et physiquement avec leurs corps, et qui reviennent, confiantes et croyant en elles-mêmes».
Un choix très décrié par de nombreux pontes de la discipline. «Je crois qu'on est parfois allé trop loin. Cette tenue ne sera plus acceptée. Il faut respecter le jeu et l'endroit. Tout le monde a envie de profiter de cet écrin», avait statué Bernard Giudicelli, le président de la Fédération française de tennis (FFT). Si seule la performance compte, pourquoi ne pas laisser les femmes réaliser leurs exploits dans la tenue qui les rend les plus fortes, au lieu de se soucier de la soi-disant cohérence du paysage?