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Qui était Madame Néandertal?

Credit JC Domenech MNHN

Kinga a beau être en silicone, elle restitue fidèlement ce que l’on sait de Mme Néandertal grâce aux découvertes scientifiques les plus récentes. Vêtements mis à part, c’est donc véritablement à cela qu’elle ressemblait.

© JC Domenech MNHN

Le nouveau visage de l’homme de Néandertal a les traits… d’une femme. Une femme au regard franc et aux joues constellées de taches de rousseur dont la physionomie nous apparaît avec toujours plus de précision, grâce aux mannequins hyper-réalistes de l’artiste Elisabeth Daynes.

Le dernier en date a quelque chose de différent. La mine presque rieuse, les cheveux peignés, cette troublante réincarnation de notre très vieille cousine porte même un gilet bleu, un pantalon noir et une paire de baskets blanches. Avec son look anachronique signé Agnès B., Kinga (c’est son nom) fait son petit effet sur les visiteurs de l’exposition «Néandertal», actuellement au Musée de l’homme de Paris.

Kinga a beau être en silicone, elle restitue fidèlement ce que l’on sait de Mme Néandertal grâce aux découvertes scientifiques les plus récentes. Vêtements mis à part, c’est donc véritablement à cela qu’elle ressemblait. L’allure contemporaine, c’est un pied de nez des concepteurs de l’exposition. «Nous avons voulu montrer que, s’il y a bien sûr des choses qui nous distinguent de Néandertal, ces différences ne sautent pas aux yeux, elles ne sont en tout cas pas aussi importantes que certains l’imaginent», explique la préhistorienne Marylène Patou-Mathis.

«Habillée, coiffée, pas sûr que Kinga attirerait votre regard si vous la croisiez dans la rue», prévient la scientifique.

Mme Néandertal nous ressemblait donc. Génétiquement, nous avons d’ailleurs un peu d’elle en nous. Entre 1,4 et 4% de notre ADN nous vient de cette espèce qui a forcément dû, à un moment donné, partager plus qu’une place autour du feu avec l’homo sapiens.

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Pas un personnage balourd

Soyons honnêtes, toutefois, Mme Néandertal affiche quelques particularités morphologiques, comme ces bourrelets, juste au-dessus de l’orbite des yeux. Elle a un front et un menton fuyants, l’arrière du crâne en forme de ballon de rugby. Des analyses génétiques de fossiles montrent que ses yeux étaient plutôt clairs sans être bleus, disons noisette, qu’elle avait des cheveux tirant sur le roux ou le châtain, selon les régions. Car les traces laissées par cette espèce d’hominidé, qui vécut entre -350 000 ans et -35 000 ans, attestent de sa présence sur un très vaste territoire, s’étirant de l’Europe de l’Ouest jusqu’à l’Asie centrale et le Proche-Orient.

Depuis la découverte du premier fossile de Néandertal, en 1856, en Allemagne, on lui prête volontiers les traits d’un personnage balourd et primitif. Sa réhabilitation est relativement récente. Non, Néandertal n’était pas cet être sauvage dépeint par les premiers paléo-anthropologues, mais un maillon important et passionnant de la Préhistoire. Tout comme sa femme.

«Elle existe! On a pourtant trop souvent l’impression que ce n’est pas le cas, que l’évolution humaine s’est faite sans elle», s’indigne Marylène Patou-Mathis.

Attardons-nous donc un peu sur elle. La vérité, c’est que physiquement Mme Néandertal n’est pas très différente de Monsieur. Avec son mètre cinquante-deux, voire cinquante-six, elle est plus légère d’une dizaine de kilos et plus petite d’une dizaine de centimètres – parfois moins, comme le prouvent des vestiges espagnols faisant état d’une différence de trois à quatre centimètres à peine entre hommes et femmes d’un même clan. Elle est robuste et trapue. Sa boîte crânienne abrite un cerveau volumineux, plus que le nôtre. On le sait grâce à des techniques d’imagerie permettant d’observer les empreintes laissées au niveau de la surface interne du crâne.

Concrètement, Mme Néandertal était parfaitement capable de réaliser des tâches rudes, physiques, techniques, comme fabriquer et se servir d’outils ou lancer des projectiles. Elle travaillait sans doute les peaux et maniait peut-être même les armes. En tout cas, elle était dotée, comme ses compagnons de sexe masculin, de fonctions cognitives développées. Elle avait certes le front fuyant – caractéristique physique suggérant que ses lobes frontaux, et donc sa capacité d’abstraction, étaient moins développés – mais elle possédait aussi le gène FoxP2, associé à la faculté de parler. Son palais, creux, ainsi que la présence d’un os hyoïde au niveau de son larynx, essentiel à la propagation de la voix, constituent la preuve qu’elle était tout à fait apte à produire des sons, et même un langage articulé.

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Quel rôle au sein du clan?

On l’a vu, Mme Néandertal était costaude, dégourdie et capable de communiquer verbalement avec ses congénères. Rien n’indique donc que notre vieille cousine n’était pas une tailleuse de silex chevronnée ou même une agile chasseuse de bisons. Rien ne dit qu’elle occupait tout son temps à pouponner, ramasser des tubercules et balayer la grotte. D’autant qu’elle vivait au sein de petits clans. Dans ces regroupements de trente à cinquante individus, la division des tâches pouvait se faire en fonction des aptitudes des uns et des autres plutôt que de leur sexe, comme le suggère Marylène Patou-Mathis:

«Pourquoi la femme de Néandertal n’aurait-elle pas réalisé certaines activités physiques, peut-être même dangereuses? Elle en était parfaitement capable. Mais le suggérer provoque encore aujourd’hui un blocage, y compris chez certains scientifiques. On me dit que je n’ai pas de preuve de cela. Je réponds qu’il n’y a pas non plus de preuves que ça ne se passait pas ainsi!»

En tout cas, Mme Néandertal ne se faisait pas tirer les cheveux par un type menaçant muni d’un gourdin, comme dans certaines illustrations apparues dès le XIXe siècle. Rien n’atteste, d’ailleurs, qu’une arme aussi grossière était utilisée par ces individus. Le type d’arsenal retrouvé par les archéologues montre, au contraire, la grande habileté technique de Néandertal. Une habileté peut-être autant féminine que masculine. «La Préhistoire, en tant que discipline scientifique, s’est constituée au XIXe siècle, dans une société bourgeoise où la femme était cantonnée à un rôle domestique, rappelle Marylène Patou-Mathis. Mais le fait d’attribuer à Néandertal une répartition des rôles calquée sur cette vision réductrice de la femme, essentiellement maternelle et reproductrice, n’a rien de scientifique.»

Mme Néandertal devait, par ailleurs, en connaître un rayon sur les vertus médicinales des plantes. Des analyses du tartre dentaire, retrouvé sur des fossiles, ont non seulement révélé que les plantes sauvages faisaient partie de l’alimentation courante de ces hommes préhistoriques, mais aussi de leur pharmacopée. Les restes d’un individu ayant vécu il y a 50 000 ans montrent que celui-ci souffrait d’un abcès dentaire et d’un parasite intestinal, mais surtout qu’il avait ingéré une moisissure herbeuse contenant du penicillium, un antibiotique naturel, ainsi que des bourgeons de peuplier, source d’acide salicylique, principe actif de l’aspirine.

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Elle meurt plus jeune

Et puis, Mme Néandertal était peut-être un peu artiste aussi. On attribue en tout cas à ses congénères des peintures rupestres réalisées à l’ocre rouge dans trois grottes espagnoles et qu’une datation récente, mais controversée, fait remonter à -64 000 ans, soit environ 20 000 ans avant l’arrivée de l’homo sapiens dans la région.

Ce qui différencie indiscutablement Mme Néandertal des hommes qu’elle côtoyait relève de la biologie. Ainsi, on sait qu’elle atteignait la puberté vers l’âge de 11 ans et demi. Certaines quittaient leur clan pour un autre, afin de trouver un partenaire sexuel, comme le prouvent des analyses génétiques. Cette pratique permettait sans doute d’éviter la consanguinité.

«Mais le fait que ce soit la femme qui passe d’un groupe à un autre fait d’elle le véhicule de cultures et ça, c’est très intéressant», ajoute Marylène Patou-Mathis.

Là où Mme Néandertal semble clairement désavantagée, c’est en matière de longévité. «Nous n’avons pas découvert de fossiles de vieilles femmes, constate la préhistorienne. Elles avaient au maximum 35 ou 36 ans, alors que certains hommes, eux, avaient jusqu’à 50 ans.» Un décalage qui pourrait s’expliquer par le fait d’enfanter et le risque de mourir en couche.

Néandertal, l’exposition

Depuis le 28 mars 2018 et jusqu’au 7 janvier 2019, le Musée de l’homme, à Paris, consacre une grande exposition à la femme et à l’homme de Néandertal. Parmi les 260 objets présentés, des moulages, des reproductions, mais aussi, et surtout, des originaux, d’authentiques restes archéologiques dont la fameuse calotte crânienne retrouvée dans la vallée de Neander, en Allemagne. Autrement dit, le tout premier fossile de cette espèce préhistorique, découvert en 1856.

Qui était Homo neanderthalensis, comment vivait-il, comment s’exprimait-il, quels étaient ses gestes quotidiens, mais aussi ses spécificités morphologiques, cognitives, ses rites, que sait-on de sa rencontre avec Homo sapiens? En s’appuyant sur les découvertes scientifiques les plus récentes, l’exposition propose une série de dispositifs multimédias interactifs, un habitat reconstitué, ainsi qu’un regard critique sur l’iconographie (dessins, peintures, sculptures) qui a façonné, et longtemps biaisé, notre manière de considérer cet homme préhistorique depuis le XIXe siècle.

Plus d’informations sur Expo Neandertal

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