chronique
Procès Amber Heard vs. Johnny Depp: Qui sommes-nous pour juger?
Pour faire court – mais alors aussi court qu’un hashtag puisse le faire – il était une fois un #martyr et une #sorcière. Vous l’avez deviné, il ne s’agit pas d’une nouvelle production Walt Disney, mais bien du procès donné en pâture aux yeux du monde de Johnny Depp et Amber Heard. Dans le rôle du martyr, l’acteur commence par montrer patte blanche et un doigt coupé en guise d’ouverture du show judiciaire le 11 avril 2022. Cheveux tirés vers l’arrière dévoilant une mine grave, cravate Gucci et bagouses à chaque doigt pour rappeler stylistiquement qui est le pirate du naufrage, il entrouvre méticuleusement la boîte de Pandore sur sa relation destructrice avec Amber Heard. D’une voix monocorde et le regard rivé vers le desk à travers ses verres teintés, il aborde des sujets tabous comme celui des hommes battus. Du lourd. Sans grande surprise, les médias – traditionnels et sociaux confondus – se passionnent aussitôt pour le règlement de comptes des ex-époux terribles devant le tribunal de Fairfax aux États-Unis.
En continu et en live, le déballage médiatique est sans précédent. À faire passer le prince Charles et sa maîtresse Camilla pour des enfants de chœur avec leurs échanges enregistrés en 1993, le «shocking» et non moins truculent «Camillagate». Tous les ingrédients du scénario hollywoodien le plus glauque sont réunis dans la sordide exhibition des anecdotes. Les divorcés seraient-ils en train de jouer le rôle de leur vie? Pour le meilleur – surtout pour le pire – la réalité semble bien triviale dans le tribunal étriqué en comparaison avec les fictions judiciaires qu’on adore dévorer en série ou au cinéma.
Acte I, Johnny tu n’es pas un ange
Vouée au silence pendant que Johnny s’épanche, Amber écoute attentivement, prend scrupuleusement des notes. Chignon structuré style années 40, tresses torsadées de Gretchen fatale ou simplement déployée en ondulations capillaires, ses coupes savantes démontrent la volonté de l’actrice de paraître sous son meilleur jour. C’est dans cette configuration extrêmement tendue que la vindicte populaire se déchaîne. Sur son clavier, au café ou à l’apéro, entre collègues et entre amis, les citoyennes et citoyens du monde entier se sentent légitimes de revendiquer leur équipe, leur #team. Avec un net avantage pour l’ancien bad boy qui saccageait ses chambres d’hôtel avec son ex Kate Moss, quelques années avant que Vanessa Paradis ne le mette sur la voie de la rédemption. Érigé en martyr du haut de son statut de superstar, Depp fait face dans ce duel médiatique à Heard blâmée en néosorcière à brûler vive sur la Toile. Un raccourci d’autant plus grotesque que la véhémence émane de personnes ne les connaissant ni d’Ève ni d’Adam. Mais attention, Amber n’a pas dit son dernier mot!
Acte II, les mots bleus d’Amber à la barre
Après Johnny et les témoignages en sa faveur de son staff, des bodyguards au chauffeur, sans oublier le personnel de maison aux premières loges des scènes de ménage d’anthologie entre les deux ex, Amber embraye début mai: «Je peine à trouver les mots pour décrire comme c’est douloureux, horrible pour moi d’être assise ici et de tout revivre.» À l’endroit où Johnny se remémore le pire avec «Miss Heard», comme il la nomme systématiquement, Amber revient sur leur sombre passé commun en parlant de «Johnny», l’accuse de violences et de viol conjugal. Au passage, elle n’oublie pas de rappeler le coup de foudre, la passion et l’amour au début de leur relation. Comme on n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace, les médias choisissent minutieusement de monter en épingle son caractère hystérique. La chasse à la sorcière redouble d’ardeur. Ses expressions faciales sont décortiquées, commentées. Certains l’accusent de réduire à néant la lutte féministe de ces dernières années en suppliant une issue gracieuse pour Johnny. D’autres l’accusent de grimacer sans verser de véritables larmes. Climax. Retournons maintenant le miroir.
Épilogue, miroir, mon beau miroir…
Las des exégèses haineuses, revenons à nous. L’audience dans les gradins de l’arène. Que racontent de nous-mêmes nos projections sur l’instance? On cherche aujourd’hui à désigner qui de l’acteur ou de l’actrice est le coupable de ce mariage toxique. Comme si l’un avait subi les maléfices de l’autre. Un bon, une mauvaise. Vraiment? Pendant qu’on s’évertue à chercher des poux dans la chevelure ondoyante d’Amber, à quel moment avons-nous pu tomber dans une telle simplification des rapports humains et des méandres de l’inconscient? À quel moment avons-nous commencé à confondre la dérive d’une situation inextricable jusqu’au point de non-retour de la toxicité avec une personne toxique? À quel moment avons-nous été confrontés à l’intimité d’un couple de stars sur le déclin pour nous imaginer que notre analyse vaut la peine d’être partagée et entendue?
Il faudrait être bien hypocrite pour nier le malin plaisir à se laisser aller à l’infotainment. Comme dans la superproduction Don’t Look Up d’Adam McKay que Netflix ajoutait à son catalogue en début d’année 2022, le divertissement engloutit le monde pétri des enjeux urgents qui nous attendent. Entre une pandémie mondiale, la guerre en Ukraine et les révélations alarmantes du rapport du GIEC, rien de tel que deux paumés qui se déchirent en live pour se changer les idées. Alors quand les paumés s’appellent Johnny Depp et Amber Heard, c’est le Graal. Mais n’oublions pas que nous n’étions ni dans le lit, ni derrière les portes où leur couple a sombré.
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