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On les croyait disparues... mais les sorcières sont toujours là!

Le retour des sorcieres etats unis trump magie

En 2018, les sorcières ressemblent à des féministes militantes, qui entendent balayer les injustices et mettent le macho dans le viseur de leur baguette magique. Encore plus badass que l’Hermione de Harry Potter.

© Rhett Wesley

Des pentagrammes sur le sol. Des chapeaux pointus dans les rues. Des grimoires qui s’échangent sur le web. Plus de 230 ans après la dernière exécution d’une de leurs représentantes, les sorcières sont de retour. Mais ce come-back risque de déboussoler les amateurs de contes. Car les néo-magiciennes n’ont plus le profil de l’emploi.

Oubliez les mégères voûtées au nez crochu et pustuleux qui empoisonnent ou mangent les enfants, jetez aux orties la gentillette femme au foyer qui remue le museau pour téléporter un guéridon!

En 2018, les sorcières ressemblent à des féministes militantes, qui entendent balayer les injustices et mettent le macho dans le viseur de leur baguette magique. Encore plus badass que l’Hermione de Harry Potter.

Les mâles dans un chaudron

De la côte ouest des Etats-Unis à la Provence en passant par l’Espagne, elles ont ainsi manifesté dans les rues pour défendre les droits des femmes. Chaque mois, des sorcières du monde entier se réunissent, notamment à New York, pour lancer des sorts à Donald Trump. Sur Internet, ces drôles de dames aux connaissances occultes publient des vidéos engagées, et organisent même des sabbats 2.0 via Instagram ou Twitter.

Le hashtag #WitchesOfInstagram fédère à lui seul près de deux millions de publications. De son côté, #BindTrump encourage les sorcières du globe à déployer leurs pouvoirs afin de porter malheur, ici au président américain, là au juge de la Cour suprême Brett Kavanaugh, accusé d’être un prédateur sexuel. Même les séries s’y mettent, en proposant des reboots plus sombres de Charmed et de Sabrina, l’apprentie sorcière dopés à la potion #MeToo.

Des malédictions sur le front

«La sorcellerie est aujourd’hui brandie comme une arme pour contre-attaquer le sexisme ambiant et le retour en force des valeurs judéo-chrétiennes, observe Silvia Mancini, professeure d’histoire comparée des religions à l’Université de Lausanne (UNIL), spécialiste des traditions magico-religieuses. Elle est pensée comme une contre-culture qui résiste face à la menace pesant sur les droits des femmes

On comprend mieux, dès lors, le succès du hashtag #MagicResistance sur les réseaux sociaux, où les sorcières connectées décrivent les recettes de formules magiques, ou dessinent des motifs ésotériques sur les fronts des mâles alpha les plus haïs du moment. A bien y réfléchir, cette réappropriation de la figure de la sorcière comme icône de la lutte féministe n’est cependant pas tout à fait inédite, fait remarquer Martine Ostorero, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Lausanne:

«Il s’agit d’une résurgence de l’image seventies de la sorcière. A partir de la fin des années 60 et jusqu’à un essoufflement du phénomène aux portes des années 80, ce personnage a été utilisé par les mouvements contestataires de gauche ou d’extrême gauche, de l’Italie aux USA, pour symboliser l’empowerment des femmes.»


New York, Washington, Portland… Les sorcières font partie du paysage citadin américain depuis début 2017, date de l’organisation d’une résistance occulte contre Trump. © Getty

New York, pomme empoisonnée

En France, une revue féministe intitulée Sorcières, lancée par Xavière Gauthier, a été publiée entre 1975 et 1982. Lors de la fête de Halloween 1968, des féministes américaines créèrent l’association W.I.T.C.H., acronyme de Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell. Ses membres, sorcières et vêtues comme telles, investissaient les rues de Manhattan pour maudire pêle-mêle le patriarcat, les suprémacistes blancs, les golden boys de Wall Street. Un joyeux happening contre toute forme de domination par les hommes.

Mai 68 et la critique du patriarcat, l’ère Trump aux obsessions misogynes et homophobes. Les offensives de sorcières surviennent donc à chaque fois qu’il faut défendre les droits des femmes et l’égalité. Mais pourquoi ce tropisme? Sans doute parce que la figure de ces femmes, jugées et brûlées par dizaines de milliers entre la fin du Moyen Age et le XVIIIe siècle, est un véritable totem condensant tout ce que les hommes peuvent craindre et tenter de contrôler chez le sexe opposé. Une dimension au centre de Sorcières, la puissance invaincue des femmes (Ed. La Découverte, 2018), de la journaliste Mona Chollet.

Toutes diaboliques

«Dans notre perception, la sorcière est par essence transgressive, souligne Silvia Mancini. C’est parce que les accusations de sorcellerie, portées par l’Eglise, stigmatisaient une prétendue relation de complicité à la fois biologique et spirituelle entre la femme et la nature, de surcroît une nature dangereuse et insoumise. De nos jours, pour les féministes, revendiquer un tel lien occulte avec cette nature prend tout son sens dans un contexte de lutte contre un pouvoir religieux qui se réaffirme.»

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Martine Ostorero rappelle que ce naturalisme imposé à la gent féminine a d’ailleurs été fabriqué par la religion elle-même: «Depuis Lilith et Eve, les femmes font l’objet d’une misogynie inhérente à la pensée chrétienne. Les démonologues de l’époque les accusaient d’être une menace, car instables et dotées de pouvoirs. Ils les imaginaient facilement intimes avec le diable. Pour certains d’entre eux, le nom femina, femme, découlait du latin fe-minus, qui signifie qui observe moins la croyance.»

Se proclamer sorcière, cela permet alors d’incarner, via une dialectique ironique, à la fois la victime et la coupable. «Il y a une ambivalence inhérente à cette figure, analyse la professeure de l’UNIL. On peut jouer sur sa dimension menaçante, tout autant que sur son côté bienveillant, qui guérit et améliore le quotidien grâce à la magie.»

La magicienne était un homme

Mais si la sorcière persécutée offre une incarnation clés en main de la domination de l’homme sur la femme, c’est peut-être davantage à cause d’une vision fantasmée que de la réalité historique, nuance Michel Porret, professeur d’histoire à l’Université de Genève, et auteur d’un ouvrage sur la dernière sorcière exécutée dans la Cité de Calvin:

«Cette réutilisation par les mouvements féministes pose un problème d’interprétation. Les femmes jugées pour sorcellerie ne luttaient pas contre la société, elles n’étaient pas des figures actives. Elles se retrouvaient prises en tenaille dans un contexte de grande violence populaire, de détresse sociale, entre le pouvoir religieux et des populations souvent très pauvres qui cherchaient un bouc émissaire à leurs malheurs. On leur attribue donc de manière anachronique des valeurs issues du XXe siècle.»

Plantes et tarot en héritage

Et Martine Ostorero de rappeler que la chasse aux sorcières n’a pas concerné que des femmes. «Au début de la répression, c’est-à-dire à la fin du Moyen Age, les personnes jugées pour sorcellerie étaient constituées de 70 à 80% d’hommes. Au fil des siècles la proportion s’est toutefois inversée, pour atteindre 70% de femmes.»

Les féministes sorcières contemporaines brandissent-elles des amulettes et des cristaux? Là encore, c’est un peu plus compliqué.

«Le paganisme des sorcières est un mythe, note Michel Porret. La plupart des ces femmes étaient soucieuses qu’on les respecte pour leur foi. Si on les associe à des magiciennes, c’est parce que les savoirs de guérison traditionnels ont été progressivement discrédités par l’arrivée de la science médicale à la Renaissance. Les hommes, seuls admissibles à l’université, ont bientôt eu le monopole de la médecine officielle, tandis que les femmes ne pouvaient dispenser autre chose que des remèdes occultes faits de plantes et de formules mystérieuses.»

Des sorcières nazies

Cette cristallisation moderne du féminin et de la sorcellerie aurait même un architecte en chef: Jules Michelet. Avec son essai La sorcière, cet historien français va contribuer à répandre l’image romantique d’une femme indépendante fustigée par la société. Au moment de la sortie de l’ouvrage, en 1862, la mode est à la redécouverte de la culture médiévale. La magicienne victime des démonologues illustre alors à merveille cette ancienne Europe domestiquée par le christianisme.

«Il est clair que la figure de la sorcière est malléable et peut servir pour nombre de situations», souligne Martine Ostorero. Qui se souvient par exemple que la sorcière fut l’un des étendards des nazis, qui l’utilisèrent comme symbole de la culture aryenne en lutte contre le judaïsme? Reste que sa présence dans l’imagerie féministe a du sens, assure Silvia Mancini. «La sorcière touche l’imaginaire, elle fait écho à plein de représentations et attire l’attention du public. Il s’agit là d’un langage symbolique. Et parfois, les symboles peuvent être plus puissants qu’un discours argumenté sur les droits des femmes à l’ONU.» Dans une période où les populismes usent des émotions au détriment de la raison, la sorcière part plutôt bien armée.

Ces sorcières parmi les people

With my sweetheart

Une publication partagée par Lana Del Rey (@lanadelrey) le

La résistance des prêtresses de l’occulte s’organise contre Donald Trump et son clan. L’une d’elles est particulièrement connue: c’est Lana Del Rey. La chanteuse a posté un tweet appelant à jeter un sort au président. Pour concocter la recette du rituel, «les ingrédients peuvent être trouvés en ligne», précise la star. Celle-ci indique en outre quatre dates à privilégier pour ensorceler le locataire de la Maison-Blanche, qui coïncident avec des périodes de lune décroissante.

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Mais elle n’est pas la seule internaute VIP à promouvoir l’activité de sorcellerie 2.0. Ava Sedna, Fay Nowitz, Harmony Nice ou encore Jenna Caprice sont devenues des influenceuses au rayonnement mondial en mettant en scène leur style de vie de sorcière, mixant looks gothico-new age et formules ésotériques. Avec Le guide pratique du féminisme divinatoire (Ed. Cambourakis, 2018), la réalisatrice française Camille Ducellier propose,elle, une sorte de grimoire à l’usage des féministes adeptes de la magie noire ou blanche.

Pour d’autres personnalités, la sorcellerie se conçoit davantage comme un état d’esprit qu’en se munissant de sel, plumes, bougies, cartes de tarot et fragments de pyrite. A l’image de la diva pop britannique FKA Twigs, qui dans ses clips a invoqué une esthétique de l’occultisme. La rappeuse américaine Princess Nokia, de son côté, revendique même le statut de sorcière comme «un droit de naissance».


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