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Leurs muscles nous font-ils craquer?
Bella Swan roucoulant devant les biceps de Jacob, son ami d’enfance monté en graine, c’était en 2009 dans «Tentation», deuxième volet de la saga vampiresque «Twilight». Et à l’époque ça nous avait fait gentiment ricaner. Sauf que ça continue encore et encore: dans la pub comme au cinéma, ces messieurs n’en finissent plus de bomber le torse depuis l’apparition de Channing Tatum dans «Magic Mike» (2012). Voyez le gentil Jon Snow, de «Game of Thrones», qui n’est quand même pas une petite chose quand il enlève son manteau de fourrure; pour le film «Pompéi», son interprète, Kit Harington, en a rajouté, se transformant en armoire à glace. La métamorphose est encore plus impressionnante pour les acteurs aux airs de grand roseau fragile. A l’instar de Jake Gyllenhaal: «six heures d’entraînement par jour, 2000 pompes et 8 kilos de muscles en plus» pour le film «La rage au ventre» (2015), rien que ça!
La tendance est si développée qu’elle s’est même trouvé un nom: le «hunkvertising», contraction de hunk, beau morceau de chair mâle, et d’advertising, publicité. Le dernier à s’être prêté au jeu? Scott Eastwood, fils de Clint, qui tombe la chemise pour une eau de toilette. «Le corps musclé, notamment aux Etats-Unis, fait vendre», confirme Fabien Ohl, professeur à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne. Et la Suisse n’échappe pas au phénomène, comme le montre le succès des salles de fitness.
Le sociologue Guillaume Vallet, qui enseigne à l’Université de Grenoble-Alpes et à l’Institut de recherches sociologiques de Genève, précise que ce physique «représente un symbole de domination et d’attractivité sexuelles dans une perspective aussi bien hétérosexuelle qu’homosexuelle.» Et de relever la popularité de différents types de «mâlitude», de la plastique sculpturale façon Grèce antique à l’inspiration Cro-Magnon – tel le rugbyman Sébastien Chabal en ses nombreuses incarnations publicitaires. Avec, toujours, l’importance du torse – pectoraux, bras, abdominaux – «indicatif de la capacité de défense chez l’homme et donc de protection de la femme et des enfants», d’après l’éthologue Roland Maurer, enseignant à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation à l’Université de Genève.
Pour plaire à ces dames
Mais qu’est-ce qui explique cette déferlante de testostérone que l’on croyait has been? Le désir de plaire à ces dames, répond une très sérieuse étude réalisée en 2007 par diverses universités américaines: 95% des hommes interrogés y ont indiqué vouloir prendre soin d’eux pour être «plus sexy», et 90% «pour renforcer leur attractivité auprès des femmes».
Le bodybuilding, arme de séduction massive? Alors qu’on se croyait encore à l’ère des métrosexuels filiformes et androgynes à la Jude Law! Pas plus tard que le mois dernier, même la marque de déodorant Axe, pourtant connue pour ses spots publicitaires bourrés de testostérone, prenait tout le monde de court avec sa campagne «Find your Magic» mettant en scène des hommes aux gabarits on ne peut plus «normaux», dont un adorable freluquet barbu s’amusant avec des chatons… Un clip qui a beaucoup fait causer, sur les réseaux sociaux et ailleurs. Alors?...
Emoustillées, vraiment?
«Il existe probablement un décalage entre ce que les hommes pensent que les femmes aiment de leur physique et ce que celles-là apprécient réellement», commente Fabien Ohl. Qui nuance toutefois: «Les discours féminins tendant à rejeter les corps de type musclé constituent peut-être une forme de déni.» Est-ce à dire qu’en matière de désir le sexe faible serait sujet à l’ambivalence?
Cherchant réponse à cette question, nous avons d’abord tâté le terrain autour de nous. Surprise: aucune des femmes interrogées n’a joué l’indifférence envers les torses musculeux. «Quand le joueur de tennis David Ferrer enlève son T-shirt au changement de côté, ça m’hypnotise», nous avoue l’une. «Les torses bombés, en général, je trouve ça ridicule», commente l’autre. «Mais, allez savoir pourquoi, je les adore sur les ouvriers et les maçons!», ajoute-t-elle, un rien rosissante. Prolétaires du monde entier, unissez-vous pour échapper à votre condition... d’hommes-objets! Laquelle s’affirmait allégrement dès les années 1990, remarquez. Comme en témoigne une pub Coca-Cola Light devenue légendaire, où une bande d’employées de bureau émoustillées se pâment devant les tablettes de chocolat luisantes de sueur d’un jeune ouvrier torse nu.
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Et aujourd’hui, ça vaut toujours?
Dans un autre volet de l’étude américaine de 2007 précédemment citée, les chercheurs ont demandé à cent cinquante étudiantes de choisir le physique «le plus sexuellement attractif» parmi six silhouettes masculines allant de fine à très musculeuse. La majorité a jeté son dévolu sur la quatrième silhouette, l’«athlétique». Mais attention: ces jeunes femmes «ont eu tendance à préférer les hommes qui ne sont que légèrement plus athlétiques que la moyenne».
Elles ont en revanche rejeté les corps extrêmement musculeux, du type bodybuilders», commente David A. Frederick, professeur assistant en psychologie à la Chapman University (Californie) et coauteur de cette étude. Des muscles, d’accord, mais point trop n’en faut…
Enfin, ces demoiselles ont établi un distingo révélateur: leurs partenaires d’un soir sont plus musclés que leurs partenaires plus sérieux (!) – lesquels sont plus romantiques et dignes de confiance que les autres. Et David A. Frederick de conclure: «Elles voient à la fois des avantages à une musculature développée (la protection et la transmission de la musculature à la descendance), mais aussi des désavantages: ces hommes sont perçus comme moins stables et plus susceptibles d’avoir des liaisons. Ces jeunes femmes préfèrent donc une musculature moins prononcée chez un partenaire à long terme…» sans pour autant renoncer à s’offrir un bel homme-objet de temps en temps, pour le plaisir!
Même son de cloche chez les femmes matures? «Nous ne savons pas si un corps musclé leur plaît moins, répond David A. Frederick. Mais, dans le cadre d’une nouvelle étude (2016, ndlr), 68% des femmes de tous âges interrogées ont indiqué que, dans le choix d’un partenaire sérieux, une bonne situation sociale avait plus de poids que l’apparence. De manière générale, avec les années, les femmes – comme les hommes – accordent moins d’importance à l’allure de leur partenaire.» – «Certaines femmes érotisent même le petit ventre des hommes qui n’ont plus 20 ans», glisse Laurence Dispaux, psychothérapeute et sexologue à Morges.
Au pays des fantasmes...
En général, cependant, «le corps masculin baraqué plaît, parce qu’il rappelle la différence des sexes et que cette différence érotise, développe la thérapeute. Avec un homme bien charpenté, la femme va se sentir davantage femme. Ce corps nourrit chez elle à la fois le fantasme d’être protégée, puisqu’il offre des bras «enveloppants» dans lesquels se blottir, et celui d’être dominée…»
Au rayon des fantasmes féminins, besoins de protection et de domination ne seraient pas morts, alors? Pas si simple… Car ce goût pour la robustesse de leur partenaire est tempéré par une méfiance, plus ou moins grande selon leurs propres attentes, tempère la sexologue. Ainsi, l’homme qui passe son temps à prendre soin de son physique – râblé ou pas – aura vite fait «soit de passer pour un narcissique qui se regarde sans cesse dans le miroir, donc d’être perçu comme peu intéressant, soit d’éveiller la crainte qu’il remarque davantage les défauts de sa compagne». Or, rien ne douche davantage l’imaginaire érotique féminin que la peur d’être moins admirée, moins désirée… Des réponses nuancées, donc.
Et la biologie, qu’en dit-elle? Pour l’éthologue Roland Maurer: «Depuis toujours, les hommes sont en compétition sexuelle. Et dans cette compétition, les signes de force physique sont essentiels. Dès que l’on commence à se pencher sur ces critères biologiques, on se rend compte qu’ils sont toujours là, en filigrane.» Ce que confirme David A. Frederick: «Tout comme les paons mâles montrent leur bonne condition physique en déployant leur queue ocellée, chez les humains la musculature, synonyme de calories, de testostérone et d’un système immunitaire solide, signale à la femme qu’on est en forme.»
Nous en serions restés à des réflexes de Cro-Magnon, alors? N’est-ce pas un peu désespérant? La question fait rire Roland Maurer. «Mais non, pourquoi? Si vous voulez vraiment remettre en question ces mécanismes biologiques, il vous faut d’abord accepter qu’ils sont bel et bien présents.» En attendant, donc, les haltères de ces messieurs gardent un bel avenir devant eux!
Corps masculin, quête identitaire
L’enquête «Sport Suisse» menée sur les pratiques sportives des Suisses par l’Office fédéral du sport (OFSPO) en 2014 montre qu’un Suisse sur six se rend régulièrement dans un fitness. Parmi les motivations, «améliorer son apparence» a été citée par 56% des personnes interrogées, contre 52% en 2008. Et la tendance est à la hausse. «Le corps a toujours été un des marqueurs centraux de l’identité et continue de l’être, souligne le sociologue Guillaume Vallet. Dans notre société de consommation, qui plus est sédentaire et urbaine, il est l’objet à chérir car il donne l’impression à la fois de bonne santé et de maîtrise de soi.»
Guillaume Vallet a étudié la pratique du bodybuilding dans le cadre de sa thèse à l’Institut de recherches sociologiques de Genève. «Dans 90% des cas, les hommes que j’ai interrogés sont venus à la pratique pour des raisons de fragilité corporelle ressentie (trop maigre). Pour eux, prendre du muscle était un moyen de devenir quelqu’un, et d’apparaître et d’être «plus homme.» Selon lui, si certains déclarent avoir choisi ce sport dans l’espoir d’attirer davantage les femmes, d’autres l’ont plus fait pour se mesurer, symboliquement ou physiquement, à d’autres hommes. Il a également constaté que ces adeptes sont souvent issus des milieux populaires.
«La ressource dont ils disposent est le corps. De leur point de vue, il est donc rationnel de la «travailler» pour la transformer en capital valorisable économiquement (videur, agent de sécurité…) ou symboliquement (marché du «choix du conjoint»).» Dans «Manning Up, How the Rise of Women has turned Men into Boys» (2011), la sociologue américaine Kay S. Hymowitz voit, dans l’explosion pectorale actuelle, une volonté de reconquérir une masculinité mise à mal par une prise de pouvoir grandissante des femmes, ainsi que par un ras-le-bol des hommes jugés «efféminés».
Le complexe d’Adonis
Dans «Muscles», paru aux Editions Bernard Campiche en 2014, l’écrivain lausannois Julien Burri raconte l’obsession d’un homme qui trouve dans le bodybuilding une raison d’exister. En d’autres termes, son héros souffre du «complexe d’Adonis». Non encore reconnu officiellement sur le plan médical, ce phénomène fait référence à l’homme d’une grande beauté qui, dans la mythologie grecque, fut aimé par la déesse Aphrodite. Dans la réalité présente, ce trouble de l’image peut aller jusqu’à une dysmorphie musculaire, des troubles alimentaires et l’ingestion de stéroïdes et de compléments alimentaires, selon le psychiatre américain Harrison G. Pope. Dans l’ouvrage qu’il a copublié en 2002 après des années d’exercice de la médecine – «The Adonis Complex: How to Identify, Treat and Prevent Body Obsession in Men and Boys» – Pope avance que les hommes sont de plus en plus nombreux à être insatisfaits de leur apparence.
A l’instar des femmes, les voilà complexés par les images du corps idéal véhiculé par la publicité et les médias. Mais contrairement aux femmes, qui ont réussi à faire de cette pression un débat de société, pour les hommes le thème resterait encore tabou.
©Photos: Warner Bros; Allstar/The Weinstein Company; DR
Channing Tatum Dans «Magic Mike», de Steven Soderbergh (2012), le comédien au torse irrésistible s’est fait strip-teaseur. Un rôle qu’il joua dans la vraie vie, à 18 ans.
Kit Harington Pour «Pompéi, péplum bas de gamme sorti en 2014, le gentil Jon Snow, de la série «Games of Thrones», s’est transformé en gladiateur à la musculature hypertrophiée.
Jake Gyllenhaal Pour incarner Billy le boxeur dans «La rage au ventre» (2015), l’acteur s’est entraîné 6 heures par jour durant 6 mois. Impressionnant, le résultat!
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