Une folle influence
Les Kardashian réinstaurent-elles les canons esthétiques des années 2000?
Elles cumulent à elles seules 1 milliard 416 millions d'abonné-e-s sur Instagram. Kim, Khloé, Kourtney, Kendall et Kylie, les sœurs Kardashian-Jenner, forment sans doute le clan le plus suivi de la planète. Depuis près d'une décennie, pas un jour ne passe sans que le monde ne scrute leurs tenues, leur corps, les hauts et les bas de leurs relations amoureuses ou les produits de leurs nombreuses entreprises de mode et de cosmétiques gérées par leur momager Kris Jenner. «Connues pour être connues», elles sont des stars de la téléréalité depuis le début de L'Incroyable Famille Kardashian en 2007, série en 20 saisons qui s'est terminée en 2021, puis du show The Kardashians sur Disney+, dont la deuxième saison est annoncée pour le 22 septembre 2022.
Mais c'est sans doute l'ascension des réseaux sociaux, dans les années 2010, qui a fait connaître la Royal Family américaine à l'international. Les Kardashian se sont appropriées Instagram: la popularisation des filtres, du contouring et des teintes nude, ce sont elles! Surtout, elles ont complètement révolutionné les normes de beauté. Fini les brindilles des années 2000 au teint pâle, à l'image des icônes Kate Moss ou Paris Hilton. Les fesses rebondies, les hanches arrondies, les lèvres gonflées, le nez fin, les pommettes saillantes, les seins pulpeux, la peau halée et la taille ultramince façonnent un nouvel idéal de beauté. Presque universel. De nombreuses femmes tentent alors d'obtenir cette silhouette, comme le montrent l'explosion des interventions de médecine esthétique, notamment du fameux Brazilian Butt Lift (ou BBL, une intervention qui consiste à prélever de la graisse sur le corps pour l'injecter dans le fessier afin de le gonfler) ou encore de la popularisation des lèvres charnues. «La médecine esthétique a beaucoup évolué ces dernières années, confirme la Dre Janni Galatoire, directrice médicale de Forever Institut, à Genève. Elle s'est démocratisée.»
Une armée de sosies
Si, chez l'institut romand, on dit valoriser la beauté personnelle de chacun-e, sur le web, force est de constater l'éclosion de milliers de clones des Kardashian. «Ces femmes ne sont jamais nommées comme modèles, comme si vouloir leur ressembler ouvertement était tabou, poursuit Janni Galatoire. Et même si certaines patientes critiquent leur silhouette peu naturelle, elles me demandent régulièrement le contact d'un bon chirurgien. J'observe donc une ambivalence face à ce qu'elles représentent.»
Au fil des années, la meneuse du clan, Kim Kardashian, est devenue avant tout un corps, avant d'être une personnalité. Un corps parfait, une construction sociale irréaliste malgré ce qu'en pense l'intéressée («si je le fais, c'est réalisable», a-t-elle assuré à Allure en août 2022), qui nie toujours avoir pratiqué des opérations esthétiques, hormis quelques injections de Botox. On se souvient de son apparition au Met Gala en 2021, couverte de pied en cap: même dissimulées, ses courbes sont reconnaissables entre mille.
Interrogée par Elle, l'anthropologue Élisabeth Azoulay décrit Kim Kardashian comme «une sorte d'espéranto de la beauté», tant des femmes du monde entier peuvent s'identifier à elle: Kim «fusionne des critères qui parlent à de nombreuses cultures. Au Japon ou en Chine, on rasait les sourcils pour mieux les dessiner. Ses cheveux longs, noirs et raides parlent aux Indiennes et aux Orientales. Sa taille sanglée et ses fesses rebondies rappellent les représentations idéalisées des femmes en Afrique à une certaine époque. Son maquillage glamour convoque les icônes du cinéma américain.» Une tendance à l'harmonisation des tendances beauté que remarque également la doctoresse Galatoire: «En esthétique, la beauté du visage suit certaines proportions géométriques chiffrées et propres à des génotypes: les caucasiennes, afro-descendantes ou latinas n'ont pas les mêmes proportions.»
L'évolution du «corps parfait»
Toutefois, aujourd'hui, des membres de la sororie Kardashian semblent s'éloigner de cet idéal de beauté, fabriqué de toutes pièces. Depuis quelques mois, Kim et sa cadette Khloé s'affichent très affinées, avec un postérieur moins proéminent qu'auparavant. De nombreux internautes, à l'image des tweets de Samantha Bush ou d'Ashleigh Louise, présument alors de nouvelles opérations esthétiques, notamment la suppression de leur supposé BBL. Une intervention jamais confirmée par les Kardashian, peut-être afin de convaincre leur audience que des séances de sport couplées aux produits de Kylie Cosmetics ou Skkn by Kim permettent d'obtenir une apparence similaire.
Au vu de son influence sur les industries de la mode et de la beauté, on peut légitimement se demander si le clan américain n'inverserait pas la tendance qu'il a lui-même contribué à lancer: un retour vers les silhouettes très fines en vogue à la fin du XXème siècle et dans la décennie 2000. Kim a d'ailleurs affirmé avoir perdu 7 kg pour parvenir à enfiler la fameuse robe de Marilyn Monroe à l'occasion du Met Gala en mai 2022. Accusée de montrer le mauvais exemple, la star a rétorqué avoir simplement changé de mode de vie: «J'en suis aujourd'hui à -9 kg, a-t-elle dévoilé dans le show Today. [...] J'ai réduit le sucre et la malbouffe.»
Le contouring, de l'histoire ancienne
Il faut dire que l'emprise des Kardashian sur les normes de beauté s'étiole depuis la démocratisation des mouvements bodypositive, également initiés à travers les réseaux sociaux. Aujourd'hui, plutôt qu'à tendre vers des idéaux esthétiques inatteignables, on célèbre sa propre singularité par une mise en valeur plus honnête de son corps. Fini les filtres à outrance et les peaux sans défaut. Acné, vergetures, boutons, poils, bourrelets ne sont plus forcément masqués. Le flawless laisse peu à peu sa place au no make up et au trend de la clean girl.
«Il y a un retour au maquillage plus léger et naturel, analyse Marie Oyomo, créatrice de contenu, étudiante en communication digitale à l'UNIGE et autrice d'un mémoire sur l'inclusivité dans l'industrie cosmétique. Mais ce phénomène est paradoxal, puisque, à nouveau, un seul type de beauté est représenté. Cela doit nous apprendre que les corps ne sont pas des tendances, et qu'il n'existe pas un seul type, mais une multitude de corps différents, poursuit l'étudiante en Master. C'est cette diversité de représentation qui permet de les normaliser.»
De son côté, la Dre Janni Galatoire confirme que les demandes pour faire fondre l'acide hyaluronique sont en augmentation chez Forever Institut. En outre, les réseaux sociaux sont de plus en plus pointés du doigt pour déclencher des troubles dysmorphiques. Des internautes dénoncent ainsi la multiplication des interventions esthétiques prisées par certaines célébrités, et les dérives de Photoshop, à travers les comptes comme @celebface.
«Depuis le début de leur influence sur les réseaux sociaux, les Kardashian ont montré une vie irréaliste à leur audience, explique Marie Oyomo, dont le compte Instagram @oyomori compte 148 000 abonné-e-s. Aujourd'hui, nous sommes dans une mouvance où l’on prône l’authenticité: cela commence par construire une relation de confiance et de proximité avec sa communauté. Je pense que les internautes ne parviennent pas à s'identifier aux Kardashian, du moins pas la génération Z. Les jeunes sont très au fait du monde qui les entoure, à tous les niveaux: sociétal, écologique, etc.: ils ne sont pas dupes, affirme la jeune femme. Aujourd'hui, le règne des filtres est terminé. Kim et ses sœurs tentent de s'adapter aux changements, mais on voit qu'elles peinent à continuer de répondre aux critères esthétiques qu'elles ont façonnés.»
Polémiques d'appropriation culturelle
Que l'on soit favorable ou non aux interventions de médecine esthétique, les corps de la sororie Kardashian sont régulièrement dénoncés pour appropriation culturelle. Plus précisément pour le blackfishing, une performance raciale qui s'applique à celles et ceux qui utilisent le maquillage et la chirurgie esthétique pour mimer des caractéristiques physiques attribuées aux personnes afro-descendantes. Dans son livre White Negroes (Éd. Beacon, 2019), dont les propos sont relayés par Allure, Lauren Michele Jackson écrit que Kim est douée pour la métachrose (le pouvoir de changer de couleur volontairement chez certains animaux). «La distance de Kim avec la blanchité, quoique relative, fait d'elle une personne digne d'intérêt et de révulsion, donc une personne désirable.» Le compte Instagram Diet Prada a notamment dénoncé Kim pour blackfishing dans une série de photos réalisées pour Vogue magazine en février 2022.
Marie Oyomo ajoute: «Ces femmes semblent se faire passer pour des personnes noires, en ignorant la lutte que ces dernières mènent pour être acceptées telles qu'elles sont dans la société. Ce faisant, elles effacent des centaines d'années de discrimination», critique-t-elle.
Or, si les valeurs et l'esthétique irréaliste promulguées par les femmes Kardashian semblent susciter moins d'intérêt qu'il y a cinq ans, force est de constater qu'elles continuent de fasciner une partie des internautes. Leur nouvelle série The Kardashians est le show qui a fait le plus d'audience aux États-Unis à sa sortie sur la plateforme Hulu, indique Variety. Impressionnant. À voir au long terme si les sœurs les plus célèbres du monde ne finissent pas par lasser leur communauté.
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