Lèvres conquérantes
L'édito de Géraldine Savary: «Rouge, la vie!»
«Pour la bouche, il y a le rouge à lèvres, pour l’argent, il y a Zak», annonçait une affiche pour un établissement bancaire placardée sur les murs de nos villes. L’image, qui exposait en gros plan une bouche pulpeuse prise d’assaut par un rouge à lèvres, s’est vu récemment interdite à Lausanne à la suite d’une recommandation de la commission consultative vaudoise chargée de traquer les publicités sexistes. Motif: l’affiche ne promeut pas des cosmétiques mais un online banking. Il n’y a «aucun lien naturel entre la personne représentant l’un des sexes et le produit vanté», selon l’avis des expertes et des experts.
Sans vouloir polémiquer sur cette interdiction, je ne peux m’empêcher de faire le lien avec un livre qui vient de paraître, Sur la bouche, une histoire insolente du rouge à lèvres (Rebecca Benhamou, Éd. Premier Parallèle). On y apprend que le petit objet, symbole de soumission des femmes aux codes de beauté et à la fatalité d’être fatales en toutes circonstances, est aussi un compagnon des luttes féministes. À New York en 1912, 20 000 suffragettes vêtues de blanc défilent pour réclamer le droit de vote. Elles affichent un rouge à lèvres flamboyant, en solidarité avec celles qu’on nommait à l’époque les «filles de mauvaise vie». On le retrouve cent ans plus tard sur la bouche d’Alexandria Ocasio-Cortez, députée américaine emblème des batailles émancipatrices, qui rend ostensiblement hommage à ces femmes en prêtant serment en blanc, les lèvres rouge conquérant.
Affirmation du pouvoir féminin
Au contraire, dans les années de guerre et celles qui suivent, le conformisme prend les couleurs parfaites des bouches peintes, le lipstick devient le drapeau de la respectabilité des femmes qui restent à la maison, attendant leur mari sur le pas de la porte, apprêtées comme un sapin de Noël. Aujourd’hui, en cette fin 2021 marquée par des périodes où nos bouches s’étiolent derrière les masques, le rouge à lèvres porte les deux significations, normative et libertaire, tout en penchant clairement vers l’affirmation du pouvoir féminin, adopté par des figures telles que l’écrivaine féministe Chimamanda Ngozi Adichie, Beyoncé et, plus généralement, par la majorité des utilisatrices des réseaux sociaux.
Et nous alors? Hé bien, on fait ce qu’on veut, décidant que nos bouches nous appartiennent et que sur ce sujet comme sur d’autres, on est assez fortes pour résister aux injonctions. Celles qui souhaitent mettre du rouge dans leur vie peuvent repérer dans les pages que nous vous proposons leur couleur préférée, et celles qui chassent le naturel y trouveront plein d’autres idées pour égayer les fêtes de fin d’année!
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