droits des femmes
L'édito de Géraldine Savary: «On pense à toi Jane Roe»
Rappel des faits: Selon les documents secrets révélés le 2 mai 2022 par le média américain Politico, la Cour Suprême américaine considère l'annulation de l'arrêt Roe v. Wade, loi historique ayant permis de légaliser l'avortement au nom du droit à la vie privée, en 1973. Dès la publication de cet avant-projet, des centaines d'activistes pro-choice (favorables au droit à l'IVG) se sont rassemblés à Washington pour exprimer leur profonde colère. La décision finale sera prise durant la session du mois de juin 2022. D’après Le Monde, si l'arrêt s'avère invalidé, l’avortement deviendrait illégal dans la moitié des états du pays, certains d'entre eux n’ayant jamais supprimé les lois contre l’avortement antérieures à 1973.
À Simmesport, en Louisiane, en 1963, il n’y a rien. La ville végète au bord du fleuve Atchafalaya, la brume ternit le ciel en permanence, l’eau régulièrement inonde des maisons vacillantes. Seuls les bars recueillent les âmes abandonnées et les cerveaux amochés. Il n’y a rien à Simmesport, si ce n’est des gars qui engrossent des adolescentes et des jeunes femmes sans assistance. Comme par exemple Norma McCorvey, elle-même fille d’une mère célibataire alcoolique quasi de naissance. Norma quitte l’école très tôt, enfante à 16 ans, le père la lâche fissa; elle abandonne son enfant avant son premier vagissement, puis une année plus tard, fait pareil avec le suivant. En 1969, à la troisième grossesse non désirée, elle décide d’avorter.
Mais dans l’État du Texas, où elle a fini par échouer, l’interruption de grossesse n’est pas autorisée. La jeune Norma, dont les institutions scolaires avaient décrété des déficiences d’attention et une intelligence limitée, décide de se bouger, sonne à la porte d’un cabinet d’avocates, prend son destin en main et change celui des Américaines et du nôtre dans la foulée. En s’adressant aux juristes Linda Coffee et Sarah Weddington pour contester la décision de l’État du Texas, elle engage la bataille pour le droit des femmes à disposer de leur corps. En 1973, sous le pseudonyme de Jane Roe, elle gagne contre le juge Wade devant la Cour suprême des États-Unis. Cette dernière annule la loi du Texas par sept voix contre deux, et de facto légalise l’avortement.
*Traduction: «Roe v. Wade est une loi. Ceci [l'avant-projet révélé par le média américain Politico] est un brouillon. L'avortement est toujours légal. La bataille continue - et nous gagnerons.»
Arrêt Roe v. Wade
Je pense aujourd’hui à Norma-Jane, à ses avocates. Norma-Jane a toujours avancé sur un chemin ardu, elle est passée de l’anonymat à une célébrité qui l’a meurtrie. Du début jusqu’à la fin, la vie ne lui a fait aucune concession, elle a viré anti-avortement à la suite de mauvaises rencontres, embrassé les mauvaises personnes et, sur son lit de mort, a avoué qu’elle avait été payée et manipulée par les ligues conservatrices auxquelles elle s’est un moment associée.
Rien n’a été facile pour Norma-Jane, comme si les eaux boueuses et lourdes du fleuve Atchafalaya avaient en permanence lesté son pas. Mais elle a défendu malgré tout ses choix, et porté ceux des autres.
S’ils abrogent l’arrêt Roe v. Wade qui garantit depuis cinquante ans le droit à l’avortement, les juges de la Cour suprême américaine souillent le seul héritage qu’elle a laissé sur cette terre, le seul héritage dont elle peut être fière et dont des millions de femmes ont bénéficié. Leur liberté.
*Bande-annonce du documentaire réalisé en 2018 et actuellement disponible sur Netflix, Roe v. Wade: La véritable histoire de l'avortement.
Vous avez aimé ce contenu? Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir tous nos nouveaux articles!