
langue française
L'édito de Géraldine Savary: «Masculinisez-moi tout ça»

«Chers lecteurs, sachez désormais que Viola Amherd occupe la fonction de vice-président de la Confédération, Élisabeth Baume-Schneider de conseiller fédéral et les petites mains qui nettoient les salles du Parlement assument celle d’hommes de ménage.» - Géraldine Savary
© ELSA GUILLETD’après le Guide de formulation pour un usage inclusif du français dans les textes de la Confédération, édité par la Chancellerie fédérale et réactualisé en janvier 2023, j’apprends que j’exerce la fonction de rédacteur en chef. Si, scénario peu probable, Femina était racheté par le gouvernement suisse, le titre qui m’honore aujourd’hui serait inadéquat et nous devrions derechef viriliser toutes nos pages parce que, dit la brochure, «le genre grammatical qui inclut, c’est le masculin», il permet de «désigner des groupes mixtes sans introduire une binarité. En outre, il est économique sur le plan linguistique.»
Les experts de l’administration nous donnent des exemples pour adapter nos pratiques au mode d’emploi, au cas où nous n’aurions pas compris, tels que «l’électeur s’est annoncé à l’autorité locale», «les habitants de la commune sont invités à balayer devant leur porte» ou «les passagers du vol 357 ont cherché leur parachute», comme quoi les situations désespérées aussi favorisent l’inclusion.
La Confédération est inclusif
Chers lecteurs, sachez désormais que Viola Amherd occupe la fonction de vice-président de la Confédération, Élisabeth Baume-Schneider de conseiller fédéral et les petites mains qui nettoient les salles du Parlement assument celle d’hommes de ménage, à moins que le groupe de travailleurs ne soit composé que de femmes, mais c’est une autre question, celle de la surreprésentation féminine dans les activités mal rémunérées, dont ne s’embarrasse pas le guide officiel susmentionné.
Si je résume: sous couvert d’inclusion et de non-binarité, la Confédération suisse adopte la langue masculine comme seul point de repère et exclut de facto les femmes de tous les textes et de toutes les appellations officielles du moment qu’elles ont la malchance d’être plus d’un. Elle préconise le retour aux dispositions qui parlent à un seul sexe, arguant qu’elles favorisent les principes non sexistes. Franchement, on se pince les doigts dans la Constitution pour y croire.
Ne savent-ils pas, ces linguistes de la Confédération, à quel point la désignation par un seul genre (prétendument neutre) des fonctions et des métiers oriente les préférences, les envies de conquête, les besoins de légitimité, les préjugés? Ça ne leur suffit pas de voir que moins de 25% de femmes sont cadres dans l’administration fédérale et la Suisse tout entière, et si peu nommées à des postes à responsabilités?
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