Plus de bonheur, moins de dépendance
L’amour est-il un contrat comme les autres?
C’est bien simple, j’ai tout vécu. J’ai reçu une bague le jour de la Saint-Valentin, j’ai eu un amant marié, j’ai été sur Tinder, j’ai divorcé, je me suis retrouvée dans une relation toxique, j’ai été «bien» en couple et je suis tombée amoureuse d’une fille. TOUT! Malgré cela, j’ai décidé de travailler sur l’amour comme un sujet d’étude, histoire de décanter tout ça. Et j’ai appris:
Petit un: L’amour n’est pas égalitaire. Les femmes et les hommes n’ont pas le même rapport à l’amour. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la littérature: tout ce qui est de l’ordre des sentiments est davantage compatible avec la construction sociale de la féminité. L’amour prend plus de place dans la vie des femmes, avec des conséquences parfois lourdes.
Petit deux: L’amour est une drogue. Amour et dépendance affective sont souvent confondus et confondables. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la science: les mêmes circuits neuronaux et les mêmes hormones sont impliqués dans l’Amour et les addictions. Normal, disent les scientifiques, c’est un processus indispensable à l’attachement.
Petit trois: Nos relations sont réglementées par des conventions sociales, des contrats tacites en quelque sorte. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la sociologie. Par exemple, il est le plus souvent admis qu’une relation de couple est monogame, qu’elle implique une sexualité et des sentiments amoureux.
Quand même, un contrat, c’est tue-l’amour (tout comme l’addiction et les inégalités, je suis désolée de casser l’ambiance). Mais comme dit le sage, mieux vaut allumer une bougie que rester dans les ténèbres.
La performance artistique et amoureuse de Jeanne Spaeter
Jeanne Spaeter, artiste suisse, nous donne un peu de lumière à ce sujet. Jeanne est performeuse et travaille entre Berne et Paris. Ses projets explorent les limites entre le privé et l’artistique, entre la réalité et la fiction. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle s’implique personnellement dans ses recherches. Sa dernière performance artistique intitulée «Relation Amoureuse de Qualité» propose de questionner les règles amoureuses tacites à travers un projet aussi riche que provocateur.
Après une étude de marché, elle s’est mise en couple en janvier 2021 avec Mike, un inconnu, pour une durée d’un an. Les deux partenaires sont liés par une relation amoureuse contractuelle durant laquelle ils tiennent tous deux un journal et le compte Instagram @relation_amoureuse_de_qualité. Les 14 clauses du Contrat de Relation Amoureuse de Qualité réglementent notamment les heures passées ensemble, l’usage de petits noms, la sexualité et l’expression des sentiments. Et voilà comment Jeanne nous raconte sa dernière Saint-Valentin:
«14 février 2021....»
«J’ai organisé une chasse au trésor pour mon mec. Des indices sous la forme de chansons le guident jusqu’à moi. Je lui propose d’acter notre engagement de couple par un tatouage. Je choisis le mot "Schatz" (mon surnom pour lui), il choisit le mot "amour".
Il me fait fermer les yeux et place des bougies dans la pièce. Il a acheté du vin rouge et pris soin de disposer des petits cubes de fromage sur un plateau argenté. C’est à son tour de m’offrir son cadeau: une mixtape qu’il a créée et dont il a composé certaines chansons. La première s’appelle "Jeanne". Il a préparé une pizza en forme de cœur, sur laquelle des tranches de poivrons forment de plus petits cœurs. Nous effectuons une relation sexuelle à la lumière des bougies. Nous ne nous disons pas "je t’aime". Nous sommes en couple depuis trente-sept jours et cela n’est nécessaire qu’à partir des six mois qui suivent la signature du contrat.
Nous avons passé une Saint-Valentin réglementaire, suivant la clause 9.3.2 du Contrat de Relation Amoureuse de Qualité, qui stipule qu’il s’agit d’un moment spécial, où chaque partenaire est tenu·e de prouver son amour à l’autre partenaire sous la forme d’un présent matériel, d’une attention spéciale et/ou d’un événement surprise.»
Jeanne et Mike se sont séparés en novembre, grâce à la clause 12.1.3 permettant de rompre le contrat avant son terme. Cette rupture, c’est peut-être une bonne nouvelle pour l’amour. La fin de cette relation amoureuse contractuelle montre une chose: la liberté est un élément essentiel à l’amour. Il est vrai que les inégalités, les contrats et la dépendance ne semblent pas très compatibles avec la notion de liberté. Mais tout est dans la prise de conscience qui nous donne la possibilité de négocier les normes et les rôles, et de renégocier à chaque fois que c’est nécessaire. Afin d’être, vaste programme, heureux.