Stress inattendu
La levée des mesures vous angoisse? C'est normal (et voici pourquoi)
Qu'est-ce qu'on l'a attendu, ce jour! Durant tous ces mois, passés à jongler entre de nouvelles réalités, on ne rêvait que de lui: le moment de revenir au «monde d'avant», d'ôter le masque, d'aspirer au retour de notre insouciance volée. L'humeur générale évoque une victoire, un tournant inespéré, quelque chose qui pourrait presque sembler trop beau pour être vrai: depuis le 17 février 2022, la Suisse a levé la majorité de ses mesures sanitaires, promettant un printemps lumineux et léger, débarrassé du stress auquel on s'était, malgré nous, habitué-e-s, au fil du temps.
Justement, ces habitudes bouleversées, parlons-en. Alors que certaines personnes se sont réjoui immédiatement de ces nouvelles, ôtant le masque avec allégresse, se délectant de nouvelles possibilités et de l'espace mental dégagé, d'autres ont senti une vague de stress les envahir. On pense évidemment aux personnes âgées, vulnérables ou immunodéprimées, pour lesquelles cette étape peut s'avérer très pénible, et qui n'auront parfois d'autre choix que de poursuivre certaines mesures de protection. Mais parmi les individus n'appartenant pas à cette catégorie, un brin d'angoisse inattendu peut également se manifester. C'est le cas de Solène, 30 ans: «Je m'en réjouissais tellement! Et pourtant, quand le jour est enfin arrivé, impossible de m'y faire. J'avais l'impression que c'était irréel et je ne peux toujours pas à imaginer enlever mon masque dans le tram.»
Idem pour son amie Myriam, 32 ans, laquelle a choisi de garder son masque dans les magasins, pour le moment: «Ca me fait bizarre, je m'y étais tellement faite que je me sens "nue" quand je ne le mets pas. Alors je le garde tant que je me sens comme ça, on verra d'ici quelques jours.»
Si vous vous reconnaissez dans ces propos, sans doute vous demandez-vous d'où vient ce sentiment? Ou si vous parviendrez un jour à vous réhabituer au quotidien démasqué, sans pass sanitaire? Pas de panique: d'après les spécialistes, c'est totalement normal (et temporaire)!
(Encore) un changement à digérer
Après deux ans de pandémie, on pensait pouvoir ajouter «expert-e en gestion du changement», à notre CV... mais force est de constater que toute modification du quotidien, même les plus positives, demandent un temps d'adaptation. «De manière générale, les êtres humains n’aiment pas beaucoup modifier leurs habitudes, explique la psychologue FSP et coach certifiée Jennifer Picci. Bien que nous apprécions être surpris de temps en temps, nous avons besoin d’une certaine cohérence et de stabilité. Il est donc tout à fait normal de se sentir déboussolé-e par cette liberté retrouvée, et c’est même plutôt sain: cela démontre que notre cerveau était parvenu à se créer de nouveaux repères, afin de s’habituer à la réalité imposée par la pandémie.»
En effet, depuis le mois de février 2022, notre cerveau se voit confier une nouvelle mission: défaire ces nouvelles habitudes créées pour revenir au schéma précédent, avec la possibilité de retrouver des habitudes auxquelles nous avions plus ou moins renoncé. Ainsi que le souligne Paul Jenny, psychologue et psychothérapeute FSP, cette situation peut nous perturber en raison de certains mécanismes cérébraux: «Notre quotidien est fait de nombreuses habitudes et quand celles-ci changent, un sentiment étrange, voire de l’inconfort, peuvent être vécus, résume-t-il. C’est simplement notre cerveau qui a besoin de trouver ses points de repères; il s’agit de mécanismes anticipatoires. Quand on sait à quoi s’attendre, l’anxiété diminue. En même temps, l’incertitude est gérée différemment d’un individu à un autre. Nous avons toutes et tous dû nous habituer à un autre mode de vie dans un contexte incertain. Cela était devenu normal et nous fonctionnions sans trop y penser. Le retour à ce que nous avions connu préalablement nécessite un réajustement.»
Par ailleurs, Jennifer Picci ajoute que la levée des mesures représente un changement que nous n'avions pas forcément eu la possibilité d'anticiper, même s'il était attendu et espéré:
À chacun sa manière de le vivre
Comme l'ont relevé nos expert-e-s, il est évident que la situation est appréhendée et expérimentée de manière totalement différente pour chaque personne: il suffit d'écouter nos proches décrire leurs émotions, suite à la levée des mesures, pour constater qu'il existe une infinité de réactions et d'impressions différentes. Du ravissement pur à l'inquiétude, on peut également osciller entre différents états, selon la situation.
«Plus nos habitudes quotidiennes ont été impactées par ces restrictions sanitaires, plus il pourra nous sembler étrange de les voir se lever et de retrouver cette forme de normalité, ajoute Jennifer Picci. La manière par laquelle nous allons pouvoir nous réhabituer à cette nouvelle norme dépend aussi de ce que nous avons vécu pendant la pandémie. Certaines personnes auxquelles la crise à imposé des épreuves intenses et difficiles pourraient par exemple avoir du mal à lâcher le masque, lequel tient désormais un aspect symbolique, d’une idée de protection. Tout dépend de ce qu’on a vécu ces dernières années.»
Comment se réhabituer?
Si l'idée de prendre les transports publics sans masque peut nous sembler invraisemblable actuellement, cette impression pourrait ne pas durer bien longtemps, ainsi que le prédit Paul Jenny: «Il ne faut pas sous-estimer les capacités adaptatives de notre organisme, qui va retrouver ses marques facilement et probablement plus rapidement que ce qui peut être imaginé, même si ce sera plus facile pour les personnes qui tolèrent mieux l’incertitude.»
Pour Jennifer Picci, il convient tout de même de s'accorder autant de temps que nécessaire, de s'écouter et de respecter notre propre rythme: «On n’est pas obligé-e de tout changer directement parce que cela a été autorisé: s’il nous faut plus de temps, on peut tout à fait le prendre. Je pense qu’il est également normal de ressentir une certaine confusion, de se poser des tas de questions quant au futur. Nous nous mettons alors dans une sorte d’état d’alerte, car on n'apprécie généralement pas les décisions brusques et abruptes. Sans oublier l’aspect irréel de la situation, sachant qu'on vient de nous annoncer un changement concret dans notre quotidien via un écran.»
L'indulgence et l'écoute de soi sont donc de mise, bien qu'il soit important de se concentrer sur le fait qu'un retour à la normalité constitue, en soi, une bonne nouvelle! «Nous allons revoir des visages souriants, sans masque dans les lieux publics, rappelle Paul Jenny. Par extension, ce type de contact fait du bien et permet de réguler ses propres émotions. Je dirais aussi [aux personnes stressées par ces changements] qu’il s’agit d’une période de transition et que même si cela peut être vécu de manière inconfortable par moments, cette gêne va passer à mesure qu’elles parviendront à s’habituer à autre chose et retrouver du confort.»
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