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Cette jeune femme en vêtements légers, épaules nues? On n’avait pas reconnu tout de suite la skieuse alpine. Sur la terrasse de l’AnaCapri qui domine Lugano, il fait chaud, en juillet, quand Lara Gut a encore un peu de temps. Dans quelques jours elle aura filé là où il y a de la neige en été, préparer une saison qu’on lui prédit pleine de promesses. Mais elle sait que les promesses, c’est à elle de les tenir. Elle l’a appris il y a longtemps.

A parler aux journalistes, aussi: «Quand tu fais ton premier podium à 16 ans, c’est brutal. La veille, tu n’intéressais personne. Tu te trouves soudain face à des dizaines de micros. Et on ne te lâche pas.»

Une photo publiée par Lara Gut (@lalalaragut) le

La petite Tessinoise aux cinq langues, à l’impatience et au franc-parler adolescents, fut dès lors suivie de près et sans ménagement par les médias. Devant la gare, après l’entretien, Lara glissera, désormais sans amertume, une petite phrase sur la méchante réputation que lui ont faite quelques chroniqueurs alémaniques. «Zicke», «chèvre»: arrogante, capricieuse, obstinée.

Et fille à papa, en plus! Le Team Gut créé par son père continua à s’occuper d’elle après son entrée dans l’équipe nationale, non sans démêlés médiatisés. Un père possessif, cherchant à travers sa fille la gloire qui lui échappa durant sa propre carrière de skieur? Elle éclate de rire (ça va arriver plusieurs fois). «Le contraire! Il me donne de la sérénité, me calme quand je suis trop impulsive et m’aide à réfléchir. Nous sommes complémentaires; grâce à lui je ne me suis jamais sentie seule.»

Lara Gut raconte une enfance parfaitement heureuse. Entre Pauli Gut, ce père d’origine lucernoise, ancien menuisier, enseignant de culture générale, champion de slalom, et Gabriella Almici, prof de gymnastique, la mère delémontaine à qui elle doit son aisance en français. Avec son frère Ian, 20 ans, lui aussi skieur de compétition, quatre sportifs acharnés. «En famille, on a tout essayé.» Pourquoi le ski plutôt que la gymnastique? C’est venu naturellement. «Tu ne choisis pas vraiment; en tout cas, je n’ai pas renoncé à quelque chose d’important à cause du ski.»

Le temps des vacances

Les parents «n’ont qu’un hobby: leurs enfants». Lara se souvient de n’avoir eu de baby-sitter que deux ou trois fois; que toute la famille se retrouvait chaque jour autour du repas de midi; que les vacances se passaient toujours ensemble, en camping-car. Beaucoup de vacances, le long été souvent à la mer, la semaine d’automne, Noël, carnaval… Temps béni, Lara sourit.

«J’ai confiance en mes parents. Je n’ai pas besoin d’eux absolument, mais je peux compter sur eux.» Comme sur son frère. Pour rigoler, entre autres. Par exemple quand ils font tous les matins leurs «bondissements» devant la maison de Comano: Ian égrène les blagues, Lara se marre...

Ça n’a pas toujours été le cas. Tant qu’elle skiait pour le plaisir, sans autre pression que son envie de perfection, la vie était facile. A condition de travailler, l’école posait peu de problèmes, les profs l’aidaient à conjuguer sport et études, le directeur autorisait les congés indispensables. De ces années, elle garde une solide amitié, dont on saura seulement: «On ne se voit pas pendant des mois, tout à coup on se téléphone, je serai là demain, on se retrouve comme si on ne s’était pas quittées.»

Pas toute seule

Quand la compétition s’intensifia, la vie changea. Avec de très beaux côtés, des amitiés nouées dans le monde entier, des correspondances qui durent. Des moments pénibles aussi. La crise après le premier podium en Coupe du monde. «Je voulais arrêter le métier.» Un peu plus tard, une grave blessure à la hanche lui donne le temps de la réflexion, une année hors course: «J’ai su que je n’étais pas disposée à renoncer au ski.»

N’empêche qu’il était dur pour l’adolescente de se sentir sans cesse observée, en proie à des exigences incessantes. «Sans avoir le temps de comprendre ce qui se passe, ni comment faire.» Période de l’arrogance et du cruel surnom de «Zicke»; esprit vif, repartie rapide, réponses à l’emporte-pièce à des questions ressenties comme intrusives ou agressives. «Une interview tous les quarts d’heure, c’était un stress. Difficile de rester soi-même, de choisir les mots, de ne pas riposter. J’ai vu cela arriver aussi à des footballeurs, à des nageurs.»

Elle a toujours pu compter sur ses parents, les entraîneurs, préparateurs – et sur Ian. «A côté l’un de l’autre pour les bons et les mauvais moments.» Ils partagent cette vie que, de l’extérieur, on imagine mal, alors qu’elle est «tout à fait normale. D’accord, nous faisons un métier particulier. Mais le ski est peut-être plus facile qu’un apprentissage? C’est notre quotidien et, pour le reste, nous aimons des trucs simples, des films. Nous faisons la cuisine et la vaisselle comme tout le monde – et parfois le toast est brûlé!»

Le problème de la jeune championne n’était pas le ski – «skier vite est un immense plaisir, la neige, ça reste de la neige, et les portes sont rouges et bleues» – mais ce qu’il y avait autour. «Quand je suis arrivée en Coupe du monde à 16 ans, ça me semblait naturel, j’avais simplement bien skié. La difficulté a été d’apprendre à gérer le reste, tout ce qui fait que c’est un métier. Me voir en photo partout. Savoir quoi dire. Comment se comporter pour être en paix.» Accepter un rôle, être présentée comme un modèle et critiquée quand elle ne s’y conformait pas. Le travail sur le matériel, et surtout les aspects marketing, logos, sponsors, représentation. Pas de problème en revanche avec les réseaux sociaux, elle en jongle avec brio. Guignez sur Twitter, @Laragut.

La révolte pointa alors, quand elle eut l’impression de n’avoir plus aucune liberté. «Souvent, le problème des jeunes sportifs, c’est qu’on leur apprend à suivre aveuglément l’entraîneur.» Pas son genre. Se sentant étouffer, Lara discuta avec ses parents, fut entendue et épaulée sur un chemin étroit: «Je remercie mes parents, mon entraîneur physique; ils m’ont rendue consciente de mes responsabilités.» Mesurer et assumer les conséquences de son choix de carrière. Continuer à réfléchir par elle-même, mais pas toute seule. Aujourd’hui encore. «J’apprends tous les jours! J’appelle l’entraîneur, je lui demande son avis, et ça m’aide aussi dans la vie.»

Car il n’y a pas que le ski dans la tête de Lara Gut. Elle qui a quitté l’école avant le bac a réussi la maturité fédérale avec l’aide du célèbre Collegio Papio d’Ascona. Elle envisage des études de marketing et communication. Par correspondance, et ça demande autant de volonté que le ski, de bûcher le soir à l’hôtel et à la maison pendant les vacances. Au lieu de dévorer les bouquins qu’elle adore. Mais elle sait ce qu’elle se veut, pas question de se laisser porter par le courant: «Ou tu choisis ou les autres le font pour toi», lâche-t-elle.

Ce qu’il faut taire

Ce jour d’été à Lugano, Lara Gut, décontractée et peut-être soulagée de ne pas parler technique, tactique et gros sous, évoque ses émotions – «on saute de joie ou on pleure» – l’amitié, la pensée positive acquise dès la petite enfance. Ses envies et projets – elle a des idées mais… on verra vers les 30 ans. Elle raconte une légende bouddhiste, une sagesse qui lui parle, et se dit catholique comme ses parents; non pratiquante mais croyante.

Et l’amour? Stop! «C’est ma vie privée.» Ce qu’on ne veut pas voir dans les journaux, il faut le taire; elle a 24 ans et, ce principe, il y a déjà sept ans qu’elle l’a appris, à la dure.

Curriculum vitae

1991 Naissance à Sorengo, le 27 avril.

2008 Premier podium puis première victoire en Coupe du monde.

2014 Globe de cristal en super-G.

Questions d’enfance

Une odeur d’enfance L’eau de toilette Lacoste de mon père quand il partait travailler. Il en met encore parfois, et quand je sens ce parfum, c’est toute l’enfance qui revient.

Votre premier amour La mer! Et dire que j’ai choisi un sport où l’eau est congelée…

Votre jouet fétiche Mes skis. J’ai reçu les premiers pour mon premier anniversaire, à fin avril. J’ai passé tout l’été skis aux pieds dans le jardin… Oui, c’est vrai. J’ai mis des skis dès que j’ai su marcher.

Votre bonbon favori Le chocolat. Non, je ne suis pas obligée de dire «le Ragusa»! Même si j’en ai plein à la maison puisque c’est mon sponsor. En fait, j’aime tous les chocolats.

Votre dessert préféré Je suis hypergourmande, mais je ne peux pas vous citer un seul dessert. Aucun ne me résiste…

Vos premières vacances En Sardaigne, mais je ne m’en souviens que par les photos. Sinon, en Belgique, en famille. Nous faisions des vacances sous tente. Je me souviens que je m’étais brûlée avec du lait. Plus tard, les vacances, c’est devenu le camping-car, avec toute la famille, toujours.

Votre légume détesté La betterave. Mes parents m’obligeaient toujours à ne rien laisser dans l’assiette. Nous nous servions nous-mêmes, mais il fallait finir.

La phrase qu’on vous répétait et qui vous agaçait Aucune! Quand je repense à mon enfance, c’est beau, c’est cool… Non, vraiment, je ne me souviens pas d’une phrase agaçante de la part de mes parents.

Le vêtement dont vous étiez fière J’aurais de la peine à en citer un en particulier. J’étais toujours habillée très sport. J’allais au terrain de foot, jouer avec deux garçons, avant l’école. Chaque jour!

Le héros qui vous faisait rêver Franchement, je ne sais pas. Disons Zorro… mais pour son cheval, pas pour ses hauts faits. J’adorais son cheval! J’aime tellement les chevaux...

De gauche à droite: A Comano, Pauli avec Lara, 4 ans, et Ian âgé de quelques mois.
Vacances à la mer en France; Lara, 6 ans, veille sur Ian, 2 ans.
En 1991, Lara dans les bras de Gabriella, sa maman.
Prémices d’une carrière, à Silvaplana en 1993, avant son deuxième anniversaire.
Jeux sous la pluie avec Gabriella, à Comano, en 1994.


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