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Humeur

Il faut qu'on parle des «règles de survie» de la «Weltwoche»

Chronique die weltwoche guide de survie

Parmi les «règles d'or» énumérées dans l'article, on trouve notamment: «Remballer ses seins (alias, ne pas choisir des tenues trop provocantes)», «Ne pas montrer que vous êtes lesbienne et éviter d'embrasser une femme», ou encore «Citer du Goethe» pour que le harceleur fuie devant votre culture générale.

© Getty Images

«C'est une plaisanterie, une parodie... N'est-ce pas?» Alors que je lève les yeux de mon écran, incrédule, mes collègues m'informent que non, les «règles de survie» parues dans Die Weltwoche le 18 juillet 2021 n'ont rien d'une blague. Au cas où vous n'auriez pas lu l'article, voici le pitch, en quelques mots: le journal hebdomadaire suisse alémanique dirigé par le conseiller national Roger Köppel (UDC) s'est fendu d'une longue liste de bullet points, dix recommandations destinées aux femmes souhaitant sortir le soir et échapper au harcèlement sexuel. Pour résumer, il s'agit des «règles d'or» à respecter si l'on espère «survivre» en soirée.

En effet, l'auteur de l'article commence par déplorer que plus de la moitié des Suissesses ont déjà vécu des actes de harcèlement sexuel, ce qui les empêche de se sentir en sécurité lorsqu'elles s'aventurent dans l'espace public, après le crépuscule. Aussi explique-t-il s'être entretenu avec «des jeunes femmes, des parents, des adeptes du clubbing et des activistes de la cause LGBTQ+» (toutes et tous anonymes), afin de vérifier les statistiques de l'étude citée. Jusqu'ici rien d'étonnant, malheureusement: nous connaissons bien les coups d’œil furtifs derrière notre épaule, le pas hâté lorsqu'il s'agit de traverser une ruelle sombre, les clés serrées entre nos doigts, la panique croissante lorsque la batterie de notre smartphone s'apprête à rendre l'âme... Voilà des années que les femmes se battent pour obtenir le droit de se balader dans la rue, de jour comme de nuit, sans frissonner.

Or, c'est lorsque le Weltwoche passe aux «solutions» que les choses se corsent. Car en effet, parmi les «règles d'or» énumérées dans l'article, on trouve notamment: «Remballer ses seins (alias, ne pas choisir des tenues trop provocantes)», «Ne pas montrer que vous êtes lesbienne et éviter d'embrasser une femme», «Ne pas trop boire» pour éviter qu'on ne profite de vous, ou encore «Citer du Goethe» pour que le harceleur fuie devant votre culture générale. Presque aussitôt, ces dix commandements ont suscité une vague de colère sur les réseaux sociaux, outre-Sarine. La juriste Nora Scheidegger, quant à elle, s'est empressée de tweeter un résumé de l'article, se passant de commentaire.

    Arrêtons de culpabiliser les victimes

    C'est à se demander si personne ne nous a entendues, le 14 juin. Oui, évidemment, dans le monde actuel, on a encore peur, parfois. Donc oui, en réaction à ces inquiétudes, on fait au mieux pour se protéger: on emmène un chargeur de téléphone dans son sac, on s'assure de connaître son chauffeur et de sortir avec des ami.e.s (d'autres conseils préconisés par l'article de la Weltwoche). Mais ces points sont des symptômes de la situation actuelle, et non pas des solutions! Ce n'est pas en se contentant de répéter aux femmes de faire attention (elles le savent déjà) qu'on pourra leur offrir un environnement plus sûr. Ce n'est pas auprès d'elles qu'il faut tenir des discours quant au harcèlement, alors que les auteurs de ces actes continuent à faire leur vie tranquillement, sans écoper de la moindre remontrance. Où sont-ils, leurs dix commandements, à eux? («Se montrer poli et ne pas insulter une femme», «Toujours demander le consentement d'une femme», «Ne pas profiter de l'état d'ébriété d'une femme»...) Et qu'en est-il des témoins, en première ligne pour aider les victimes face à une telle situation? Eux aussi, il leur faut une liste de bullet points, non?

    Je pense à Sarah Everard, jeune Londonienne de 33 ans, enlevée et tuée sur le chemin de chez elle, en mars 2021. Sans doute avait-elle un chargeur de téléphone dans son sac. Sans doute n'avait-elle pas trop bu. Et pourtant, elle n'est jamais rentrée.

    Il est grand temps que la société cesse de culpabiliser les victimes, qu'une vraie prise de conscience se fasse, et que soient mises en place des mesures concrètes pour déraciner la source du problème. Pour qu'un jour, on ne doive plus jeter ces coups d’œil furtifs, derrière notre épaule. Pour qu'un jour, on ne doive plus changer de trottoir en voyant la silhouette d'un groupe d'hommes se dessiner dans la pénombre. Pour qu'un jour, on puisse vivre, juste vivre, sans sursauter en entendant l'écho de nos propres pas.


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