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Faut-il imposer les uniformes à l'école?

Faut il imposer les uniformes a lecole

Dans la série Wednesday, le personnage de Mercredi Addams n'est pas vraiment enchantée de porter son uniforme scolaire et l'adapte à sa guise.

© COURTESY OF NETFLIX

«J’ai porté l’uniforme comme élève: quinze ans de jupette bleu marine, pull bleu marine. Et je l’ai bien vécu.» En une phrase donnée au journal Le Parisien le 11 janvier 2023, la première dame française Brigitte Macron a relancé le sempiternel débat sur l’intérêt – ou non – d’imposer l’uniforme dans les établissements scolaires publics. Il faut dire que la question, tel un chewing-gum qui reste scotché sous la semelle, hante depuis des années les discussions dans les rangs des parlementaires, pédagogues et universitaires. En France comme en Suisse, voilà bien deux décennies que l’on lorgne périodiquement sur cet habit réglementaire source de tous les fantasmes: les partis de droite, parfois aussi le PS, ont régulièrement proposé son adoption pour l’école publique. Des ministres français de l’Éducation, dont Jean-Michel Blanquer sous Emmanuel Macron, ont carrément reconnu y être favorables. 63% de la population française partageait d’ailleurs cet avis à ce moment-là. Début 2023, le Rassemblement national est revenu à la charge en proposant un texte le demandant pour les écoles et les collèges publics.

Dernier exemple en date dans nos contrées? 2019. Le parlement du Valais rejetait alors une motion de l’UDC souhaitant généraliser le port de l’uniforme dans les établissements. Auparavant, d’autres cantons comme Zurich avaient déjà dit non. Derrière cette motivation d’amener une garde-robe unique? Le désir de redonner un certain lustre à l’école et de replacer les élèves dans un contexte plus favorable à l’apprentissage. En France, où l’uniforme a disparu dans les années 60, on le regarde avec nostalgie, celui d’un temps où les apprenants auraient été plus respectueux et plus appliqués.

En Suisse, où on n’a jamais connu d’uniformes ailleurs que dans les écoles privées plutôt réservées à l’élite, certains prêtent pourtant à cette tenue les mêmes vertus pacificatrices et fédératrices. Alors, l’antidote rêvé aux maux actuels de l’école publique, ce fameux uniforme? «Cela gomme les différences, on gagne du temps – c’est chronophage de choisir comment s’habiller le matin – et de l’argent – par rapport aux marques», argue ainsi l’ancienne professeure de lettres Brigitte Macron. À écouter les défenseurs de l’uniforme, celui-ci aurait en effet pour premier mérite de lisser les différences socio-économiques entre les élèves. Il serait également un rempart tout trouvé pour bouter les tenues à caractère religieux hors des établissements. L’idéal dix-neuvièmiste de l’école façon Jules Ferry n’est pas très loin. «Je crois que ce serait une bonne chose de l’imposer, car il permet de rompre avec le déterminisme des appartenances sociales», nous confie Caroline Goldman, psychologue pour enfants et adolescents.

Savoir mieux apprécier les autres

Cette adoption soulagerait même les finances des foyers. Selon le bureau suisse de conseil en matière d’endettement et de gestion Plusminus, le port de l’uniforme à l’école ferait dégringoler le budget vêtement d’une famille de près d’un tiers.

Mais tout cela marche-t-il vraiment dans les faits? Pour le savoir, il faudrait déjà pouvoir voir au-delà de l’idéologie. C’est ce qui a été tenté en 2006, à Bâle. Dans le cadre d’une expérience menée en collaboration avec des universitaires, deux classes pilote se sont vu proposer pendant six mois un uniforme à choisir parmi une collection de 14 habits dessinés par la styliste Tanja Klein et approuvés par un comité où siégeaient aussi des élèves. 730 francs la tenue, dont 630 étaient pris en charge par les sponsors. «Nous pensons qu’une restriction vestimentaire collective permettra aussi aux jeunes de mieux remarquer les qualités humaines chez les autres», s’enthousiasmait alors dans les médias Alexander Grob, professeur de psychologie à l’Université de Bâle.

À l’issue du test, déception des initiateurs: les élèves concernés préfèrent revenir à leurs habits personnels. Des travaux universitaires s’étant penchés sur l’expérience notent par ailleurs que le port de cet uniforme n’a eu aucun effet significatif sur le comportement des jeunes à l’école ni sur l’atmosphère de groupe. Les autres études universitaires menées de par le monde pour tenter d’identifier d’éventuels avantages de l’uniforme ont souvent débouché sur le même constat. En 2021, un article publié dans la Public Health Review souligne qu’un vêtement réglementaire imposé à toutes et tous n’a pas d’impact direct sur les performances scolaires. Même résultat selon des chercheurs de l’Ohio State University, qui, toujours en 2021, notent dans la revue Early Childhood Research que l’uniforme n’a pas d’effet sur le comportement.

La jupe aussi pour les garçons

Seul un article de l’International Journal of Educational Management affirmait, en 2016, que les élèves écoutaient mieux en classe lorsqu’un habit réglementaire était obligatoire. «On ne peut pas dire qu’il se dégage un consensus clair de la littérature sur ce que l’uniforme pourrait améliorer», souligne le sociologue Hugues Draelants.

Et concernant l’effacement des différences socio-économiques? «Il y a 36’000 façons de se distinguer malgré un uniforme: chaussures, bijoux, coiffure, lunettes, tatouages, fournitures scolaires», pointe le sociologue. L’ironie, en ce domaine, c’est que l’uniforme, contrairement aux pays du Commonwealth où il est très répandu, est majoritairement utilisé sur le continent européen par des écoles privées, souvent avec un projet éducatif élitiste, qui visent à se démarquer des établissements grand public par des références au prestige et à la discipline d’antan.

«L’attachement à ce vêtement, c’est une espèce d’attachement symbolique à une école d’autrefois, vue comme une citadelle préservée des désordres de la société, analyse Hugues Draelants. Mais l’école n’est plus en-dehors du monde et doit trouver comment se positionner face à cette culture mondialisée.»

Pour que l’uniforme puisse être envisageable, il faudrait peut-être donc arrêter de lui affubler des valeurs et des symboles d’une époque révolue. Comme en Angleterre ou au Mexique: un assouplissement des règlements autorise le port de la jupe par les garçons et du pantalon par les filles. Signe que, dans ces pays, on louche plutôt vers une tenue de plus en plus individualisée.

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