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Reines des vignes

A la rencontre des vigneronnes romandes

A la rencontre des vigneronnes romandes

Céline Dugerdil a eu envie d’assumer lorsqu’elle a repris le domaine: «Mon premier geste a été d’inscrire sur mes étiquettes «vigneronne-encaveuse», même si ça ne sonnait pas très juste, c’était important pour moi d’y apposer une touche féminine.»

© Sandra Pointet

Elles ont entre 30 et 42 ans, elles ont la cote, et elles le savent. Les vigneronnes romandes ont su convaincre les consommateurs, les concours prestigieux, les restaurants luxueux avec leurs vins, loin des standards. Leur place dans le monde viti-vinicole n’est plus à prouver. Pour une profession dans laquelle il arrivait encore, dans les années 80, qu’une femme soit interdite de cave où mûrissait le vin parce qu’elle risquait de troubler les fermentations à cause de ses cycles, l’exploit est notable.

Visibilité accrue

Cette mise en lumière, Céline Dugerdil, 42 ans, à la tête du domaine La Printanière, à Avully (GE), la salue: «On a beaucoup de chance, on est mises en avant, on a une belle visibilité.» Même constat chez Catherine Cruchon, co-directrice du domaine Henri Cruchon, à Echichens (VD):

«Comme les gens ont encore en tête cette image du vieux vigneron en salopette, il y a un côté glamour et sympa de découvrir des femmes. Ça dynamise le milieu. La médiatisation nous offre un podium pour communiquer de manière positive sur notre métier, son évolution et ses défis.»

Pour autant, les vigneronnes des temps modernes refusent, à l’unanimité, de lier les compétences au genre. Pour la Vaudoise de 34 ans, «être une vigneronne ne devrait pas être un sujet. C’est dommage qu’un confrère qui fait le même travail que moi, qualitativement, bénéficie d’une plus petite couverture médiatique parce qu’il est un homme.»

Parfois, Laura Paccot, responsable à 100% des vignes et à 50% de la cave du domaine familial La Colombe, à Féchy (VD), est lassée d’être questionnée sur son sexe: «En étant une femme et en cultivant en bio ou en biodynamie, je suis dans les tendances actuelles. C’est porteur.» La vigneronne de 30 ans – mère d’une petite Jeanne et enceinte de son deuxième enfant – reconnaît qu’au début, ça la dérangeait d’avoir l’impression d’être interviewée parce qu’elle était une femme et non pour la qualité de ses vins. «Mais j’ai réfléchi, repensé à l’histoire, et je me dis que c’est une étape nécessaire pour, bientôt, ne plus en parler parce que ce sera banal.» Céline Dugerdil, elle, a eu envie d’assumer lorsqu’elle a repris le domaine:

«Mon premier geste a été d’inscrire sur mes étiquettes «vigneronne-encaveuse», même si ça ne sonnait pas très juste, c’était important pour moi d’y apposer une touche féminine.»

Anne-Claire Schott, à la tête du domaine familial à Douanne (BE), est la plus féministe de toutes: «Il y a encore des tabous à briser. On devrait par exemple parler de nos cycles. Pouvoir dire ouvertement, sans que cela passe pour une faiblesse, qu’une femme n’est pas au 100% de sa forme durant ses règles et qu’elle ne doit pas toujours faire des travaux lourds.» Cette année, la Biennoise de 35 ans s’est entourée de trois femmes: une stagiaire, une apprentie, et son œnologue. «Un hasard, dit-elle. Ce qui reste primordial pour moi, c’est d’être secondée par une œnologue. Le domaine doit être représenté par une femme en mon absence.» Elle ajoute: «Sans vouloir être méchante avec mon père, il me dit toujours que je dois me trouver un mari qui puisse m’aider.» Cette remarque ne l’énerve plus parce qu’elle est «maîtresse de ses choix».

Si les femmes sont plus visibles, c’est aussi parce qu’elles sont plus nombreuses. Dans la volée d’Anne-Claire Schott en 2014, à la Haute Ecole de viticulture et œnologie de Changins, il y avait 50% de femmes. Dans celle de son apprentie, elles sont 75%. Il reste pourtant des femmes et des hommes étonnés de cette réalité. Elle essuie parfois un «"Allez les filles! Frauen Power!» «Moi, ça ne me viendrait jamais à l’idée d’entrer dans une cave en criant "Allez les mecs! Männer Power!"»

Les femmes et le vin: à la rencontre des jeunes vigneronnes romandes
© Sandra Pointet

Anne-Claire Schott, œnologue au Schott Weine à Douanne (BE), porte une combinaison, un caraco en soie et une veste en fausse fourrure Zadig et Voltaire, ainsi que des bottines en daim Bally chez zalando.ch.

Au quotidien: «L’aspect durable, local et équitable est important pour moi. Par exemple, j’adorechiner des vêtements vintage. Malgré mon travail, j’aime affirmer mon côté féminin lorsque je sors, l’un n’empêche pas l’autre.»

Sur le shooting: «Je n’ai jamais porté de combi et me suis rendu compte que j’aimais me voir dedans. C’est finalement une tenue qui reflète bien ma personnalité. Au fond, j’aime m’amuser avec les vêtements, mais ce sont les occasions qui manquent dans mon métier.»

Hommage aux pionnières

Les vigneronnes en vogue savent ce qu’elles doivent aux pionnières. Ces opiniâtres passées de l’ombre à la lumière en démontant les préconstruits culturels qui les piégeaient dans le rôle de faire-valoir de leur mari ou de simples ouvrières. «Celles qui ont légitimé notre présence, permis de ne plus avoir à prouver notre valeur», comme le résume Catherine Cruchon. Ces femmes fortes ont dû franchir l’obstacle de l’accès limité au savoir. Madeleine Gay, 68 ans, une des pionnières à Changins, est engagée à Provins Valais, en 1981, en tant que responsable des spécialités. C’est un homme, Jean Actis, le directeur, qui lui a «donné sa chance». A ses débuts, l’ingénieure-œnologue devait affronter un bastion exclusivement masculin et deux années de surproduction: «En 1982 et 1983, on faisait deux récoltes en une.» A Provins, le vin était stocké dans des réservoirs d’eau. En Suisse alémanique dans des piscines.

Cette éco-féministe avant l’heure a milité pour abandonner la quantité et privilégier la qualité. Ce qui passait par l’encouragement de la plantation de cépages indigènes (petite arvine, amigne ou cornalin) existant en petites quantités. «Les cultivateurs des cépages très productifs (fendant, gamay, pinot noir) étaient fâchés. Normal, ils étaient payés au rendement. Pour motiver ce changement, j’ai proposé de transformer le système de paiement: abandonner la rémunération au kilo et introduire celle au mètre carré. Le tout devait s’accompagner par des analyses du sol régulières pour s’assurer qu’on n’abuse pas des engrais.»

Si Madeleine Gay a dû «lutter pour faire sa place», Marie-Thérèse Chappaz, 61 ans, une des pionnières de la biodynamie, n’a pas eu cette impression. «Peut-être parce que j’étais ma propre patronne.» Quand on dit à la vigneronne de Fully (VS) qu’elle est naturellement citée comme «modèle» par les jeunes vigneronnes, ça lui fait plaisir: «Surtout pour la cause des femmes, leur épanouissement. On a tous un rôle à jouer pour les autres. Je suis peut-être plus citée parce que je suis très communicative. Je suis pour le partage du savoir.» Elle a fait le choix de donner la priorité aux apprenties femmes. «Quand elles décident, elles peuvent tout faire.» Si elle se dit «heureuse d’aider et d’encourager», elle se rappelle qu’à ses débuts, elle était bien seule:

«On n’était que deux femmes sur 40 diplômés dans ma volée à Changins, en 1981.»

Il fallait assumer d’être regardée comme une curiosité: «Ce n’était pas grave. Moi, j’avais des objectifs, j’y suis allée à fond.» L’une de ses protégées durant cinq ans, Valentina Andrei, 38 ans, qui a créé son domaine en 2013, à Saillon (VS), raconte: «C’est quelqu’un de tout à fait ordinaire, mais extraordinaire dans sa manière de travailler. Elle m’a fait confiance et m’a laissé accomplir des travaux importants. C’est avec elle que j’ai appris à déguster.» A force de travail, la Roumaine venue en Suisse en 2003 est devenue maîtresse de chai du Domaine de la Liaudisaz, à Fully (VS), celui de sa consœur et «icône du vin suisse», comme l’a labellisée Gault & Millau, en 2015.

Conscientes du besoin de solidarité entre femmes dans la profession, Marie-Thérèse Chappaz, Françoise Berguer (pionnière disparue en 2019) et Coraline de Wurstemberger, patronne du domaine familial Les Dames de Hautecour, une propriété qui depuis 1649 a le plus souvent été entre les mains de femmes à Mont-sur-Rolle (VD), décident de créer en 1998 la première association réservée aux vigneronnes, devenue aujourd’hui Nous Artisanes du Vin. «A l’époque, nous avions besoin de nous légitimer, de prouver que nous pouvions faire le même travail que les hommes», confie Coraline de Wurstemberger.

Infatigable, elle décide de fonder DiVINes, un salon de dégustation de vins exclusivement produits par des vigneronnes, qui verra le jour au Château de Rolle le 6 novembre 2021. Un événement légitime à ses yeux:

«Si, aujourd’hui, nous ne sommes plus des bêtes curieuses, nous restons néanmoins une minorité.»

Solidaires, elles l’ont toujours été entre elles. Coraline de Wurstemberger se souvient de la générosité de Françoise Berguer. «Elle a toujours été dans l’accompagnement, l’encouragement. Lorsque l’une d’entre nous doutait, elle rassurait et critiquait toujours avec bienveillance.» Une femme à «l’humour incroyable, qui assumait, dans une époque pudique, des étiquettes olé-olé. Il fallait voir, au Salon suisse du vin Arvinis, les regards des consommateurs face à son étiquette Emotion sauvage.»

© Sandra Pointet

Valentina Andrei, vigneronne et œnologue à la Cave Valentina Andrei à Saillon (VS), porte une robe en tricot Karl Lagerfeld et des bottines en cuir Kurt Geiger chez zalando.ch.

Au quotidien: «Le duo jeans et baskets, c’est ma tenue de travail à la vigne ou à la cave. Je me sens à l’aise et c’est élégant. Quand je sors, c’est aussi mon look de prédilection.»

Sur le shooting: «C’est bien la première fois que je consacre autant de temps à ma tenue, ma coiffure et mon maquillage! Je n’aurais jamais osé porter cette robe, très près du corps, car je n’ai pas l’habitude de m’habiller ainsi. Mais cela me renvoie, avec un peu de nostalgie, au style de vêtements des années 60 et à l’époque de ma grand-mère.»

Font-elles un vin différent?

Les jeunes vigneronnes font-elles un vin différent de celui des hommes? Aucune ne le prétend. Mais, à les écouter toutes, on sent une importance particulière accordée au respect de la terre. La volonté d’explorer des voies qui s’intègrent dans une vision écologique. Aussi, l’envie de repousser les limites. Catherine Cruchon n’hésite pas à remettre en question le rapport de force qu’entretient l’homme moderne avec la nature: «Pour moi, le but ultime de la science est de nous permettre de nous passer de tous les artifices. Or, la science aujourd’hui a tendance à vendre un produit et des solutions de facilité.»

A la reprise du domaine familial en 2016, l’idée d’Anne-Claire Schott était claire:

«J’ai commencé à produire du vin bio dans le respect des directives Demeter. Soit je passais en biodynamie, soit j’abandonnais. Mon père n’était pas contre, mais il trouvait que j’étais irresponsable de prendre un tel risque.»

Catherine Cruchon, connue pour ses vins en biodynamie depuis des années, ne compte pas s’arrêter: «En gardant toujours en tête l’aspect qualitatif, j’aimerais faire évoluer la démarche que mon père et mon oncle ont initiée il y a 22 ans. Aller plus loin dans la compréhension des sols et des plantes, de l’écosystème et de l’agroforesterie, ce qui nous permettra aussi de mieux nous adapter aux changements climatiques.» Laura Paccot renchérit: «On a un challenge avec les millésimes chauds. On doit adapter les méthodes. Peut-être limiter le nombre de cépages et éventuellement celui des cuvées.» A ses débuts en biodynamie, Marie-Thérèse Chappaz ne s’est pas vraiment sentie encouragée: «Le bio était mal perçu. On m’a souvent demandé pourquoi je prenais de si gros risques.»

Aujourd’hui, elle soutient la démarche de Catherine Cruchon, d’Anne-Claire Schott et de leurs confrères qui ont lancé le 11 janvier 2021 l’Association Suisse Vin Nature (ASVN), une première. Pour la Vaudoise, présidente de la Commission technique de l’ASVN, «les vins nature sont l’aboutissement de tout. Du pur jus fermenté mis en bouteille qui s’exprime pour lui-même. Il était nécessaire qu’on se comprenne quand on parle de ces vins. On avait envie de protéger la démarche et d’éclairer le consommateur. On a aussi créé le premier Festival Vin-Nature, à Romainmôtier (VD), en août dernier. C’était magique.» Anne-Claire Schott, vice-présidente de l’ASVN, renchérit: «On a pris une année pour élaborer la charte. C’est un challenge de produire des vins de haute qualité ne contenant aucun additif.»

Cette vigneronne veut aller encore plus loin dans la démarche: tenter de revaloriser le vin au litre, fermé à la capsule couronne.

«C’est vraiment écolo. Les bouteilles sont produites en Suisse et recyclables. Malheureusement, elles ont mauvaise presse parce que, à l’époque, elles contenaient du vin bon marché.»

Si les bars à vin adorent, les restaurants restent réticents, non? «Peut-être les restaurants luxueux. Mais tout évolue.» Quand le flacon est décapsulé comme une bouteille de bière, le sentiment est particulier. L’étiquette joue aussi un grand rôle. La Biennoise, qui a fait un Bachelor en histoire de l’art, le confirme: «Je m’entoure d’artistes locaux qui subliment en particulier ma série de vins nature.» La texture, le matériau du papier est aussi objet de réflexion. «J’aime cette idée de venir de l’intérieur vers l’extérieur. En ne négligeant aucune étape.»

Boire, voir, croire, le credo des jeunes vigneronnes a décidément des racines profondes. Baudelaire le disait déjà: «Boire du vin, c’est boire du génie.»

Les femmes et le vin: à la rencontre des jeunes vigneronnes romandes
© Sandra Pointet

Laura Paccot, vigneronne au Domaine La Colombe à Féchy (VD), porte une robe en satin COS, des mules en similicuir Zara et des boucles d’oreilles Mango.

Au quotidien: «Mon look est assez basique, en jeans avec un pull ou un T-shirt. Il me faut des vêtements confortables et pas trop délicats, au cas où je me salis.»

Sur le shooting: «J’aime bien ce style qui me correspond et je me sentais totalement à l’aise dans cette robe. En voyant les photos de mes consœurs, pour celles que je connais, les tenues s’accordent parfaitement à nos caractères.»

© Sandra Pointet

Catherine Cruchon, ingénieure œnologue au domaine Henri Cruchon à Echichens (VD), porte un tailleur-pantalon en crêpe, un caraco en soie et des baskets Zadig et Voltaire.

Au quotidien: «Je porte des vêtements fonctionnels et confortables, comme une salopette de travail, un gilet à poches pour y glisser mes outils, sans oublier mes chaussures de sécurité.»

Sur le shooting: «Faire ce genre d’exercice est très enrichissant, cela m’a permis d’élargir mes perspectives. Je n’avais jamais porté de costume-pantalon parce que je pensais que ça ne m’allait pas. C’était l’occasion de sortir de ma zone de confort et d’essayer un nouveau style. »

Les femmes et le vin: à la rencontre des jeunes vigneronnes romandes
© Sandra Pointet

Céline Dugerdil, vigneronne au Domaine de la Printanière à Avully (GE), porte une combinaison Karl Lagerfeld et des bottines en cuir Kurt Geiger chez zalando.ch.

Au quotidien: «Il faut que je sois à l’aise pour travailler. Donc je suis assez classique, en jeans et débardeur, ou gilet matelassé en hiver. Sur le terrain, il faut des chaussures qui tiennent la route, comme mes baskets Salomon.»

Sur le shooting: «J’avoue que j’ai eu un peu d’appréhension en voyant les robes sur le portant. Mais ça change tout de les essayer. Donc j’étais plutôt étonnée en bien! Grosse expérience avec les chaussures à talons, ça faisait un moment que je n’en avais pas porté.»

Les femmes et le vin: à la rencontre des jeunes vigneronnes romandes
© Sandra Pointet

Marjorie Bonvin, maître caviste, resp. œnologie et production à la Maison Henri Badoux à Aigle (VD), porte une combinaison en denim et des sandales en daim Mango.

Au quotidien: «Mon look de tous les jours est simple et pratique, jeans, baskets et pull. Et quand je sors, j’aime ajouter une touche féminine, comme un pantalon noir avec un haut chic, et parfois des talons.»

Sur le shooting: «Je suis clairement sortie de ma zone de confort! Je ne serais jamais allée naturellement vers ce type de vêtement dans un magasin. Au fond, il y a un lien entre cette combinaison en denim et ma salopette de travail. Comme si la mode et la vigne se rencontraient.»

Coiffure et maquillage Sandrine Thomas, production Caroline Oberkampf-Imsand et François Gailland, stylisme Bruna Lacerda et Sokhna Cissé, direction artistique Naila Maiorana. Ce shooting a été réalisé au Vinorama de Rivaz. Nous remercions Monica Tomba et son équipe pour leur accueil chaleureux.

La mise en beauté de ce shooting a été réalisée avec le soutien de Clarins et Alen Glavan, make-up artist, qui a notamment travaillé avec les produits suivants: Ombre 4 couleurs - teinte 04 brown sugar gradation,
My Perfect Eye Brow Kit, my clarins, Supra Lift & Curl Mascara, Fond de teint Skin Illusion Velvet.


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