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Alimentation: confinés ou pas, on garde le tempo
«En six semaines de confinement, j’ai eu 80% de mon salaire et j’ai pris 5 kilos.» C’est le bilan plutôt amer qu’a pu entendre Laurence Margot, diététicienne chez Fourchette verte. Il y a ceux qui prennent du poids, car ils n’ont plus d’horaires de repas, comblent leur ennui avec du chocolat ou n’ont tout simplement pas envie de cuisiner. Il y a ceux qui, au contraire, perdent des kilos, car ils se sont mis au sport et se sont découvert des talents de cuistot.
Alors oui, confinement ou pas, nous ne sommes pas tous égaux face à notre rapport à l’alimentation. Ce constat est d’autant plus vrai lorsqu’on doit, en plus, gérer les apéros à répétition, résister à l’appel du frigo ou cuisiner trois repas par jour sept jours sur sept pour toute une smala. Quatre spécialistes nous livrent des stratégies à adopter maintenant et à garder post confinement.
Adapter sa structure
«Les repas nous aident à structurer la journée, car ils sont coordonnés avec nos rythmes physiologiques et métaboliques. Ce n’est donc pas par hasard que nous mangeons à intervalle régulier, avec des pauses, explique Muriel Lafaille, diététicienne cheffe au CHUV. Les repas sont le métronome de nos journées.» Certains ont pourtant de la peine à suivre le tempo, malgré leur bonne volonté.
Tenter de garder une structure est pourtant essentiel, voire primordial pour maintenir un équilibre, selon les spécialistes. «Le fil conducteur, c’est la structure, insiste Laurence Margot. Il convient de trouver une espèce de consensus familial, ensuite ça se joue sur les quantités prises dans l’assiette par chacun. S’il y a une structure, à la longue, les sensations alimentaires vont s’y calquer», quitte à décaler légèrement les horaires des repas pour que tout le monde arrive à table en ayant faim selon ses besoins.
Pour Virginie Terrier, nutritionniste à la clinique Efficium, à Genève, l’idéal est de garder le même rythme. «Si on a l’habitude de prendre trois repas par jour, on ne change pas, idem si on a l’habitude de deux repas. Seulement, on revoit les quantités en fonction de sa faim.» Petite astuce proposée par la spécialiste pour renouer avec ses sensations si on les a temporairement perdues: «Le confinement peut être un moment intéressant pour jeûner de temps en temps sur un repas, par exemple celui du soir ou le petit déjeuner. Ça peut être intéressant pour soulager le corps des excès, mais aussi pour mieux ressentir sa faim et créer de bons réflexes.»
Transformer les apéros
C’est le coup classique. On prend l’apéro Skype ou Zoom vers 18h et lorsqu’arrive le moment de passer à table pour le repas du soir, on n’a plus faim ou pas le courage de cuisiner. Alors on se cuit des pâtes vite fait, qui additionnent leurs calories à tout ce qu’on a déjà picoré pendant deux heures en sirotant son godet.
Cette stratégie permet de ne pas se priver de ces apéros qui nous lient tant bien que mal à distance avec notre cercle familial ou amical, tout en ne faisant pas exploser la balance. «Il n’y pas d’obligation de boire de l’alcool et des boissons sucrées en mangeant des chips. Ce ne sont pas les amis qui viennent vous remplir votre verre et vous tendre des cacahuètes, argumente Laurence Margot. Si on est dans une phase cuisine, rien ne nous empêche de préparer des recettes avec des jus de fruits dilués, des eaux aromatisées, des tartares de légumes ou du houmous.» Quoiqu’il arrive, l’apéro prolongé et répété ne doit donc pas venir en plus du repas.
Résister à l'appel du frigo
Le principe de base, c’est de ne pas remplir son frigo ou ses placards à bloc, sous peine de ne pas pouvoir résister à leur contenu quand on en ouvrira les portes. Tout se joue donc au moment d’aller faire les courses. «Je fais une liste avec en tête des menus pour la semaine et comme je ne veux pas passer trop de temps dans les rayons de supermarché, je suis non seulement plus efficace, mais je remarque aussi que j’achète moins de biscuits et autres sucreries. Je vais à l’essentiel», confie Denis, adepte du grignotage à toute heure lorsqu’il est au bureau.
C’est d’ailleurs un point crucial que Virginie Terrier martèle à ses patients, nombreux à l’avoir sollicitée pour des conseils durant cette période de confinement:
Car c’est souvent par désœuvrement qu’on finit devant la porte du frigo. La main sur la poignée, il y a des questions à se poser, comme le suggère Laurence Margot: «Est-ce que j’ai vraiment faim? Est-ce que je m’ennuie? Est-ce que je mange parce que je ne veux pas faire ce que je devrais faire? Dans ces cas-là, je proposerais plutôt d’aller faire un tour ailleurs qu’à la cuisine.»
Toutefois, avant d’arriver à se poser ces questions, voire à en faire des automatismes à chaque tentation, le plus simple est déjà de sélectionner les produits au moment de l’achat.
Se simplifier la vie
«Avant le confinement, je mangeais régulièrement au restaurant et mes enfants à la cantine scolaire, confie Isabelle, quarantenaire au bout du rouleau culinairement parlant. Mais là, je n’en peux plus de cuisiner des repas équilibrés tous les jours. Je crois que, pour moi, c’est encore pire que de faire l’école à la maison…» Pour Sophie Bucher Della Torre, il est essentiel de se simplifier la vie:
Même discours déculpabilisant pour Laurence Margot, qui invite à ne pas se prendre la tête: «On peut décider d’un repas où on cuisine et d’un autre plus simple, formé d’une salade composée avec du riz, du thon et des légumes. On peut également opter pour une soupe aux légumes avec du pain et du fromage. Ça ne prend pas beaucoup de temps et si on a anticipé ses menus, on a tout sous la main.» Car si, paradoxalement, on a plus de temps en confinement, on n’a pas forcément envie de le passer en cuisine. D’où l’idée de le rationaliser.
Et essayer, pourquoi pas, d’impliquer tous les membres de la famille, de l’élaboration des menus à la préparation des repas. Une bonne occasion d’apprendre à cuisiner pour certains aussi, puisqu’on a enfin un peu de temps. «Ce qui est important de garder de ce confinement, c’est de repenser les activités autour de l’alimentation, car c’est un des piliers de notre vie», termine Muriel Lafaille.