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Oser parler de la mort aux enfants

Deuil soins palliatifs mort comment en parler aux enfants

«Certains enfants disent voir des "personnes" que les adultes autour d’eux ne perçoivent pas, comme le jeune Cole dans le film Sixième sens.» - Christine Fawer Caputo

© GETTY IMAGES/LUISIA VOLOSHKA

Christine Fawer Caputo a plusieurs casquettes, mais toutes ont un point commun: l’étude des enfants et des liens qu’ils entretiennent avec la mort et le deuil. Dans les formations qu’elle dispense à la HEP de Lausanne, dans le centre de compétences sur la gestion des situations sensibles qu’elle dirige, elle décode notamment avec les enseignants les manières d’en parler et d’accompagner les enfants dans les expériences de fin de vie, de mort et de deuil, en famille ou à l’école. La chercheuse s’intéresse aussi aux expériences de contact avec les défunts, vécues par les enfants. Interview.

FEMINA Parler de la mort aux enfants, est-ce que c’est différent que d’en parler aux adultes?
Christine Fawer Caputo Oui, les enfants n’ont pas la même compréhension du concept de mort que les adultes. Avant six ans, par exemple, ils ne comprennent pas la mort comme quelque chose de définitif et irréversible.

Pour les enfants, on peut être mort un jour et revenir le lendemain, d’autant plus qu’ils ont une appréhension du temps qui est cyclique.

Ainsi, si on dit à un petit enfant que son grand-père est mort, il peut demander la semaine suivante d’aller lui rendre visite, ce qui peut surprendre les adultes. Pareil si on montre à l’enfant que son grand-père est enterré, mais qu’on lui dit qu’en même temps il est au ciel: le jeune enfant ne pourra pas comprendre, car il ne peut pas du tout différencier le corps et l’esprit.

Qu’en est-il des soins palliatifs?
Il faut encourager la famille à amener les enfants voir la personne qui est en soins palliatifs, à tous les stades de la maladie. Souvent, on les en écarte. Mais si on peut les préparer, les amener régulièrement voir le proche hospitalisé, l’enfant ne va pas être surpris par les changements physiques ou par l’affaiblissement. Avec des mots adaptés en fonction de l’âge, c’est important de leur expliquer toutes ces étapes et de les y inclure jusqu’au bout.

Jusqu’au décès?
Selon moi, c’est indispensable. Les adultes qui sont devenus orphelins dans l’enfance ou l’adolescence et qui ont été écartés de tous ces moments racontent souvent combien c’est une souffrance, car ils n’ont pas le même récit que des frères et sœurs plus âgés ou que le reste de la famille. Parfois, ils n’ont pas l’impression que la personne est vraiment morte car on ne les a pas emmenés aux rites funéraires ou aux enterrements.

Sans cela, risquent-ils de se forger leurs propres représentations de la mort, alimentées par les images vues à la télé ou sur internet par exemple?
​Il y a une ambivalence par rapport à la mort, car elle est partout présente dans leur quotidien, dans les dessins animés comme les jeux vidéo où elle est banalisée car on peut y avoir plusieurs vies.

Mais si on laisse les enfants regarder des images liées à la mort, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles ou d’attentats par exemple, sans le filtre des adultes, ça peut créer de vraies angoisses comme la peur de perdre leurs parents ou que ça se produise chez eux.

Souvent les parents oublient en regardant le téléjournal que les enfants sont parfois à côté. Ils peuvent voir des images brutales ou entendre des propos violents qui les amènent à faire des constructions dans leur mental qui ne sont pas toujours adaptées.​

Vos recherches portent notamment sur les contacts des enfants avec les défunts. De quoi s’agit-il?
​Je forme des enseignants autour de la maladie, de la mort et du deuil en milieu scolaire et ces recherches découlent de ces travaux où on parle d’enfants qui peuvent avoir des maladies létales, se retrouver en soins palliatifs ou être en deuil d’un parent. Dans ces situations-là, je retrouve régulièrement des témoignages d’enfants qui voient des choses.

C’est-à-dire?
Par exemple, pour les enfants en fin de vie. Comme me l’a raconté une soignante en Belgique qui a accompagné beaucoup d’enfants et d’adolescents en soins palliatifs: à l’approche du décès, certains voient des enfants du service où ils sont hospitalisés et qui sont morts avant eux venir les chercher, ou alors des sortes d’entités lumineuses. Mais il y a aussi les enfants en deuil, qui ont perdu un parent ou un proche, et qui parfois témoignent comme pour les adultes d’avoir un contact avec ce disparu, soit par un rêve puissant, soit en le voyant comme s’il était vraiment là.

Enfin, certains enfants disent voir des «personnes» que les adultes autour d’eux ne perçoivent pas, comme dans le film Sixième sens où le jeune Cole dit voir des défunts.

Est-ce un phénomène répandu chez les enfants en deuil?
Selon Josée Masson, directrice de Deuil jeunesse au Canada, qui a accompagné plus de 4500 enfants endeuillés dans sa structure, c’est un phénomène régulier, si bien qu’ils ont mis en place un protocole autour de ces visions. Ce sont des réalités subjectives pour ces enfants-là qui sont importantes car elles font sens pour eux. Les adultes les questionnent sur comment le défunt qu’ils voient est habillé, où il est assis, s’il leur dit quelque chose, etc. Ils accueillent le récit et ne le mettent pas sur le compte de l’imagination.

N’y a-t-il pas d’explications rationnelles à ces visions?
On peut souvent donner des explications rationnelles, et il ne s’agit pas de dire qu’à chaque fois il y a des fantômes autour de ces enfants. Ça peut être des vécus subjectifs de contact avec les défunts (ndlr: un thème de conférence du 28 septembre) ou des enfants qui essaient de se rappeler des souvenirs de leur proche disparu et d’un coup ça devient réel pour eux.

Il semble toutefois que, pour l’enfant en deuil, voir son parent décédé est plutôt un facteur protecteur dans sa reconstruction.

Pourquoi avoir choisi d’en parler le 28 septembre 2023?
Cela fait vingt ans que je travaille sur les situations de maladie, de mort et de deuil, et il n’y a pas beaucoup de recherches autour de ce type de visions chez les enfants. J’avais envie d’explorer ce phénomène et d’entreprendre une grande enquête afin d’arriver à la production d’un ouvrage collectif. L’objectif est de mieux entendre ce que les enfants ont à nous dire à ce sujet, mais aussi de réfléchir au sens à donner à ces expériences.

Pour approfondir la réflexion

Le programme de la journée de conférence et débats «Expérience de mort imminente» organisée par Palliative Vaud le jeudi 28 septembre 2023 au Théâtre de Beausobre à Morges (VD), détails et inscriptions sur soins-palliatifs-vaud.ch

Le site du centre de compétences sur la gestion des situations sensibles dirigé par Christine Fawer Caputo à la Haute École pédagogique de Lausanne: mort-deuil-ecole.ch

Des pistes pour accompagner les enfants dans les expériences de fin de vie, de mort et de deuil, avec des livrets pédagogiques et des avis d’experts, sur lavielamortonenparle.fr

À Genève, le réseau cantonal genevois organise le 4 octobre 2023 aux HUG, sous l’égide de Palliative Genève et de ses partenaires, deux événements sous forme de conférences et de projection de film autour du thème. Infos: hug.ch

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