Talent suisse
Rencontre avec la comédienne Isabelle Caillat, un soleil en hiver
Isabelle Caillat a rendez-vous tout à l’heure à la radio pour l’émission Vertigo, invitée à parler du spectacle dans lequel elle joue, Hiver à Sokcho, et du prix Swissperform qu’elle a reçu à Soleure pour son rôle dans la série Cellule de crise. Elle arrive de Genève, elle s’apprête à monter à la Sallaz sur les hauts de Lausanne. A la croisée de ces méridiens, on s’installe pour une interview-séance photo au Café du Simplon, au pied de la gare. Juste au-dessus de nous, les trains sifflent et grondent. Zoran, le patron, nous accueille comme des reines, des clients jouent aux cartes et chuchotent en la regardant, disant «je l’ai déjà vue quelque part», une journaliste d’une autre rédaction pianote sur son ordinateur, une chanson de Cesaria Evora ondule entre les tables.
L’ambiance chill colle bien à Isabelle Caillat, voix douce et basse, corps de danseuse attentive. Ce n’est pas qu’elle est sur ses gardes, mais elle mesure ses paroles et ses gestes, une affaire d’exigence, de discipline. Ou de timidité? «Enfant puis adolescente, j’étais très scolaire, je n’ai pas fait les 400 coups. Je faisais beaucoup de danse, du théâtre aussi. J’ai eu un accident, ça a mis fin à mon rêve de devenir danseuse. Je me rends compte, après coup, que je n’avais pas la niaque suffisante pour continuer, peut-être pas le talent non plus.» La danse est un monde brutal, les corps sont martyrisés, forcés. Difficile d’imaginer Isabelle Caillat se soumettre à ces diktats. «La danse discipline le corps, elle me faisait du bien, elle était libératrice.» Libératrice de ces mots que l’actrice manie avec prudence.
On discute depuis peu de temps, quelques rayons de soleil qui ont percé le stratus passent sur son visage sans s’y arrêter trop longtemps, histoire de ne pas la déranger. On n’a pas non plus envie de la brusquer avec nos questions, Isabelle Caillat, mais de la regarder se concentrer, chercher ses mots pour qu’ils traduisent sa pensée et sa pensée ses mots. Même la tasse de café qui est devant elle semble suspendue à ses réponses. «La danse m’a permis de maintenir une discipline dans mon métier d’actrice. La pratique de l’acteur, c’est la pratique du corps. Dans ma formation, que j’ai exercée dans une école à New York, le corps c’est la base. Tout est lié au corps, l’imagination, la sensibilité, tout se fait avec, dans, ou contre le corps. Et ça me plaît. J’aime les corps. Au théâtre, le corps est très exposé, ça m’aide à dépasser mes réserves, mes limites. Je crois aussi que j’ai besoin d’aller vers ce qui est compliqué pour moi.»
On voit ce qu’elle veut dire. Isabelle Caillat qui se méfie des mots a choisi le théâtre, elle qui aime la retenue, l’exposition d’un plateau ou l’impudicité d’une caméra. Sous ses airs de bonne élève, elle n’a pas froid aux yeux. «Je suis plus déterminée que ce que j’imaginais.» Dans les récents rôles qu’elle habite, elle joue des femmes fortes, des femmes de pouvoir, et elle aime ça.
Résistante à la facilité
Hiver à Sokcho, actuellement sur les scènes romandes, lui offre l’occasion de déployer son talent. Elle prête son corps et sa voix au texte de l’écrivaine Elisa Shua Dusapin. Mis en scène par le comédien Frank Semelet, avec la complicité de l’écrivaine, Hiver à Sokcho montre Isabelle Caillat en jeune coréenne vivotant en hibernation dans une petite station balnéaire et qui rencontre un dessinateur de BD français. Elle partage la vedette avec Frank Semelet, accompagnée par les dessins du bédéiste Pitch. Elisa Shua Dusapin, Sud-Coréenne par sa mère, raconte dans son livre l’invitation à suivre les failles de ses multiples identités. Isabelle Caillat, moitié Suisse, moitié Haïtienne, a-t-elle vu quelque chose d’elle dans le personnage? «Oui, Sokcho fait écho à mon histoire, ce rapport à des origines auxquelles on a difficilement accès. Ça a été compliqué pour moi, je me rêvais d’Haïti, mais il y avait des blancs qui n’ont pas été élucidés.» On lui dit qu’on voit des points communs entre elle et l’écrivaine, femmes roseaux qui revendiquent une résistance à la facilité. «Je me reconnais dans son texte. Elle a des élans intérieurs très forts qui ne sortent que quand c’est nécessaire.»
Dans la peau de Suzanne
La série Cellule de crise a marqué sa vie d’actrice. Énorme investissement, en temps, en tournage, en implication dans le rôle. Une prestation récemment récompensée par le Prix d’art dramatique Swissperform des Journées de Soleure. «C’était un grand rôle, le personnage respirait la force, l’audace, la liberté, le plaisir; l’incarner m’a beaucoup aidée. Si je rencontrais Suzanne Fontana, elle me séduirait.» On discute de la suite, et on regrette toutes les deux qu’il n’y ait pas de saison 2. L’inspectrice de police qu’elle incarne dans Sacha est plus inflexible. Cheveux tirés, pull col roulé, loin du visage juvénile qui est en train de poser pour Femina. Est-elle actrice caméléon, à prendre du poids, se cacher derrière les maquillages et les artifices ou reste-t-elle toujours la même à chaque rôle? «Je n’ai jamais eu besoin de tout changer. Pour Cellule de crise, j’ai dû couper mes cheveux, c’était étrange, pas facile pour moi.
Isabelle Caillat a une petite fille de presque quatre ans, elle s’émerveille chaque jour de la vie que sa fille lui offre. On parle aussi de la difficulté à devenir mère, ce sentiment de force et de vulnérabilité qui nous tombe dessus. En 2022, elle sera sur les planches à nouveau, dans une pièce montée par le metteur en scène Michel Toman. Elle imagine qu’un jour, on pourrait ne plus rien lui confier. Nous, on sait qu’on la retrouvera. Dans le café, les gens la regardent filer et lui disent à bientôt.
Informations pratiques
Hiver à Sokcho, mis en scène par Frank Semelet, au Casino-Théâtre de Rolle les 8 et 9 février 2022, Salle de l’Inter (Porrentruy) les 11 et 12 février 2022, Théâtre de Beausobre (Morges) le 8 mars 2022, TPR (La Chaux-de-Fonds) les 10 et 11 mars 2022, Centre Culturel de la Prévôté (Moutier) le 13 mars 2022.
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