Femina Logo

témoignages

Ma rencontre avec la Papouasie m’a révélée

Femina 04 Temoin Papous

Des racines poussaient de mes pieds, mon corps s’ancrait dans la terre.

© Magali Caillet

J’ai toujours beaucoup voyagé. Mais jamais je n’aurais pensé partir un jour là-bas. La Papouasie? Franchement, c’est à peine si je savais où ça se trouvait. Il aura fallu une rencontre pour que l’inimaginable arrive. C’était en 2012. J’avais 32 ans, je me trouvais à un moment charnière de ma vie après un cap de la trentaine passablement éprouvant: une séparation, des problèmes de santé… J’étais en quête de sens, de réponses. Je suivais l’enseignement d’une chamane bolivienne et, professionnellement, je commençais à faire de la photo. Bref, ça bougeait.

J’ai assisté à l’époque à une conférence donnée par le photographe français Marc Dozier lors de la projection d’un de ses films, «L’exploration inversée», en présence du «héros» Mundeya (prononcer Moudidji) Kepanga (ndlr: en photo), un chef guerrier papou devenu célèbre pour son regard empreint de philosophie sur le monde occidental. J’étais accompagnée d’une amie et de son fils qui, alors punk, arborait une magnifique crête rouge. Quand Mundeya en a vu la taille, il est venu vers lui pour le saluer et lui demander de quelle tribu il était le chef. Ça a été un moment unique! Marc Dozier a immortalisé par un shooting photo la rencontre entre le chef papou, coiffé de sa parure de wigmen, et le punk. Puis le photographe et le guerrier ont repris leur route. J’étais certaine de ne plus les revoir.

Sauf que quelques mois plus tard, je recevais un coup de fil de Marc: il me proposait de l’accompagner en Papouasie en tant qu’assistante-photo. C’était totalement improbable! Pourquoi moi? Le temps d’éternuer deux fois, je me retrouvais dans l’avion. A mon programme: être avec Marc dès le début de son immersion dans les îles du Sud, puis rejoindre Mundeya dans la région des Hautes Terres, seule. Il fallait que je le revoie, je le sentais. Dès notre arrivée, ça a été le tourbillon. Le choc des cultures, d’abord: la Papouasie, c’est 800 tribus, autant de langues et de croyances, une société très patriarcale… Grâce à Marc, j’ai eu le privilège de participer à des cérémonies secrètes, à des rites réservés aux jeunes adolescents lors de leur passage à l’âge adulte. J’ai aussi partagé l’intimité de deux communautés importantes: les Bainings et les Tolaïs. J’étais dans un autre univers.

Qu’étais-je venue faire là?

Au terme de ce mois très exigeant, à travailler chaque jour de 5 h du matin à minuit, j’ai mis le cap sur les Hautes Terres. J’étais seule et heureuse: j’allais enfin pouvoir souffler. Mon voyage commençait vraiment.

Quand l’avion s’est posé sur la piste en terre de Tari, j’ai eu un moment d’anxiété. Je n’avais rencontré Mundeya qu’une fois et ne savais pas trop à quoi m’attendre. Mon sac sur le dos, j’ai découvert une ville barricadée, parsemée de hangars et de barbelés. Ça respirait l’insécurité. Normal, vu l’état de siège permanent de cette région où les tribus sont en guerre parfois pour un simple porc. Là, face aux hommes qui marchaient dans la boue, vêtus de pagnes en feuilles et de blousons en cuir, j’ai pensé: «Mag, qu’est-ce que tu es venue faire ici?»

Heureusement, Mundeya et son cousin Polobi étaient là pour m’accueillir. Une fois les provisions faites dans l’un des rares commerces de la ville, une échoppe tenue par un Chinois, nous avons pris la route pour Kobe Tumbiali, le village de Mundeya. Trois heures à rouler en taxi-brousse sur des pistes de terre rouge, au milieu de la jungle, ensuite une bonne marche à travers des champs de patates douces... Car Mundeya est le chef des Hulis, une tribu d’agriculteurs et d’éleveurs de cochons qui vivent séparés les uns des autres par de vastes parcelles de champs.

Sur place, la famille de Polobi m’a accueillie. Spontanément, sans réfléchir, j’ai enlevé mes chaussures pour marcher pieds nus, comme eux. Et j’ai alors senti un truc dingue: c’est comme si des racines poussaient de mes pieds et que mon corps s’ancrait dans la terre! D’un coup, j’étais chez moi. Les jours suivants, j’ai complètement oublié l’Europe. Je me levais à l’aube, labourais les champs avec les femmes, nourrissais les cochons, mangeais la même chose qu’eux. Bref, je vivais au rythme de la nature. Jamais je ne m’étais sentie autant reliée au monde.

Une promesse

En gage de confiance, Mundeya m’a fait un jour l’honneur de m’amener sur la terre de ses ancêtres: un lieu parsemé de sépultures ouvertes où reposent en paix leurs squelettes. C’est là, au coeur de la jungle, que je lui ai fait la promesse de récolter les fonds nécessaires à l’approvisionnement en eau potable de son village.

Quelques jours avant mon départ, un événement a fini de sceller notre amitié: j’ai prodigué les premiers soins au fils de Mundeya qu’un coup de couteau venait de blesser à l’œil. Cela m’a valu la reconnaissance de toute la famille. En guise de remerciement, elle a sacrifié un cochon. Pour que je les prenne en photo, les hommes ont enfilé leur parure de wigmen, une coiffe somptueuse faite de cheveux et de plumes qui vaut aux Hulis le nom d’hommes-perruque. Ça a été un moment très fort!

De retour en Suisse, j’ai mis quatre mois à atterrir. J’étais transformée. J’avais une perception différente du monde et de la nature... Et je l’ai toujours.

Pour respecter la parole donnée à Mundeya, j’ai organisé une exposition de mes photos «Regards de Papous». J’y parle d’eux, de leur vie là-bas, du combat de Mundeya contre la déforestation, des dangers qui menacent sa tribu… Je récolte ainsi des fonds. Et cela m’enrichit énormément! Car j’ai rencontré au passage des gens extraordinaires. Des personnes dont la mission quotidienne est de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux environnementaux. Et qui sont prêtes à m’aider à mettre sur pied ce projet d’approvisionnement en eau du village.

Quant à Mundeya, depuis mon séjour là-bas, nous nous sommes revus à chacun de ses voyages en Europe. C’est devenu un ami cher. Un ami qui m’a amenée à découvrir les réponses aux questions que je me posais. A trouver ma place, ce qui n’est pas rien! Une place où je me bats chaque jour pour un monde meilleur.

A lire aussi:
Ma passion du voyage m’a délivrée de l’agoraphobie
Les enfants du Niger donnent un sens à ma vie
J’ai fondé un refuge pour chiens au milieu des rizières


Vous avez aimé ce contenu? Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir tous nos nouveaux articles!

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné