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«J’ai caché à tous que j’étais surdoué»

Temoignage surdoue homme

«J’ai pris conscience de ma différence très tôt. J’ai maîtrisé la lecture à 4 ans, résolu des équations simples à 5 ans. Quelques années plus tard, je me souviens être en train de dévorer Kant.»

© Jeremy Perkins

Voilà trois mois, j’ai mis pour la première fois les pieds dans le cabinet d’un psy. D’une psy, en l’occurrence. Comme d’habitude, je n’ai pas pu m’en empêcher: le décor, la personne, la gestuelle, j’ai tout analysé, scanné en sept secondes. On avait à peine commencé à se parler que j’ai demandé «il est prononcé quand, votre divorce?» Mon interlocutrice a eu un temps d’arrêt, puis a souri. Elle allait effectivement se séparer de son mari dans quelques jours.

Pour moi, c’était limpide. Sur son bureau, il manquait une photo à côté de celle de son fils, et elle ne cessait de tripoter nerveusement son alliance. Tout scruter et tout analyser, quasi jusqu’à saturation, c’est l’une de mes obsessions. Un des symptômes de ce que je considère comme une pathologie: être surdoué.

Philosophes et calculs mentaux

J’ai pris conscience de ma différence très tôt. J’ai maîtrisé la lecture à 4 ans, résolu des équations simples à 5 ans. Quelques années plus tard, je me souviens être en train de dévorer Kant. Pour mes parents, je passais certes pour un petit garçon très éveillé, mais ils n’ont jamais cherché plus loin. Mon grand-père, avec qui j’entretenais une relation spéciale, semblait lui, au contraire, avoir détecté la chose.

Nombre de situations anodines devenaient à ses yeux matière à réflexion. En balade dans la campagne, il me posait des problèmes de maths sur le périmètre de tel champ, sur la surface de telle forêt. Il me stimulait et voyait que j’adorais me creuser les méninges. Surtout, il s’est aperçu que je répondais beaucoup trop vite à de telles colles pour un enfant de 6 ans. Mais c’est le genre d’observations que je n’aimais pas vraiment. Etre démasqué, être qualifié de surdoué par les autres, cela me terrifiait.

Un autodidacte clandestin

Alors à partir de là, j’ai tout fait pour maquiller mes capacités. A l’école, je m’ennuyais pas mal, tout me paraissait facile. Je faisais cependant en sorte de rendre de bonnes copies, sans plus, rien qui puisse éveiller les soupçons. Je me retenais souvent de poser certaines questions pointues à mes professeurs, de crainte d’attirer l’attention. Et pourtant, ça me démangeait.

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Du coup, j’étanchais ma soif de connaissances par moi-même, via des tonnes de lectures puisées dans les bibliothèques de la famille. Malgré mes précautions, des enseignants ont repéré mon aisance et ont proposé à mes parents de me faire sauter une classe. J’ai refusé. Car prendre de l’avance n’aurait été que le doigt dans l’engrenage. En découvrant un peu plus mes facilités, on m’aurait orienté vers un établissement spécialisé pour surdoués. Et je voulais absolument éviter ça.

La peur du rejet

Une étiquette haut potentiel sur le front aurait été synonyme d’obligation de quitter mon cocon. Avec le recul, je ne sais pas vraiment pourquoi j’avais si peur qu’on me reconnaisse pour ce que je pressentais être. Peut-être que ces efforts pour ne pas apparaître différent des autres, ou inadapté à mon environnement, étaient commandés par une certaine peur de l’abandon.

J’ai notamment toujours senti que malgré l’image qu’ils voulaient donner, mes parents ne formaient pas un couple heureux. Cette impression d’instabilité qui couvait s’est révélée exacte, puisqu’ils ont fini par se séparer quand j’avais 9 ans. Mon plan a plutôt bien fonctionné. Ma scolarité s’est déroulée normalement, j’étais un élève sans histoire, pas très bien dans sa peau mais pas non plus isolé. Je préférais avoir quelques bons amis que faire partie d’une large bande de copains.

En pleine lumière

Cela s’est pourtant effondré à la fin de l’adolescence, quand on a réussi à percer ma carapace. Mon rêve d’alors était de devenir pilote de chasse, j’ai donc dû participer à des tests au sein de l’armée. Ma condition physique était bonne mais n’avait rien d’extraordinaire, sauf que mes réponses aux questionnaires sur les aptitudes intellectuelles ont suscité la curiosité du psychologue qui menait le test.

Il m’a proposé de pousser un peu l’évaluation. Naïvement, j’ai accepté. Le spécialiste m’a bientôt annoncé que j’avais un Q.I. de 164. Avec un tel score, je pouvais intéresser les militaires pour d’autres domaines, en particulier le renseignement. Je m’étais jeté dans la gueule du loup… En sortant, mon réflexe a été de tout laisser tomber.

Je ne désirais plus qu’une chose: faire baisser coûte que coûte ce chiffre qui m’écœurait. J’ai alors basculé dans une sorte de spirale autodestructrice, adoptant des comportements à risque, consommant toutes les substances illégales imaginables, délaissant les études. Entre 17 et 20 ans, j’ai juste fait n’importe quoi.

Renaissance à l’université

Puis, heureusement, un coup de foudre imprévu m’a remis à flot: la médecine. Au bout de quelques mois de cours à l’uni, j’ai rapidement adoré ce milieu. Ce métier me permettrait d’exploiter sans culpabilité mes facultés favorites, comme recouper des masses d’informations, analyser et faire des projections, proposer des diagnostics.

J’ai travaillé ce qu’il fallait pour obtenir l’exam de première année sans encombre, puis par la suite, parallèlement à mon parcours en médecine, j’ai aussi bouclé un master d’ethnologie ainsi qu’un autre en philosophie, puis un doctorat en physique. Désormais, je suis en train de terminer ma formation en Suisse romande pour être médecin anesthésiste.

L'obsession des génies

Pourtant, encore, j’ai beaucoup de réticences à parler de ma condition de surdoué. Cela fait quelques années seulement que j’ose utiliser ce terme, et que je lis des ouvrages sur le sujet. Je commence à peine à assumer ce que je suis. D’ailleurs, quand je vois le fantasme contemporain autour des individus à haut potentiel, je me dis que j’avais bien raison de dissimuler mon cas. Il y a tellement de parents qui cherchent à faire de leur enfant un génie, les coachant comme s’ils étaient une écurie de F1.

Enfants surdoués, enfants décalés

Lors d’un stage en pédopsychiatrie, j’ai pu voir à quel point les gens sont obnubilés par la mesure du Q.I. de leurs enfants, courant chez un spécialiste dès que leur petit a fait un truc différent des autres. Pour ma part je ne regrette pas d’avoir bâti ma voie tout seul, en tâtonnant, en me trompant parfois. C’est aujourd’hui parce que je minimise le regard des autres que j’arrive à concevoir un bonheur sans calculs ni rôles à endosser.


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