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Interview

«On va devoir opérer votre sein. Mais c'est une bonne nouvelle.»

Champagne court metrage coralie lavergne annonce diagnostic

«Je me suis rendu compte que chaque année, des dizaines de milliers de femmes doivent avoir recours à des ablations partielles ou totales du sein à titre préventif - pour éviter le pire. Et nous sommes chanceuses que le problème soit parfois pris à temps. Mais dans la majorité des cas, ce sont des féminités touchées à vif, bien que la finalité soit "positive" médicalement parlant. J’avais envie de leur donner une voix.» - Coralie Lavergne

© DR

La scène d'ouverture s'agrippe immédiatement à une corde sensible... et ne la lâche plus. Champagne, le premier court métrage de Coralie Lavergne, nous invite dans la salle d'attente d'un cabinet gynécologique, où plusieurs femmes patientent. Parmi elles, Jeanne, 30 ans, sent l'inquiétude lui nouer la gorge. Sa voisine, une joyeuse jeune femme enceinte, lui affirme qu'elle «reconnaît son anxiété», étant également passée par là. Or, Jeanne n'est pas venue pour discuter d'une grossesse: si elle est assise dans cette salle d'attente, c'est parce qu'elle attend des informations quant à une lésion potentiellement cancéreuse découverte dans sa poitrine. La peur de l'une et la joie de l'autre se heurtent. Lorsque la gynécologue l'appelle, Jeanne bondit de son siège.

«C'est plutôt une bonne nouvelle, la lésion est bénigne», annonce la doctoresse, et Jeanne laisse échapper un long soupir de soulagement. L'angoisse de plusieurs semaines, un poids indicible qui l'avait étreinte jour et nuit, se dissipe enfin. La gynécologue ajoute alors qu'une opération sera tout de même nécessaire. Devant l'incompréhension de Jeanne, elle déclare: «Vous avez une lésion de 3 centimètres dans votre sein. On ne va pas la laisser faire sa vie». Pour la jeune femme, quelque chose se brise. Son soulagement disparaît, elle ne sait comme réagir. «C'est une chance, ce qui vous arrive», répète la gynécologue, sans prendre en compte le désarroi de sa patiente.

Avec finesse et justesse, Coralie Lavergne pense à toutes celles et ceux qui, comme elle, ont souffert d'un diagnostic maladroit, froid ou laconique, annoncé en total décalage avec les émotions provoquées. Dans ce film poignant et vrai, à fleur de peau mais imprégné de force, la jeune cinéaste française de 30 ans, travaillant entre Paris et Lausanne, puise dans une histoire personnelle pour toucher à quelque chose d'universel. Elle nous a accordé une interview.

Visionnez le film complet (lien disponible jusqu'au 1er septembre 2021).

CHAMPAGNE (Short film) EXTRAIT from Coralie Lavergne on Vimeo.

FEMINA Quel était votre but premier, l'objectif qui vous portait au moment de démarrer l'écriture de votre court métrage?
Coralie Lavergne
Champagne, c'est un film sur la dureté de l’annonce de certains diagnostics. Quand l’interprétation du médecin est loin du bouleversement vécu par le patient. Une routine pour l’un, un changement radical de la perception de l’avenir pour l’autre. L’envie d’écrire Champagne m’est venue quand j’ai pris la mesure de l’effet traumatique de certaines annonces de diagnostics médicaux maladroites, voire ratées. Il faut savoir que l’une des des publications les plus consultées de l’HAS (la Haute Autorité de Santé, en France) à destination des professionnels de santé s’intitule «Annoncer une mauvaise nouvelle» et est introduite par la phrase suivante: «Il n’existe pas de bonnes façons d’annoncer une mauvaise nouvelle mais certaines sont moins dévastatrices que d’autres». Je pense que si cette publication est aussi consultée, c’est qu’un nombre énorme de médecins, comme de patients, ont déjà vécu des situations où la dimension humaine et psychologique passaient au second plan dans des annonces ou des situations très délicates.

Le film démarre sur une scène qui nous plonge immédiatement dans l'atmosphère et l'émotion du sujet: on se retrouve dans la salle d'attente du médecin, en compagnie de Jeanne, la protagoniste...
La situation précise du court-métrage est inspirée d’une expérience personnelle. Le dialogue entre la gynécologue et Jeanne est quasiment une retranscription de ce que j’ai vécu dans un cabinet il y a quelques années. C’est après cette expérience et cette opération que j’ai été attentive aux récits d’expériences similaires autour de moi. Et après pas mal de recherches, je me suis rendu compte que chaque année, des dizaines de milliers de femmes devaient avoir recours à des ablations partielles ou totales du sein à titre préventif - pour éviter le pire.

Nous sommes chanceuses que le problème soit parfois pris à temps. Mais dans la majorité des cas, ce sont des féminités touchées à vif, bien que la finalité soit «positive» médicalement parlant. J’avais envie de leur donner une voix.

Pouvez-vous nous expliquer le sens du titre, qui semble en porter plusieurs?
Le titre c’est le reflet de mon envie de traiter ce sujet «dur» avec le moins de pathos possible. L’héroïne utilise beaucoup l’autodérision comme un bouclier contre le chagrin. C’est sa façon à elle de ne pas s’effondrer. «Champagne!» c’est tout l’inverse de ce qu’elle ressent. Mais c’est aussi le visage qu’elle montre aux autres. C’est le fameux «tout va bien» qui sonne faux, quand on ne veut pas craquer en public.

Vous interprétez vous-même le premier rôle dans le film: comment décririez-vous l'expérience de cette double casquette?
Mon envie initiale d’écrire est complètement liée à la façon dont j’ai envie d’exercer mon métier de comédienne: incarner des personnages que j’ai envie de défendre. J’ai surtout un désir fort de communiquer des messages qui me semblent importants. C’est vraiment une chance de pouvoir se mettre en scène, car c’est l’opportunité de défendre des messages qui nous sont chers et nécessaires en tant que comédien. Ce qui n’est pas systématiquement le cas.

Cela suscite-t-il aussi davantage de pression?
On ne va pas se mentir, c’est beaucoup de pression sur le tournage. Mais dans certains cas, c’est aussi une chance. Par exemple, dans mon dernier court-métrage Frère & Soeur, il y avait un tout jeune comédien de 3 ans. Donc nous avons dû improviser beaucoup de choses. Le fait de pouvoir être avec lui, de jouer directement avec lui et de pouvoir orienter ses répliques a énormément simplifié les choses. Et enfin, le vrai secret, comme dans tout, c’est d’être bien entouré, et faire confiance. Sur Champagne, j’ai eu la chance d’être accompagnée par Tommy Weber dans la réalisation et la direction d’acteurs. Il a une sensibilité rare et précieuse. C’est donc lui qui me dirigeait et je savais que s’il disait «la prise est bonne», je pouvais lui faire confiance. Et puis j’avais pas le choix! On a du le tourner en deux jours ce court, alors je pouvais pas chipoter trop longtemps.

Quelle était la partie la plus difficile de la réalisation de ce projet, au niveau de la transmission des messages importants qu'il porte?
J’avais envie de garder un ton lumineux, voire drôle, bien que le sujet soit dur. Ça passe beaucoup par l’écriture et les dialogues. Et puis le personnage de Camille, qui est un personnage de femme enceinte assez auto-centrée, dans sa bulle, et donc complètement à côté de la réalité de Jeanne, apporte un décalage comique à la situation.

Quels retours avez-vous reçus depuis la diffusion?
J’ai eu beaucoup, beaucoup de retours assez bouleversants. Pas uniquement des femmes d’ailleurs, car cette problématique de l’annonce médicale concerne tout le monde. Certaines personnes se sentaient moins seules. D’autres prenaient conscience de ce qu’une personne de leur entourage avait vécu ou traversé.

En écrivant Champagne, j’ai compris que le cinéma nous permet de raconter des choses qui peuvent toucher à notre intimité, mais que le propos peut avoir une résonance dans la réception collective. Et c’est précieux.

Ce court métrage a-t-il suscité de nouvelles envies créatives ou éveillé une nouvelle mission en vous?
Après avoir reçu de tels retours, j’ai eu très envie d’aller à la rencontre de sujets qui me dépassent et dépassent «ma propre condition». Éveiller les consciences, et éclairer les destins dont on parle peu. Je développe actuellement une série qui met en lumière la façon dont sont traitées les femmes voulant avorter dans les pays où l’IVG est pénalisée. Et la violence avec laquelle sont considérés ceux et celles (médecins, associations etc.) qui veulent les aider dans leur démarche.

Je travaille aussi à un projet qui retrace le parcours d’une jeune femme Algérienne arrivée en France dans les années 80. Son parcours porte en lui toutes les embûches et les sacrifices que peuvent rencontrer tous ceux et celles qui se sentent obligés de s’extirper de leur milieux d’origine pour aller au bout de leurs ambitions. Dans chaque petite histoire qu’on raconte, même la plus intime, il peut y avoir des dimensions et des résonances très universelles. Ce sont ces sujets et cette démarche que j’aimerais explorer.


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