témoignages
Non, elles ne veulent pas d'enfant (et en ont marre d'être jugées)
«C’est mon corps, c’est ma vie, c’est mon choix», martèle Marie Lopez, plus connue sous le pseudo d’EnjoyPhoenix, dans sa dernière production postée sur YouTube consacrée à son non-désir d’enfants. «Cette vidéo est essentielle parce qu’elle donne une voix et une visibilité à des centaines de milliers de femmes qu’on culpabilise encore pour des choix qu’elles ont le droit de faire depuis plus d’un demi-siècle, martèle la féministe Fiona Schmidt sur son compte Instagram. En 2021, il est grand temps que la nulliparité volontaire ne soit plus considérée automatiquement comme un manque, un choix par défaut dû à un traumatisme ou à un trouble psychique, mais comme le champ fertile de tous les possibles.»
Ce champ, Erin, Margaux (prénom d'emprunt), Emma, Camille et Alba (prénom d'emprunt) ont décidé de l’expérimenter pleinement. Mais dans un monde où enfanter reste une norme dominante, ces jeunes femmes qui choisissent de ne pas donner la vie doivent constamment se justifier.
Pour Edith Vallée, pionnière des recherches sur la non-maternité et autrice, en 1981, de Pas d’enfant, dit-elle… (Ed. Tierce), «le désir d’avoir un enfant est aussi intime et profond que le désir de ne pas en avoir». La docteur en psychologie remarque que la thématique a beaucoup évolué: «Dans les années 70, celles qui ne voulaient pas de descendance avaient eu une enfance difficile dans l’écrasante majorité des cas. Aujourd’hui, les femmes font ce choix car elles veulent se réaliser autrement, en dehors de la maternité.»
L’experte les classe en trois groupes distincts: les passionnées, d’abord, celles qui trouvent dans leur vie quelqu’un ou quelque chose avec lequel elles sont en union, comme les grandes amoureuses, les créatrices, les personnes en quête spirituelle ou en recherche intellectuelle; celles qui sont tournées vers l’action, ensuite, les entrepreneuses, politiciennes, exploratrices, toutes ces femmes qui repoussent leurs limites; enfin, celles qui refusent de donner la vie dans ce monde, que ce soit pour des raisons d’histoire familiale compliquée, pour ne pas accabler davantage la planète ou par peur du futur.
Élan féministe
Le déclic, Emma l’a eu il y a deux ans. Si elle ne se souvient pas d’avoir jamais désiré fonder une famille, c’est en côtoyant de près ses deux petites-nièces qu’elle en a véritablement pris conscience. «Je les adore plus que tout et je m’en occupe très souvent, explique la Lausannoise de 29 ans. Mais contrairement à ma belle-sœur, j’ai réalisé que je n’avais pas cette envie profonde, ce besoin de me sentir complète avec un enfant. L’élan féministe, de plus en plus marqué dans notre société, m’a fait comprendre qu’une femme n’était pas seulement une future mère.»
Lassée des remarques du type: «Tu ferais pourtant une maman si formidable» ou «Tu verras, quand tu rencontreras le bon…» Emma refuse désormais d’entrer dans le débat. «J’aime mon métier, j’adore voyager, être libre de partir du jour au lendemain, chérir des amitiés qui me tiennent à cœur. Je suis heureuse et tant pis pour ceux que ça gêne ou qui ne comprennent pas.» Le seul aspect qu’elle juge «problématique»: tomber amoureuse d’un homme qui respectera son choix. «Désormais, je le note clairement sur l’appli de rencontres que j’utilise. Au début, ça me semblait bizarre, car ce n’est pas la première question qu’on pose à un inconnu. Mais c’est une des choses les plus importantes pour qu’une relation puisse fonctionner sur le long terme, il n’y a pas de compromis possible.»
Camille, quant à elle, a justement pris sa décision en observant les couples autour d’elle. «Je viens d’avoir 24 ans et j’ai vraiment été choquée de constater que beaucoup de mes connaissances du même âge se mariaient, décidaient d’avoir des enfants, achetaient des voitures familiales. Honnêtement, j’ai de la peine à comprendre: comment peut-on se lancer dans de tels projets, alors qu’on n’a encore rien vu de la vie?»
Si elle tolère les remarques de ses grands-mamans, la jeune Montheysanne a plus de mal avec les questions sexistes qu’elle subit lors de chaque entretien d’embauche.
En Suisse, on compte pourtant 21% de femmes de 40 ans sans enfants, selon Childlessness in Europe, une étude sociologique datant de 2003. Par contre, aucune statistique n’indique si ce choix est assumé ou subi. Pour Delphine Gardey, historienne, sociologue et professeure ordinaire en études genre à l’Université de Genève, la politique familiale et les inégalités de genres de notre pays n’incitent pas à devenir parents. «En Suisse, comme en Allemagne ou en Autriche, on n’a jamais privilégié le plein-emploi des femmes, la mise en place de ressources et d’infrastructures permettant le travail de chacun des conjoints. De plus, la fiscalité helvétique n’est favorable ni au couple, ni à la famille. Dans notre pays, le modèle du breadwinner reste dominant. Monsieur est le gagne-pain de la famille et madame s’occupe de la maison. Dans la façon dont on se projette dans l’avenir, ça vient percuter des aspirations en termes de profession ou de carrière. Le genre n’est pas indifférent: le coût d’un enfant reste une charge féminine.»
Si ce n’est pas la première raison invoquée par Emma pour expliquer son choix, l’aspect financier pèse également dans la balance. «J’ai grandi avec trois frères et sœurs, j’ai bien conscience des énormes sacrifices financiers que nos études ont représentés pour mes parents. C’est peut-être égoïste, mais j’ai envie de pouvoir me faire plaisir autrement.»
L’effet #MeToo
Erin, 17 ans, n’a jamais été transcendée par l’idée de fonder une famille. «C’est définitif, ça change totalement le mode de vie. Je ne crois pas qu’être maman me corresponde. Je me connais, je n’ai pas peur de faire de mauvais choix. Et honnêtement, je préfère regretter de ne pas avoir d’enfants plutôt que d’en avoir eu.»
La jeune étudiante a été étonnée de constater que cette opinion était de plus en plus courante parmi les gens de son âge. «Surtout chez les filles, c’est un sujet dont on parle ouvertement dans mon cercle d’amis.» Pour Edith Vallée, les femmes sans enfants sont effectivement de moins en moins marginalisées. «#MeToo a marqué un avant et un après, analyse la spécialiste. La société est plus à l’écoute. Désormais, il n’est pas rare d’entendre des témoignages de mères affirmant qu’elles auraient pu être heureuses sans avoir d’enfants. Mais les choses auront réellement changé lorsque ce choix sera possible pour toutes, non pas seulement pour celles issues d’un milieu occidental privilégié.»
Pour Delphine Gardey, la pression, qu’elle soit nationale, familiale ou sociale, pèse encore et toujours sur la maternité. «Il est essentiel que la norme évolue pour les femmes comme pour les hommes. On a toujours tendance à assimiler la question de la reproduction aux seules femmes, ce sont elles qui paient le poids de toutes ces normes, elles sont prises dans des injonctions contradictoires très problématiques.»
C’est en ouvrant le débat, en osant dire haut et fort qu’on peut mener des existences épanouies et heureuses sans enfants qu’on parviendra à faire changer les choses, assure Edith Vallée. «Je milite pour que chacune soit libre de choisir sa vie, de faire ce qui la rend heureuse. Il est capital qu’on réalise son bonheur affectif en tant qu’adulte avant de chercher à ce qu’un enfant porte tout, qu’il soit l’aboutissement et le seul responsable de notre réalisation en tant que personne. Lorsqu’un véritable échange, une reconnaissance et une solidarité entre mères et childfree seront possible, nous aurons toutes gagné.»
«Je veux me faire stériliser»
Témoignage de Margaux (nom d'emprunt), 25 ans, graphiste
«Il y a quelques années, j’ai pris conscience que je ne voudrais jamais avoir d’enfant, pour des raisons idéologiques, écologiques et politiques. Nous sommes déjà tellement sur cette planète, y faire naître un nouvel être me semble absurde. Le monde actuel ne me fait absolument pas rêver. C’est en me documentant sur le sujet, en lisant plusieurs essais féministes, que j’ai pris la décision de ne pas donner naissance à un enfant dans une société aussi inégalitaire que la nôtre. Je veux aller au bout de ma démarche et me faire stériliser. Toutefois, beaucoup de médecins refusent cette opération, il n’est pas facile de trouver un gynécologue qui accepte d’entrer en discussion. Je me suis donnée 3 ans pour y parvenir.
Dans mon entourage, personne ne me comprend, mis à part une amie à qui je peux en parler librement. On me répond sans cesse que ce n’est pas une bonne idée, que je vais le regretter, que je suis trop jeune pour décider. Mais c’est de mon corps et de mon futur dont il s’agit! Dans la vie, on fait des choix, puis on vit avec. Etant donné la réaction de mes proches, je n’aborde plus du tout le sujet, c’est devenu un véritable tabou.
Voir mon corps changer est quelque chose qui me fait très peur. Je suis petite et très fine, je me suis toujours dit que je ne supporterais pas de porter un bébé, que ça me tuerait. Je ne veux pas faire subir ça à mon corps. Si je ressens un jour le désir d’être mère, adopter un enfant ferait beaucoup plus de sens selon moi.
D’ailleurs, ce n’est pas du tout parce que je n’aime pas les enfants que je ne souhaite pas en avoir, au contraire. Je suis une militante très engagée. Et si je me bats ainsi, c’est pour changer la société dans laquelle nous vivons, pour construire un monde meilleur, plus juste et plus égalitaire pour tous ces enfants.»
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