témoignage
Myriam Gottraux, rescapée des attentats de Paris
Le week-end du 13 novembre, c’est à la montagne qu’elle est allée chercher un peu de sérénité, tandis que son compagnon assistait aux commémorations des attentats de 2015, à Paris, dans cette ville où leur vie s’est brisée, un soir d’automne. Myriam Gottraux n’est plus jamais retournée dans la capitale française. Le procès, qui a débuté en septembre, elle le suit depuis son village des hauts de Vevey à travers les comptes rendus quotidiens mis à disposition des victimes et des parties civiles. Trop de souffrance reste attachée à cette soirée où les balles de kalachnikov se sont soudainement mises à claquer sur la terrasse du café La Belle Équipe, rue de Charonne, faisant vingt et un morts. L’air était un peu frais et Myriam Gottraux s’était approchée d’un chauffage à gaz au pied duquel elle s’était jetée quand une balle a atteint son bras droit.
Six ans ont passé, et c’est bien plus que l’usage d’un membre qu’elle a perdu. Enveloppée dans un pull gris moelleux, la Vaudoise évoque d’une voix douce et déterminée à la fois sa vulnérabilité au stress, ce «duvet de protection» qu’elle n’arrive pas à reconstituer. Son long chemin vers la reconstruction, raconté dans un livre (Instants d’éternité, aux Éditions Slatkine), force le respect. Mais il pointe aussi la réalité crue derrière les beaux discours officiels qui exaltent la solidarité. La réalité d’une victime blessée pour toujours dans sa chair et dans son âme, contrainte de se battre non seulement pour surmonter son traumatisme, mais pour pouvoir vivre décemment. Car si Myriam Gottraux a pu remonter la pente, c’est avant tout grâce à l’aide de ses proches. Une aide morale, bien sûr, mais aussi financière.
En perdant l’usage d’un bras, cette ostéopathe a brutalement perdu la possibilité de pratiquer son métier et sa source de revenus. «J’ai dû quitter mon appartement, devenu trop cher», raconte-t-elle. Si les soins que nécessite son corps meurtri sont bien organisés, c’est seule, en revanche, qu’elle va devoir se débrouiller pour trouver un soutien psychologique approprié et des solutions pour régler les factures qui, elles, continuent de s’accumuler. Car la Suisse n’indemnise pas les victimes d’actes terroristes commis à l’étranger. Elle laisse cela au bon vouloir du pays où se sont produits les attentats et les personnes concernées se débrouiller avec leurs assurances. Myriam Gottraux en avait souscrit une en cas de perte de gain. Prévoyante. Sauf que son assureur refuse d’entrer en matière au motif qu’elle a été victime d’un acte de terrorisme. Il lui faudra intenter un procès pour obtenir gain de cause et recevoir son dû, trois ans et demi plus tard.
La Suisse détourne le regard
La loi sur l’aide aux victimes d’infraction (LAVI) prévoit une participation à certains frais (transport à l’hôpital, traitements psys non pris en charge par l’assurance). Une contribution bienvenue, certes, mais là encore aucune réparation financière. Dans son malheur, Myriam Gottraux peut aussi compter sur l’aide de la France, un des rares pays à avoir constitué un fonds d’indemnisation. Des provisions lui ont été versées en attendant que la somme finale qui lui sera attribuée soit définie. Quand? Une fois que sa situation, autrement dit les troubles liés à son traumatisme, sera considérée comme stabilisée ou en régression.
La façon dont son pays a détourné le regard, alors qu’un «tsunami» dévastait sa vie, l’a sidérée et déçue:
«On peut vivre sur ses économies jusqu’à un certain point… J’ai envisagé une reconversion, mais cela aussi a un coût. Si mon compagnon n’avait pas été là, je ne serais pas telle que je suis devant vous.» À l’absence de soutien s’ajoute un manque de reconnaissance profondément blessant et «délétère», pour reprendre ses termes: «C’est un peu comme être victime une seconde fois.» Sans doute parce qu’en Suisse, «on préfère ne pas parler de terrorisme pour ne pas effrayer les gens», comme le relève la conseillère nationale Jacqueline de Quattro.
Une question d’argent? «Irrecevable»
Touchée par l’histoire de Myriam Gottraux, la politicienne vaudoise a décidé d’élever la voix afin de faire bouger les choses à Berne.
Réunies par l’intermédiaire de Femina, les deux femmes ont échangé pour la première fois face à face lors d’un moment empreint d’émotion. L’engagement de la politicienne met un peu de baume au cœur de Myriam Gottraux. Sous la Coupole fédérale, Jacqueline de Quattro a déposé deux interventions dont l’objectif est de permettre aux victimes d’obtenir du soutien.
Les deux voies proposées par la politicienne, une révision de la LAVI et la création d’un fonds, ont toutefois été balayées par le Conseil fédéral au motif, entre autres, qu’une indemnisation (à la charge des cantons) risquerait de coûter trop cher. Pour mémoire, après l’attentat de Louxor, en Égypte, qui avait fait 36 morts et 10 blessés parmi des touristes suisses en 1997, 100 000 francs d’indemnités et 2,5 millions de réparations morales avaient été versés aux rescapés et aux proches des victimes, selon le journaliste Alain Maillard, qui cosigne le livre de Myriam Gottraux. Quelques années plus tard, la LAVI était révisée et, depuis 2009, la Suisse n’indemnise plus du tout les victimes d’attentats commis à l’étranger, comme elle le faisait auparavant quand le pays où avait eu lieu l’attaque n’entrait pas en matière.
Tout comme l’argument selon lequel introduire ce type d’indemnisation créerait une inégalité par rapport à d’autres infractions commises à l’étranger. «Un attentat terroriste constitue une atteinte à la dignité humaine. À Paris, ce n’est pas Mme Gottraux qui était visée, mais l’Occident, ses valeurs», insiste Jacqueline de Quattro, prête à revenir à la charge à Berne.
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