Interview
Mettre la ménopause à l’agenda professionnel
«Les rares enquêtes ont montré que des femmes quittent le marché du travail : 1 femme sur 10 entre 45 et 55 ans selon une étude anglaise récente) parce que, en l’absence de politiques de soutien, elles ne parviennent pas à conjuguer symptômes et emploi.» - Isabelle Zinn
© GETTY IMAGES/WESTEND61En Suisse, les changements psychiques et physiques qui peuvent accompagner la ménopause ne sont pas encore reconnus comme des enjeux de santé au travail. Pour mieux comprendre les expériences des femmes, des chercheuses de l’Université de Lausanne (UNIL) veulent évaluer les impacts de la périménopause sur le monde professionnel. Interview croisée de la doctoresse Isabelle Zinn et de la professeure Nicky Le Feuvre, coresponsables d’une recherche en cours à l’UNIL, avec la professeure Carole Clair à Unisanté.
FEMINA Pourquoi vous intéresser aux répercussions de la ménopause sur le monde du travail?
Isabelle Zinn En Suisse, il y a une politique favorable à l’allongement de la vie active des femmes; la récente réforme AVS21 reflète cette tendance. Cela signifie que de plus en plus de femmes actives sur le marché du travail sont concernées par la ménopause et certaines d’entre elles peuvent rencontrer des symptômes qui s’avèrent compliqués à gérer dans le contexte professionnel.
Avec quelles conséquences?
Isabelle Zinn Les rares enquêtes ont montré que des femmes quittent le marché du travail (1 femme sur 10 entre 45 et 55 ans selon une étude anglaise récente, ndlr) parce que, en l’absence de politiques de soutien, elles ne parviennent pas à conjuguer symptômes et emploi.
Il y a d’autres femmes qui renoncent à des promotions auxquelles elles pourraient prétendre à ce stade de leur carrière.
Ce résultat paraît d’autant plus inquiétant que les femmes sont déjà fortement désavantagées toute au long de leur vie active: carrières discontinues, emplois peu rémunérés, charges domestiques et familiales lourdes. D’où l’importance de faire un état des lieux en Suisse, afin de déterminer quels sont les symptômes et les difficultés que certaines femmes rencontrent.
Nicky Le Feuvre J’ajouterai que ces enquêtes anglaises ont aussi montré des diminutions de taux d’activité liées aux symptômes de la périménopause. Or, à l’orée de la cinquantaine, les femmes entrent dans une phase de vie où elles peuvent compenser le manque à gagner accumulé sur les cotisations de 2e pilier. Si elles n’y parviennent pas entre 45 et 65 ans, cela peut avoir des conséquences néfastes à long terme.
Quel est votre but avec cette recherche?
Nicky Le Feuvre L’idée principale, c’est de mettre les enjeux de la santé au travail en lien avec l’expérience de la ménopause à l’agenda des décideurs politiques et des entreprises. Il s’agit d’augmenter la connaissance de cette étape de vie.
Cela ne signifie évidemment pas que toutes les femmes ont besoin de soutien, mais que celles qui rencontrent des problèmes soient un peu préparées en amont et que leur entourage – familial et professionnel – comprenne ce qui leur arrive, car il y a encore une grande méconnaissance de ce phénomène.
N’est-ce pas risqué de soulever cette question alors que toutes les femmes ne sont pas impactées de la même manière par ces symptômes?
Nicky Le Feuvre En effet, toutes les femmes ne souffrent pas de symptômes les empêchant d’effectuer leur travail de manière convenable. Mais la ménopause reste un tabou, car chaque femme a tendance à la gérer dans son coin.
Évoquer cette question, c’est toujours à double tranchant, car cela peut entraîner le développement de mesures de soutien pour les femmes concernées, mais cela peut aussi être un argument de plus pour dire qu’elles ne sont pas en mesure de faire face aux exigences du monde du travail.
Les femmes sont bien conscientes de ce risque de stigmatisation dans un monde du travail qui n’est pas toujours accueillant à leur égard. Il nous semble néanmoins important de dépasser ce tabou, qui est préjudiciable à la santé des femmes au travail.
