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Les femmes sont-elles toutes des garces au boulot?

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Redoutable, Meryl Streep incarne dans «Le diable s’habille en Prada».

© Keystone/Everett Collection

Ras-le-bol! Alors que l’on pensait l’avoir dézingué une bonne fois pour toutes, voilà que le mythe de la garce réapparaît dans le paysage, à coup d‘études visant à démontrer par A + B le caractère spécifiquement bitch des working girls. Entendez par là que les femmes seraient biologiquement programmées pour les coups bas et les vacheries.

D’après certaines de ces recherches labellisées scientifiques, le sexe réputé faible se révélerait même encore plus misogyne que la plupart des machos ordinaires. Si cela devait être avéré, il y aurait de quoi effriter méchamment la belle – et surtout bien jeune – assurance de la gent féminine.

Plutôt que d’inciter illico ses lectrices à se lancer tête baissée dans des séances d’autodénigrement compulsif, Femina a décidé de se pencher sur le sujet, déterminé à étudier posément le crédit qu’il convient d’accorder à ces annonces.

C’est quoi le contexte?

De quoi nous parlent ces recherches qui, de conclusion à l’emporte-pièce en verdict sans appel, nous certifient la chiennerie des femmes entre elles? Sur le podium des analyses ayant fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps, on compte un sondage du site monster.fr selon lequel «88% des femmes préfèrent travailler pour un homme plutôt que pour une femme». Ce que nombre de commentateurs interprètent comme la preuve soit de l’incompétence des dirigeantes, soit de l’ambiance invariablement «panier de crabes» des environnements professionnels féminins. On ne sait que préférer…

«Le problème de ces enquêtes se situe toujours au niveau de l’interprétation», note Silna Borter, professeure de psychologie du travail à la Haute Ecole d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud. «On peut s’appuyer sur la science, mais il y a aussi toujours une affaire de contexte et de perception. Une réalité peut être lue et exploitée de diverses manières. Et les interprétations se révèlent souvent contestables…»

Le doute en héritage

Dans son analyse du phénomène, la psychanalyste et «sexosophe» Jocelyne Robert revient elle aussi sur cette notion de contexte. Ce qui donne à l’analyse une tout autre tournure: «Les femmes ont intériorisé des siècles de préjugés à leur endroit. Que certaines refusent de se faire opérer par une femme chirurgien, c’est complètement farfelu! Pourtant ça arrive. On a tant appris aux femmes à douter d’elles-mêmes qu’elles continuent à douter… des autres femmes.» La leçon aurait été si bien apprise, poursuit l’experte, que «celles qui ont réussi malgré tout ont même tendance à se persuader qu’elles sont des élues parmi les femmes qui, majoritairement, resteraient inférieures aux hommes».

Dans ce sexisme effectif de certaines à l’encontre de leurs congénères, la sociologue française Danièle Kergoat voit une forme d’autodéfense: «La misogynie affirmée de ces femmes est une façon de prendre du recul par rapport à un collectif dénigré auquel elles ne veulent plus être identifiées.» S’étant battues pour accéder au même statut que les hommes, ces dames ne verraient d’autre issue que de se désolidariser de leurs consœurs pour ne pas risquer de perdre une crédibilité si durement acquise. Une attitude qui ne manque pas d’éveiller en elles «une souffrance infinie», analyse la sociologue.

Honte d’être femme

Même constat chez Jocelyne Robert, qui ose mettre des mots crus sur ce déchirement: «Dans le domaine du travail, certaines femmes ont honte d’être femme.» Un peu comme si, après avoir été pendant des générations victimes du mépris sexiste, nombre de femmes n’étaient pas encore parvenues à rétablir une bonne image d’elles-mêmes. Allant jusqu’à reproduire ce comportement misogyne. Et à devenir à leur tour bourreaux d’autres femmes, parfois!

«On réagit par la misogynie quand on ne sait pas réagir autrement, commente Silna Borter. Quand on ne montre pas aux gens quel comportement avoir, ils se rabattent forcément sur ce qu’ils connaissent. Avoir assisté, voire été exposées, à de la misogynie masculine – perçue encore trop souvent comme normale – a immanquablement eu un impact sur l’attitude des femmes vis-à-vis de leurs pairs.» Et la spécialiste du travail de souligner un autre paradoxe: «Il y a une vraie ambiguïté à demander aux femmes de s’affirmer davantage, de se comporter davantage comme des hommes… pour ensuite leur reprocher d’avoir adopté les mauvais comportements masculins!»

Autant d’arguments qui démontent la seconde étude de notre trio de tête. Celle du Workplace Bullying Institute révélant avec force que «les femmes ayant des comportements tyranniques à l’égard de leurs collègues s’attaquent, dans 80% des cas, à leurs congénères», tandis que les hommes sont plus équitables dans leurs intimidations. Plutôt que de se venger de la gent masculine, les boss femmes s’en prendraient davantage à leurs pairs, donc. Simple réflexe de se liguer avec le camp des dominants? Professeure en psychologie sociale, Annik Houel avance un argument étonnant: «En fait, les femmes en attendent plus d’elles-mêmes que des hommes.» Plutôt flatteur… La spécialiste nuance aussi la donne: «Les femmes ne sont pas plus tyranniques, elles sont perçues comme telles, ce qui n’est pas du tout du même ordre.» Il faut reconnaître, en effet, que l’énoncé est des plus subjectifs. Car quels agissements objectivement mesurables recouvre cette notion de «comportement tyrannique»? Dans un univers où l’autorité masculine est si parfaitement admise que nul ne s’offusque du ton péremptoire du chef, les mêmes attitudes conjuguées au féminin ne sont-elles pas un peu vite qualifiées de brimade, voire de... tyrannie?

Men’s world

Venons-en à présent à la dernière marche de notre podium: le sondage affirmant que «95% des femmes pensent avoir été à un moment ou un autre sapées dans leur carrière par une autre femme». Là encore, le flou artistique du concept «penser avoir été sapée» n’est pas à démontrer. D’autant plus quand il est lâché dans un vide sidéral, sans étalon de mesure – du type: le pourcentage d’entre ces dames «sapées» par ces messieurs, ou de ceux-ci «sabordés» par rivaux, rivales, etc.

Dans les années 70, une célèbre étude de l’Université du Michigan prétendait déjà établir le fameux «syndrome de la reine des abeilles», selon lequel les femmes ayant réussi – dans un univers d’hommes, on ne se lassera pas de le rappeler – seraient réticentes à aider leurs semblables; quand elles ne tenteraient pas de leur barrer la route – quelle horreur! Dans un monde de bisounours, un tel comportement relèverait certes de la bitchitude. Mais dans des sphères de pouvoir où le mâle «pas de quartier!» est de mise (voir encadré ci-dessous), ne pourrait-on y voir l’attitude de survie de qui lutte en permanence pour se maintenir en place?

Loin de démontrer la bitchiness des femmes, c’est leur difficulté toujours actuelle à s’affirmer dans le men’s world que ces études révèlent. Elles prouvent aussi que, tel le monstre du loch Ness, le discours misogyne ne change de lieu, de forme, que pour mieux resurgir. Au point qu’on serait tentée de se poser la question: à qui profite le revival des vieux clichés? «Tout système économique et politique joue de cette faille», commente Annik Houel. «Le but étant d’éviter une possible solidarité contestataire, nécessaire à l’égalité, voire à la promotion des femmes dans le monde du travail.» En clair, le vieux piège du «diviser pour mieux régner». Et si on refusait, cette fois, de tomber dans le panneau?

Question de survie

Annik Houel, professeure de psychologie sociale à Lyon et auteure de «Rivalités féminines au travail – l’influence de la relation mère-fille», aux Editions Odile Jacob (2014).

Le problème de la rivalité féminine au travail est-il avéré?
C’est forcément une réalité: la rivalité est intrinsèque au monde du travail, que l’on soit homme ou femme.

Celle-ci diffère-t-elle toutefois de ce qui peut exister entre hommes?
Elle est différente, parce qu’elle est moins violente. Ce qui permet d’ailleurs à tout le monde d‘ironiser sur ces prétendus «crêpages de chignon». Tout en admirant ces hommes qui sont capables, eux, de s’entretuer pour une once de pouvoir.

En gros, les femmes seraient des bitches dans un monde de killers?
La rivalité féminine a ceci de particulier qu’elle n’est pas traitée de la même façon que son pendant masculin. Elle est stigmatisée. C’est une manière d’éviter d’avoir à la traiter. Il faut croire qu’elle reste préférable à la solidarité féminine, laquelle reste une menace.

Comment cela?
Si elles parvenaient à s’affranchir de ces rivalités et à les dépasser, les femmes ne risqueraient-elles pas de constituer une réelle force collective contre le pouvoir en place, en grande partie… masculin?

Nombre de femmes actives tiennent elles-mêmes des propos misogynes. Comment le comprendre?
Cette dureté trahit surtout la nécessité pour elles de recourir à des stratégies pour survivre dans le monde du travail. C’est une défense contre les difficultés éprouvées, contre une souffrance due à une position dévalorisée. Parfois même contre un sentiment d’illégitimité.

Les femmes seraient donc toujours en situation de survie?
L’inégalité salariale en est un symptôme très parlant. De même que le fameux «plafond de verre» (ces freins invisibles à la promotion des femmes dans les structures hiérarchiques, ndlr) que nombre d’entre elles n’essaient même pas de percer, tant elles restent soumises aux modèles masculins dominants.

Un constat assez déprimant!
Heureusement, une solidarité contestataire commence à se dessiner. Il est temps que les femmes mettent leur part de violence au service d’une agressivité de bon aloi leur ouvrant l’accès à l’égalité.

Tyrannie féminine


©Keystone/Everett Collection

Redoutable, Meryl Streep incarne dans «Le diable s’habille en Prada» le stéréotype de la supérieure vache et capricieuse. Pour le plus grand plaisir des spectateurs – un peu moins de ses collaboratrices…

Job et manigances


©DR

La série «Younger» met en scène de joyeuses employées sous le joug infernal d’une patronne tyrannique. En première ligne, la stagiaire Liza, une quadra s’étant fait passer pour une jeune de 26 ans…

Dommages collatéraux


©http:/dvdbash.wordpress.com

L’héroïne de la série «Damages» est une avocate new-yorkaise (Glenn Close) prête à tout pour réussir. Sa jeune collaboratrice n’aura d’autre choix que de s’adapter à ses méthodes, pour le moins immorale

Jeux de pouvoir infernaux


©Keystone

Absolument mythique, le film «Working Girl» (avec Melanie Griffith, Sigourney Weaver et Harrison Ford) dépeignait déjà, en 1989, ces combats de femmes au cœur d’univers proprement masculins.

Cruelles ou incapables?


©Xavier Lahache/Gazelle & Cie

Directrices sadiques, réceptionnistes tire-au-flan, employées débordées, névrosées ou nymphos: la série «Working Girl» cumule tous les clichés. Une caricature pour mieux leur faire la nique?

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