Les talons aiguilles de Carrie Bradshaw
L’édito de Géraldine Savary: «Mode en séries»
A 8 ans, je me rêvais en Nadia, belle aventurière dans la série télévisée consacrée à Michel Strogoff. Je traversais l’Oural, une longue tresse balayant ma chemise de moujik, blonde, grande et scientifique (pour l’instant, c’est raté). Plus tard, Carrie Bradshaw de Sex and the City m’a donné l’audace des talons aiguilles (douloureux), Rachel, de Friends, celle du T-shirt blanc moulant (salissant) et, à cause de Sarah Lund, l’inspectrice danoise de la cultissime série The Killing, j’ai porté pendant des semaines un pull pelucheux garni d’amaryllis (confortablement moche).
Ce n’est pas nouveau, bien sûr. La fiction nous sauve du réel, les images agissent sur les comportements. En 1942, l’actrice Veronika Lake n’a-t-elle pas dû couper la longue mèche de cheveux qui lui cachait l’œil droit sur demande du président Roosevelt? Les femmes qui travaillaient dans les usines d’armement avaient toutes adopté la même coiffure peu pratique et peu sûre et cela nuisait à l’effort de guerre américain.
Toutes joueuses d’échec?
Aujourd’hui, néanmoins, l’influence des écrans prend une ampleur inédite en raison de la concurrence des plates-formes, de l’augmentation des publics et des offres à disposition, sans compter que notre horizon de confinés se résume à notre télé et à notre canapé. Chaque série est un événement, chaque sortie un sujet de discussion, les réseaux sociaux s’en emparent et en multiplient l’impact.
Est-on en train de revivre la bataille d’Hernani version podium? Une guerre des codes, des marchés et des esthétiques? Loin s’en faut. Les marques, comme les feuilletons TV, ont au contraire tout intérêt à multiplier les vitrines. Les séries influencent la rue, qui influence les défilés qui, par retour d’image et d’intérêt financier, investissent les séries. C’est triste pour la diversité des looks et des cultures, mais jubilatoire de s’imaginer en joueuse d’échecs défilant pour Dior depuis son salon.