santé
La première banque de lait maternel en Suisse romande ouvrira au CHUV
Alors que l’Europe compte 280 lactariums, il n’en existe que 8 en Suisse alémanique… et aucun en Romandie. Ce manque va être compensé dès début 2022 puisque une banque de lait maternel sera ouverte au CHUV de Lausanne. Le projet a été présenté aujourd’hui par Rebecca Ruiz, cheffe du Département de la santé et de l’action sociale, qui souligne: “En matière de santé publique, cette banque du lait sera un outil très important: des nouveau-nés en situation de grande vulnérabilité et des mères qui sont dans une contexte difficile trouveront une solution adéquate et sûre grâce à sa création.” Le but est donc, en toute sécurité, de répondre aux besoins de certains nouveau-nés hospitalisés et de leurs familles en leur offrant la meilleure alternative au lait maternel, avec le lait de donneuses.
Encourager la culture du don
Pour donner son lait, toute femme allaitant son enfant qui a un surplus de lait pourra donc en faire un don volontaire, sous réserve de certains critères de santé qui seront évidemment scrupuleusement vérifiés. Un peu sur le même principe de fonctionnement que celui d’une banque du sang. Une alternative qui devrait soulager les nouvelles mamans qui parfois sous le stress généré par la naissance prématurée de leur enfant n’arrivent pas ou plus à allaiter. Ainsi que pour les mères qui font le choix de ne pas allaiter.
De fait, l’alimentation des premiers mois de vie a une influence fondamentale sur la santé et le développement, et le lait maternel est considéré par l’OMS comme l’aliment de référence pour tous les nourrissons. Mais il est également considéré comme un véritable traitement, notamment pour réduire certaines complications qui peuvent affecter environ 10% des prématurés, comme l’entérocolite nécrosante, affectant les intestins. D’où l’intérêt pour ce projet de banque de lait maternel, qui est l’une des étapes souhaitées par le CHUV dans son plan stratégique afin d’optimiser la prise en charge des nouveaux-nés vulnérables. Une offre pour la santé des enfants et des mères qui devrait être élargie à d’autres hôpitaux et cantons.
Interview de la Dre. Céline Fischer Fumeaux du service de néonatologie du CHUV
FEMINA Actuellement, comment font les mères qui voudraient faire don de leur lait pour un autre bébé hospitalisé?
Dr. Céline Fischer Fumeaux: Dans le cas des mamans dont les bébés sont hospitalisés, ce sont des situations qui restent assez exceptionnelles. La plupart d’entre elles ont beaucoup d’efforts à mettre pour la production de lait pour leur propre enfant. L’excès de lait est possible en cours d’hospitalisation mais il n’est pas toujours constant. Afin qu’elles n’aient pas de regret si elles viennent à en manquer, on encourage donc les mères qui se trouvent dans cette situation - et on le fera encore quand il y aura une banque de lait - de ne pas en faire don avant la fin de l’hospitalisation de leur bébé qui peut durer plusieurs semaines voire plusieurs mois.
Et si elles ont un excès de lait à la fin de l’hospitalisation?
Aujourd’hui on n’a pas la possibilité d’en faire don en Suisse romande. La première option encouragée, c’est de trouver des moyens de stockage pour qu’elles puissent l’utiliser pour des biberons la nuit par exemple, ce qui est l’occasion de passer le relais au papa. La deuxième, si elles ont un stock qui dépasse leur capacité, c’est de s’adresser aux banques suisses allemandes, par exemple Bâle et Berne, qui sont les plus proches.
Y a-t-il beaucoup de demandes?
On a ponctuellement cette demande pour les bébés hospitalisés, maintenant encore plus que les femmes savent qu’il y a ce projet de lactarium en cours de déploiement. Mais en général dans la population de ces patientes on est plutôt en situation de manque de lait. En revanche, on reçoit régulièrement depuis plusieurs années des propositions de mamans de bébés sains qu’elles allaitent à la maison et qui aimeraient savoir où elles peuvent s’adresser. Ce qu’on ne peut pas quantifier mais qui a lieu aussi, ce sont les échanges sur les réseaux qui ne sont pas tout à fait destinés aux mêmes enfants mais qui montrent qu’il y a cet élan de solidarité qui existe déjà chez une partie des femmes allaitantes qui ont un excès de lait.
Que changera le fait d’avoir un lactarium?
Cela permettra d’offrir une alternative aux femmes qui, soit ont des difficultés à produire suffisamment de lait, soit font le choix de ne pas allaiter. Si on peut offrir ça en complément d’un soutien à l’allaitement, c’est un soulagement pour la maman et ça permet de réduire ce stress de produire du lait en particulier les premiers jours de vie. Proposer du lait de donneuse, c’est un pont vers leur propre allaitement, et l’occasion pour les mères de ressentir cette solidarité entre les mères, par d’autres femmes, même anonymes.
Le lait d’une donneuse peut-il remplacer celui d’une mère?
Cette alternative n’est pas aussi bonne que le lait maternel, puisque le lait de donneuse n’est pas personnalisé et doit subir un traitement de pasteurisation, mais elle est meilleure que le lait artificiel. Le lait maternel a des propriétés nutritionnelles adaptées aux besoins de l’enfant, mais il a surtout cette capacité, grâce à des agents bio actifs qui agissent au niveau immunologique, de protéger les prématurés de complications assez graves dans les premiers mois de vie. Le lait de ces donneuses est un aliment, mais c’est aussi un traitement dit thérapeutique qui vient en médecine préventive.
Comment le proposer sans les culpabiliser à des mères qui ne peuvent ou ne veulent pas allaiter?
C’est un point central: plus on fait la promotion de l’allaitement plus on doit être sensibilisés à ne pas culpabiliser ni exclure une femme qui ne peut pas ou qui par choix n’allaite pas. La communication doit être factuelle, avec des infos loyales mais aussi sensibles et qui tiennent compte de ces aspects. En néonatologie, on a cependant peu de souhaits dans ce sens, et on se retrouve plutôt avec des femmes qui veulent allaiter mais rencontrent des difficultés. Les mamans d’enfants hospitalisés sont déjà souvent dans un sentiment de culpabilité par rapport à ce qui arrive à leur enfant, alors qu’elles n’y sont pour rien évidemment. Alors quand on présente la possibilité d’allaiter à des mamans qui n’auraient pas forcément voulu allaiter un bébé à terme, elles peuvent être motivées à extraire leur lait au moins au début: c’est souvent un sujet de satisfaction pour elle d’offrir à leur enfant ce qu’on ne peut pas lui offrir. Si une maman ne veut pas allaiter, qu’elle a fait un choix éclairé après discussion, on offre actuellement une alternative avec une préparation infantile adaptée pour les nouveaux nés prématurés.
Informations pratiques
En lien avec la semaine mondiale de l’allaitement qui aura lieu du 18 au 25 septembre 2021, un symposium sera organisé en partenariat entre le CHUV et Promotion allaitement Suisse le 15 septembre. L’occasion d’en apprendre plus sur la question dans le cadre d’interventions, d’échanges, et de témoignages.